Comme chaque Lundi, nous allons nous intéresser à un titre indé. Cette fois, j'ai choisi de vous parler d'un récit de guerre publié par TKO Studios, Sara, écrit par Garth Ennis et dessiné par Steve Epting, paru en 2018. Inspirée de faits réels, c'est une histoire particulièrement intense et poignante sur une page méconnue de la seconde guerre mondiale en union soviétique lors de la tentative d'invasion nazie.
Hiver 1942. Sara fait partie d'un bataillon de sept tireuses d'élite de l'armée soviétique. Elles partagent un camp avec des soldats masculins et sont surveillées par Raiss, commissaire politique chargée de diffuser la propagande mais aussi de signaler les éléments rebelles. Sara est une tireuse remarquable qui préfère manoeuvrer seule comme cette nuit où elle attend des ennemis allemands, perchée dans un arbre. Lorsqu'ils apparaissent enfin, elle sait attendre le moment opportun pour les abattre sans leur laisser de chance. Elle rentre à la base où le major désigne une nouvelle cible en la personne d'un colonel nazi venu remobiliser ses troupes.
Sara se souvient de son recrutement et de sa formation. Elle était sous les ordres de Valery Zelenkov, un sniper expérimenté, dont elle a appris la mort ensuite sur le champ d'honneur. Il ne lui a pas seulement enseignée à se servir d'un fusil mais surtout à déshumaniser ses adversaires pour être plus implacable. C'était un homme dur mais respectueux face aux progrès de ses élèves. Aujourd'hui, alors qu'avec ses camarades, elle part pour une nouvelle mission en forêt, les soldats russes plaisantent en les croisant. Sauf quand il s'agit de Sara que sa réputation précéde.
Les filles doivent donc rejoindre un régiment d'artillerie. mais une fois sur place, elles découvrent que les allemands sont déjà là et ont abattu leurs camarades. Assaillies par plus nombreux et mieux armés qu'elles, elles résisitent mais enregistrent une perte. Sara parvient à prendre le contrôle d'une mitrailleuse sur un tank et gagne du temps avant l'arrivée de renforts. Elle se rappelle d'une discusssion avec un gradé à qui elle avait demandé des nouvelles de sa famille et qui lui avait appris que le village où ils vivaient avait été rasé par les nazis. Raisa félicité les filles pour avoir réussi à tenir le coup jusqu'à l'intervention des tanks russes.
La publication de leur exploit contre les allemands fait l'objet d'un article dans la presse, ce qui déplaît à Sara, quisait que cela va motiver encore plus leurs ennemis et leur permettre de les indentifier plus facilement. Rina conseille à Sara de rester prudente avec Raisa. Une opération de nuit tourne à la débacle et les filles doivent se retrancher pour en aviser le capitaine. Celui-ci se sacrifie pour leur donner le temps de fuir avant un bombardement. De retour à la base, le commissaire Kovalenko les remotive mais il est alors abattu par un tir de sniper.
Le major explique aux filles que leurs coups d'éclat, et ceux de Sara en particulier, surnommée par les allemands "la chienne rouge", leur valent un nouvel adversaire. Il s'agit d'un sniper redoutable qui les défie ouvertement et remonte le moral de ses frères d'armes. C'est lui qui a tué le commissaire Kovalenko, et Raisa veut qu'il soit tué. L'équipe des tireuses doit manoeuvrer à découvert pour piéger des allemands et leur sniper. Mais la présence d'un avion de reconnaissance ennemi les olbige à prendre des risques inconsidérés et plusieurs d'entre elles meurent sous les balles et les bombes ennemies. Sara comprend qu'elle doit débusquer seul son rival avant que ses "soeurs" ne soient ses victimes.
Depuis qu'elles se connaissent, Rina et Sara ont toujours entretenu une relation conflictuelle, dûe à leurs forts caractères. Mais les compétences de Sara sont respectées par Rina qui cherche surtout à comprendre le malaise de sa camarade. sara lui raconte comment, lors d'une remise de décoration par Staline, elle a surpris une conversation au sujet du village de sa famille, rasé non pas par les nazis mais par les russes pour tester la loyauté des habitants en cas d'attaque ennemie. A la nuit tombée, alors que ses "soeurs" dorment, Sara file traquer le sniper...
Je ne suis pas friand des récits de guerre, et avec la guerre en Ukraine actuellement, il faut tomber sur une histoire vraiment exceptionnelle pour encore avoir de l'appétit pour se plonger dans ce genre. Mais, à la vérité, j'ai lu Sara pour la première fois il y a près de deux ans lors de sa parution en français chez Panini Comics, l'album m'ayant été offert pour Noël.
Publiée à l'origine par TKO Studios , une maison dont je ne connaissais rien sinon qu'elle était récente (fondée en 2017) et spécialisée dans les mini-séries, Sara bénéficie d'une équiope créative de premier plan avec le scénariste Garth Ennis (The Punisher) et le dessinateur Steve Epting (Captain America) sans oublier la coloriste Elizabeth Breitweiser. C'est un récit complet en six chapitres, que son auteur lui-même considère comme son meilleur travail.
Il faut dire que Garth Ennis est un spécialiste de ce genre de fiction s'appuyant sur des faits réels. Il ne transige pas avec la reconstitution historique et vous pouvez être sûr que tout, absolument tout, est authentique, des armes aux lieux en passant par les uniformes et le contexte. Cette exigence est manifeste dans Sara, qui prend sa source dans la vie de Lioudmila Pavlitchenko, une tireuse d'élite surnommée "Lady Death", et à qui on a attribuée plus de 300 soldats nazis abattus.
Ennis revient donc sur la campagne allemande en union soviétique lors de l'hiver 1942. Des femmes étaient alors recrutées par l'armée pour soutneir l'effort de guerre à divers niveaux, et certaines devinrent snipers. Le scénariste souligne qu'elles n'avaient pas d'équivalents masculins, même si, lors su siège de Leningrad, on sait que des tireurs délite russes bataillèrent avec leurs rivaux allemands (ceci avait d'ailleurs inspiré l'ultime script de Sergio Leone qui voulut en tirer un long métrage - projet longtemps après concrétisé par Jean-Jacques Annaud).
Mais ici, le cadre n'est pas urbain, on suit ces femmes en mission dans des forêts apr un hiver glacial. Entre elles, aucun esprit de compétition, plutôt un esprit de ruche, une solidarité à toute épreuve. Sur leur passé, Ennis en dit peu, se concentrant sur Sara dont on apprendra dans quelles circonstances elle fut formée par un sniper expérimenté et intransigeant, mais aussi mue par un malaise remontant à une duperie de son état-major, découverte lors d'une remise de médaille par Joseph Staline. Celle qui pensait que sa famille avait été exterminée par des nazis et s'était depuis juré de tous les tuer racontera avoir surpris une discussion entre gradés au sujet du massacre de villageois par l'armée russe afin de tester leur loyauté à la Mère Patrie face à l'ennemi.
Cette scène est d'une puissance émotionnelle bouleversante, exposant toute la cruauté du régime soviétique. Comme son professeur lui avait enseigné à déshumaniser ses cibles, Sara est devenue une tueuse désenchantée, méprisant la commissaire politique Raisa, quitte à éveiller ses oupçons et à passer pour une rebelle comme son amie Rina la met en garde.
Le récit progresse en ligne droite, ponctuée par des flashbacks brefs et acérés. Parfois Ennis s'autorise une pointe d'humour noir, notamment avec le personnage de Vera qui assiste les hommes lors des interrogatoires de prisonniers et campe la figure la plus maternelle du groupe. Les missions sont décrites avec précision eet montrent le danger constant, appuie sur la notion de sacrifice, le fait que ces femmes sont de la chair en canon envoyées pour préparer les grandes manoeuvres. Habillées avec des combinaisoons blanches pour passer inaperçues dans les forêts et les plaines enneigées, elles ressemblent presque à des nonnes, virginales, et fatales à la fois.
Steve Epting illustre cette histoire de manière magistrale, est-ce besoin de le préciser. La carrière de ce désormais vétéran des comics, entamée dans les années 90, et marquée par les figures classiques comme John Buscema mais aussi John Bellamy, a connu son point culminant avec son run sur Captain America, alors écrit par Ed Brubaker. Depuis, toutefois, il semble ne plus se fixer sur un titre ou un éditeur, oeuvrant chez DC, mais aussi chez des indépendants.
Avec Ennis, il retrouve un partenaire à sa mesure, dont il a visiblement envie de servir le script avec toute sa technique. On a plaisir à lire ces planches souvent renversantes, à la fluidité narrative impressionnante, avec des jeux d'ombre et de lumière que les couleurs d'Elizabeth Breitweiser mettent comme nul autre en valeur (ils avaient déjà collaboré sur Velvet de Ed Brubaker).
Mais l'art d'Epting est en quelque sorte trop beau pour être remarqué à sa juste mesure. Car tout a l'air si simple, si classique, qu'on ne remarque pas forcément les efforts déployés pour accompagner si bien kle récit. Comme un musicien virtuose, Epting joue la partition à la perfection et le lecteur peut prendre cela pour quelque chose de normal, alors que c'est le produit d'une technique et d'une expérience à leur pic.
Epting sait, comme peu de ses pairs, mettre en scène des pages où rien ne se passe, lorsque Sara attend le bon moment pour exécuter ses cibles, perchée dans un arbre. De la même manière, son dessin naturaliste, descriptif nous invite dans la baraque des filles et on croirait y être à leurs côtés, chaque détail est saissisant, avec les couchettes rudimentaires, le feu qui craque, la lampe à huile suspendue, la table en bois massif, les bancs, le miroir troublé. Quand il s'agit de représenter des équipements, comme les chars d'assaut ou les fusils, Epting montre qu'il s'est documenté pour que ses images correspondent plus que parfaitement à la réalité exigée par Ennis. C'est vraiment impressionnant.
Mais les deux partenaires se surpassent dans les deux derniers chapitres avec la menace d'un sniper dans les rangs ennemis et le fait que Sara est devenue la femme à abattre (quand bien même elle explique à ses "soeurs" que ses exploits rejaillissent sur toute leur compagnie et les exposent autant qu'elle). Sara comprend alors qu'elle doit aller chercher cet adversaire, seule, pour protéger ses amies et démoraliser les nazis, requinqués. Il serait criminel de dévoiler le dénouement mais l'issue de cet affrontement tient toutes ses promesses et la dernière page de la série nous laisse sur une note terrible, captée par une pleine page somptueuse.
Sara est un chef d'oeuvre, une mini-série effectivement magistrale, le sommet de son scénariste (même si je connais peu son travail, n'ayant jamais apprécié The Boys ou The Preacher, mais ayant adoré son Fury Max avec Goran Parlov, transcendé par un artiste sensationnel.
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