Cette troisième partie de The Black Forest correspondant à Fables #153 met l'accent sur la famille de Bigby Wolf et Blanche Neige et leurs enfants. De fait, Bill Willingham et Mark Buckingham exploitent vraiment le décor de la Forêt Noire où chacun des protagonistes va faire des rencontres, en particulier Ambrose. Une sorte de parenthèse donc, mais loin d'être close à l'issue de ce n°...
Après avoir envoyé leurs enfants en quête d'une grande aventure, Bigby se voit reprocher par Blanche Neige son attitude car elle redoute qu'ils fassent de mauvaises rencontres dans la forêt.
Cependant, à Manhattan, Cendrillon a loué une chambre dans un bel hôtel et se demande ce qu'elle va faire de ses talents désormais. Un flash info à la télé lui donne une idée.
De son côté, Gwen révise les enseignements du précédent Jack in the Green. Celui-ci lui indique qu'elle doit, comme toute héroïne, se trouvait une mission afin de prouver sa valeur.
Ambrose, le moins dégourdi de la meute de Bigby et Blanche Neige, croise la route de Mr. Kyrk qui l'invite dans sa cabane pleine de livres. Mais il a de mauvaises intentions...
Ce résumé vous fera remarquer qu'il y a une notion qui parcourt tout l'épisode : celle de la quête. Et qu'est-ce qu'une fable, sinon un récit pourvu d'une morale après avoir traversé une épreuve qui doit vous enseigner une leçon ? C'est ce que vont expérimenter les protagonistes de l'histoire.
Bill Willingham n'a vraiment rien perdu de son adresse narrative. Bien qu'il n'a pas écrit cette série depuis dix ans, il la maîtrise comme s'il l'avait quittée la veille, et c'est déjà épatant. Ce qui l'est peut-être plus encore, c'est sa capacité à mener de front plusieurs subplots sans égarer le lecteur, grâce, justement, au thème commun de ces intrigues.
Il y a quelque chose d'assez fascinant à lire Fables pour cela. Tout est simple, compréhensible, et en même temps riche, consistant. C'est captivant sans que ça ait l'air d'être difficile à écrire et encore moins à résumer. Cette simplicité apparente devrait inspirer d'autres auteurs qui croient accoucher de récits sophistiqués en déconstruisant à outrance, en jouant avec la chronologie des faits. Personnellement, je trouve que ce qu'accomplit Willingham est une sorte de leçon : il ne cherche pas à vous épater, à vous prendre de haut, au contraire il vous prend la main et de l'autre vous saisit à la gorge quand vous vous y attendez le moins.
Le coeur de cet épisode, ce sont donc les enfants de Bigby Wolf et Blanche Neige. Parce qu'il voulait construire la maison familiale en paix, bigby a envoyé sa progéniture s'aventurer dans les bois environnants avec pour mission d'en revenir avec une histoire. Blanche Neige commence à s'inquiéter car elle craint que la forêt ne soit trop dangereuse pour les enfants, quand bien même sont-ils pourvus de pouvoirs et habitués à traverser des épreuves. Bigby trouve qu'elle prend peut-être tout ça un peu trop à coeur...
Parce qu'il a sans doute bien structuré son arc de douze épisodes et sait qu'il aura du temps à consacrer à chacun des enfants du couple, Willingham privilégie Ambrose, le moins dégourdi de la meute, ce petit rondouillard rêveur, épris de littérature. Evidemment, il va croiser un personnage trop aimable et affable pour être honnête : c'est prévisible et pourtant on frémit pour lui car ce Mr. Kyrk (de son vrai nom Yosepheus Jadpoplar Kyrkogrim) n'est effectivement pas fiable.
Pour tenir le lecteur en haleine, jouer sa partition sur le même ton est une erreur, il faut des pauses, des envolées. Pour Willingham, cela se traduit par des scènes qui viennent ponctuer la promenade de Ambrose et qui permettent de ne pas perdre le contact avec d'autres personnages de la série depuis sa reprise. S'il choisit de nous priver de la suite des manoeuvres de Peter Pan et de Clochette, le scénariste revient sur les situations de Cendrillon et Gwen.
Pour Cendrillon, qui est revenue d'entre les morts, et qui se demande que faire de sa nouvelle vie, avec les multiples talents dont elle est dotés, dans sa chambre luxueuse d'un hôtel à Manhattan, l'inspiration vient à point quand elle surprend un flash info relatant une affaire pour laquelle elle se sent taillée. A suivre.
Et puis on revient à Gwen, cette jeune femme rousse et impertinente qui vient, cavalièrement, de retirer son titre à Jack in the Green en s'installant chez lui qui plus est. Pas trop rancunier, il l'instruit pour qu'elle s'améliore. Puis on devine une astuce, qui demande à être confirmée, quand il l'invite à se trouver une mission qui prouvera à tous sa véritable valeur, sa véritable légitimité à portr son titre. Cherche-t-il à s'en débarrasser ? Ou vraiment à l'aguerrir ? Là encore, à suivre.
Mark Buckingham fait de chaque planche une oeuvre d'art. On retrouve son goût pour les bordures ouvragées, et surtout le découpage simplissime, avec peu de cases par page, mais à la fluidité incomparable.
Au fond, ce n'est pas étonnant que Buck' se soit imposé comme l'artiste de la série (alors que c'est Lan Medina qui l'avait précédé sur le premier arc et qui aurait dû ensuite alterner avec lui). Comme Willingham, le dessinateur sait parfaitemetn que rien ne sert de faire compliquer : il faut dessiner clair et juste.
Prenez la scène de dispute entre Bigby et Blanche Neige : c'est très classique, avec des champs-contrechamps. Mais l'essentiel est ailleurs : dans la contrariété exprimée par Blanche et la désolation de Bigby. Si bien que, lorsqu'elle commence à lui reprocher non pas seulement d'avoir envoyé leurs enfants dans une forêt hostile mais à vouloir revenir sur toutes les erreurs qu'il a commises comme père, c'est à la fois drôle et touchant de voir l'accablement de Bigby.
Quand Buckingham traite en une planche la scène avec Cendrillon, il dispose quatre bandes, dont trois avec des cases qui occupent toute la largeur de la planche (bordures exceptées). Il compose ainsi chaque plan autour du personnage en détaillant le luxe de son intérieur mais aussi en pointant le négligé élégant qu'elle porte, les poses à la fois lascives et attentistes qu'elle prend. Pour terminer par un plan serré sur son visage alors que le son de la télé nous informe, elle et nous, d'une news accrocheuse.
Dans le cas de Gwen et Jack, Buckingham préfère miser sur des cases verticales, avec un "gaufrier" léger (quatre vignettes) où tour à tour les deux personnages sont dans le même plan ou sont séparés bien qu'étant dans la même pièce. Cela souligne encore le dialogue qui est à la fois un échange et une volonté de dominer l'autre, soit par l'autorité (chez Gwen), soit par la malice (chez Jack).
Mais bien entendu, c'est avec Ambrose et Mr. Kyrk que Buckingham peut le plus s'exprimer narrativement et laisse éclater son génie pour les décors. Les extérieurs comme les intérieurs en disent aussi long, sinon plus, que les attitudes et expressions. La cabane de Mr. Kyrk est en fait bâtie avec des livres tout comme l'intégralité de son mobilier. Une fois dans la petite maison, cet espace d'abord agréable devient oppressant et révèle la vraie nature de son propriétaire. Implacable.
Pour tout cela, cette habilité remarquable dans les narrations écrites et graphiques, Fables est déjà un régal. Mais aujoutez-y une (ou plutôt des) histoire(s) captivantes, et vous ne pouvez plus résister.
La variant cover de Mark Buckingham.
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