Si Shingouzlooz Inc. se lit facilement et respecte les codes de la série Valérian, avec les voyages spatio-temporels, l'aventure exotique, une part égale dévolue aussi bien à Valérian qu'à sa partenaire Laureline, convoquant des seconds rôles familiers (les trois Shingouz, M; Albert), j'avoue que certains points m'ont fait tiquer.
Christin a souvent injecté des éléments socio-politiques dans ces histoires, de manière subtile mais complexe, autant de qualités que je ne retrouve pas chez Lupano qui n'a jamais fait mystère de ses sympathies pour la (extrême) gauche. Et cela alourdit de façon maladroite un récit qui n'avait pas besoin de ça.
Un peu comme dans Black Panther : Wakanda Forever où Ryan Coogler appelle tous les personnages blancs des "colonisateurs", Lupano désigne tous les tenants du capitalistes comme des escrocs, des voleurs, des crapules. Cette vision manichéenne et partisane fait passer les dialogues pour un manifeste mélenchoniste franchement affligeant. Heureusement qu'il n'y a pas d'américains dans l'intrigue, sinon on peut parier qu'il serait dépeints comme des suppôts de Satan...
En tout cas, la caractérisation de Zi-Pone comme de Sha-Oo est on ne peut plus grossière et si les Shingouz sont un peu moins maltraités, c'est à l'évidence parce que Lupano leur conserve la sympathie qu'on a pour ces pieds nickelés incapables de convertir leur business en réussite, sinon il aurait droit au même regard sans concessions (dans le monde de Lupano, si tu as de l'argent, c'est qu'il y a forcément un loup...).
Enlevez tout ce charabia et Shingouzlooz aurait été une bien meilleure BD, car le rythme y est, la répartition des rôles entre Valérian et Laureline (lui les mains dans le cambouis, elle dans le feu de l'action), sont là. Dommage.
Le véritable intérêt de l'entreprise repose alors sur Matthieu Lauffray et il ne déçoit pas. Le dessinateur s'empare des personnages avec l'aisance des grands, facilement, avec personnalité. Son respect pour Mézières, cet artiste génial qui aura été pompé sans vergogne par George Lucas sans que le public américain le sache, transpire à chaque page et Lauffray a à coeur d'être à la hauteur de son maître sans le singer.
Surtout on voit bien que, comme beaucoup de fans, ce qu'il adore dans Valérian, c'est... Laureline, cette héroïne d'une modernité incroyable, la première femme qui n'a pas servi de faire-valoir au héros mâle, plus maline, plus combative, et surtout plus canon que toutes les autres. Lauffray adresse des clins d'oeil aux fans de la série en la montrant dans des tenues qu'elle a portées dans des albums emblématiques (comme Brooklyn station terminus Cosmos notamment).
Il nous gratifie aussi de doubles pages somptueuses, démontrant encore une fois son talent pour composer des images à couper le souffle. De ce point de vue, la maîtrise de Lauffray pour le grand spectacle est sans égal dans la BD franco-belge.
C'est donc, scénaristiquement du moins, en deçà de la production de Christin et Mézières. Mais si vous aimez Lauffray et que vous êtes un inconditionnel de Valérian (et Laureline), Shingouzloooz Inc. ne dépareillera pas dans votre collection.
(Maintenant, si Christin convainc Matthieu Bonhomme de s'essayer à l'exercice, je serai comblé.)
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