mardi 28 février 2023

VALERIAN : SHINGOUZLOOZ INC., de Wilfrid Lupano et Matthieu Lauffray


Sorti en 2017, cet album de Valérian a été proposé par Pierre Christin et le regretté Jean-Claude Mézières (mort l'an dernier) à Wilfrid Lupano et Matthieu Lauffray après un premier one-shot réalisé par Manu Larcenet (L'armure du Jakolass). Les deux créateurs de l'agent spatio-temporel voulaient que leur héros puisse être réinterprété par des auteurs triés sur le volet. Résultat : un récit complet de bonne facture, qui vaut surtout pour les dessins de Lauffray.



Alors qu'ils procédent à l'arrestation de l'androïde Zi-Pone, escroc intergalactique, Valérian et Laureline voient débarquer leur ami M. Albert à la poursuite des Shingouz. La raison de cette empoignade ? Les Shingouz ont créé une société qui cherche grâce à des sondes des mondes inahbités à vendre. Mais en remontant trop loin dans l'espace et donc le temps, ils ont trouvé la Terre avant que toute forme de vie n'y apparaisse...
 

Propriétaires de la Terre, ils l'ont ensuite perdu au jeu en affrontant Sha-Oo, un assoiffeur cosmique qui revend de l'eau partout dans l'univers à des planètes qui en manquent. Il risque désormais d'assécher la Terre et d'empêcher la naissance de la vie ! Laureline et M; Albert partent tenter de négocier avec Sha-Oo pendant que Valérian répare le vaisseau des Shingouz et de retrouver Zi-Pone, avalé par un Qwanthon, un poisson qu'il pêchait pour un cuisinier recevant la pègre...


Qui sait ce qu'il adviendra de Valérian et Laureline après la mort (qu'on souhaite la plus tardive possible) de Pierre Christin ? Mais il est possible que le scénariste ne souhaite pas que les héros qu'il a créés avec le regretté Jean-Claude Mézières, disparu en 2022, en reste là et que d'autres auteurs le reprennent.


Christin et Mézières avaient déjà autorisé Manu Larcenet à réaliser un one-shot, L'Armure du Jakolass en 2011, mais le résultat fut diversement accueilli par les fans - je me garderai de tout jugement car je n'e l'ai pas lu.. Néanmoins, on peut voir dans cette autorisation une volonté des deux créateurs de tester à la fois un possible repreneur et les fans de la série dans l'éventualité d'une continuation du titre après leur disparition.


Re-belote en 2017 avec ce Shingouzlooz Inc. que Matthieu Lauffray voulait concrétiser pour rendre hommage à la série qu'il lisait enfant. Lauffray est une vedette du 9ème Art en France depuis le succès de Long John Silver (écrit par Xavier Dorison) et de son propre projet, Prophet (commencé avec Dorison également et poursuivi puis achevé après de multiples péripéties éditoriales et créatives).
 
Ne se sentant peut-être de tout faire tout seul, Lauffray a demandé au scénariste-vedette des Vieux Fourneaux, Wilfrid Lupano, de rédiger un script. Une drôle d'association entre cet artiste spectaculaire et cet auteur versé dans le social qui aboutit donc logiquement à un produit fini un peu boîteux.

Si Shingouzlooz Inc. se lit facilement et respecte les codes de la série Valérian, avec les voyages spatio-temporels, l'aventure exotique, une part égale dévolue aussi bien à Valérian qu'à sa partenaire Laureline, convoquant des seconds rôles familiers (les trois Shingouz, M; Albert), j'avoue que certains points m'ont fait tiquer.

Christin a souvent injecté des éléments socio-politiques dans ces histoires, de manière subtile mais complexe, autant de qualités que je ne retrouve pas chez Lupano qui n'a jamais fait mystère de ses sympathies pour la (extrême) gauche. Et cela alourdit de façon maladroite un récit qui n'avait pas besoin de ça.

Un peu comme dans Black Panther : Wakanda Forever où Ryan Coogler appelle tous les personnages blancs des "colonisateurs", Lupano désigne tous les tenants du capitalistes comme des escrocs, des voleurs, des crapules. Cette vision manichéenne et partisane fait passer les dialogues pour un manifeste mélenchoniste franchement affligeant. Heureusement qu'il n'y a pas d'américains dans l'intrigue, sinon on peut parier qu'il serait dépeints comme des suppôts de Satan...

En tout cas, la caractérisation de Zi-Pone comme de Sha-Oo est on ne peut plus grossière et si les Shingouz sont un peu moins maltraités, c'est à l'évidence parce que Lupano leur conserve la sympathie qu'on a pour ces pieds nickelés incapables de convertir leur business en réussite, sinon il aurait droit au même regard sans concessions (dans le monde de Lupano, si tu as de l'argent, c'est qu'il y a forcément un loup...).

Enlevez tout ce charabia et Shingouzlooz aurait été une bien meilleure BD, car le rythme y est, la répartition des rôles entre Valérian et Laureline (lui les mains dans le cambouis, elle dans le feu de l'action), sont là. Dommage.

Le véritable intérêt de l'entreprise repose alors sur Matthieu Lauffray et il ne déçoit pas. Le dessinateur s'empare des personnages avec l'aisance des grands, facilement, avec personnalité. Son respect pour Mézières, cet artiste génial qui aura été pompé sans vergogne par George Lucas sans que le public américain le sache, transpire à chaque page et Lauffray a à coeur d'être à la hauteur de son maître sans le singer.

Surtout on voit bien que, comme beaucoup de fans, ce qu'il adore dans Valérian, c'est... Laureline, cette héroïne d'une modernité incroyable, la première femme qui n'a pas servi de faire-valoir au héros mâle, plus maline, plus combative, et surtout plus canon que toutes les autres. Lauffray adresse des clins d'oeil aux fans de la série en la montrant dans des tenues qu'elle a portées dans des albums emblématiques (comme Brooklyn station terminus Cosmos notamment).

Il nous gratifie aussi de doubles pages somptueuses, démontrant encore une fois son talent pour composer des images à couper le souffle. De ce point de vue, la maîtrise de Lauffray pour le grand spectacle est sans égal dans la BD franco-belge.

C'est donc, scénaristiquement du moins, en deçà de la production de Christin et Mézières. Mais si vous aimez Lauffray et que vous êtes un inconditionnel de Valérian (et Laureline), Shingouzloooz Inc. ne dépareillera pas dans votre collection.

(Maintenant, si Christin convainc Matthieu Bonhomme de s'essayer à l'exercice, je serai comblé.)

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