Si les deux premiers épisodes de Danger Street pouvaient interroger le lecteur, soucieux de savoir comment Tom King allait relier des personnages aussi nombreux et différents, ce troisième chapitre montre avec quel brio le scénariste mène son affaire. Jorge Fornes applique à ce récit fou une narration graphique impressionnante de calme, qui, elle aussi, à sa façon, rassure le lecteur.
La mort d'Atlas conduit le Haut-Père de New Genesis et Darkseid d'Apokolips à demander conseil à Metron : il confie à Orion le soin de mener l'enquête sur Terre. Starman et Warlord, sans le sou et cherchant à ressuciter Goodlooks, se tournent vers Cecil Sunbeam de la Green Team. Commodore Murphy échappe de justesse à une tentative d'assassinat par le Manhunter. Enfin, Liza Warner identifie celui qui a tué Goodlooks mais Non-Fat accède à l'info peu après...
Il y a quelque chose d'éminemment ludique dans la lecture de Danger Street même si les règles du jeu ne sont pas immédiatement claires. Il s'agit en fait, au moins dans un premier temps, car après tout nous n'en sommes qu'au quart de cette mini-série, de suivre plusieurs personnages sans lien apparent et de justement trouver ce qui va les attacher.
Ainsi on croise des Néo-Dieux, des assassins professionnels, deux super-héros à la ramasse et en cavale, une femme flic, une bande de gamins des rues, une autre bande de gosses richissimes, un justicier pyschopathe. Dans les deux épisodes précédents, Tom King nous a présentés ce beau monde et nous, lecteurs, nous nous sommes questionnés si cette intrigue les concernait tous au même titre.
Avec ce troisième chapitre, on commence à y voir (beaucoup) plus clair. Cela ne signifie pas que tout est devenu évident, il reste des zones troubles, mais tel un puzzle, le récit commence à prendre forme par des connections inattendues et pourtant logiques entre ces ddivers personnages.
La mort d'Atlas, survenu à la fin du premier épisode, est devenu une affaire dimportance cosmique depuis que les Néo-Dieux ont enterré la hâche de guerre pour la résoudre, craignant qu'elle n'annonce la fin de leurs mondes. Metron renseigne le Haut-Père de New Genesis et Darkseid d'Apokolips sur le lieu du crime, la Terre. Les deux leaders s'entendent pour désigner un des leurs qui ménera l'enquête et sera assez compétent pour punir le coupable. Tom King use d'ironie en choisissant Orion, le fils de Darkseid, elevé par le Haut-Père, et connu notoirement pour son caractère violent : on devine facilement que ses investigations ne vont pas être pacifiques.
Danger Street met souvent en scène des paires de personages, quand ce ne sont pas des paires de groupes, comme un jeu des sept familles. Ainsi, d'un bout à l'autre des possibles, il y a deux bandes de gamins : d'un côté, les Dingbats de Danger Street qui viennent de perdre un des leurs (Goodlocks, tué accidentellement par Starman, juste après le meurtre d'Atlas) et qui conviennent de le venger en tuant son assassin ; de l'autre, la Green Team, qui emploie Jack Ryder(the Creeper, mais aussi Codename : Assassin, qui persécutent le mystérieux groupuscule de Outsiders.
Les Dingbats se font surprendre par le propriétaire de la piscine privée dans laquelle ils se détendent tout en réfléchissant à leur vengeance. Cela conduit Non-Fat au poste de police où il est entendu par Liza Warner, qui, justement, enquête sur la mort de Goodlooks. Ce concours de circonstances aboutit à la découverte par Non-Fat de l'identité du principal suspect du meurtre de Goodlocks : Starman. King fait la preuve en deux scènes de la manière si brillante avec laquelle il relie deux quêtes visant le même objet (Starman, que veut arrêter Liza et que veulent tuer les Dingbats).
La Green Team, justement, va entrer en contact avec Starman, en cavale avec Warlord, depuis les morts d'Arlas et Goodlooks. Mikaal Tomas (Starman) veut ressuciter le garçon tandis que Travs Morgan (Warlord), plus pragmatique, cherche plutôt de l'argent facile à gagner pour financer leur fuite. C'est ainsi qu'ils font appel à Cecil Sunbeam, un des membres de la Green Team. On voit donc que les deux bandes d'adolescents sont désormais reliées par Starman dont les Dingbats veulent la mort et que la Green Team accepte de protéger (sans toutefois savoir ce qu'il a commis).
Jorge Fornes met en scène tout cela très simplement. Qu'il s'agisse d'animer les Néo-Dieux ou les deux bandes de gamins ou le duo de fugitifs, il ne varie pas d'un iota son approche. A chaque fois, il les appréhende sous un angle le plus commun possible.
C'est un pari de mise en scène risqué mais que je trouve payant, car ce qui singularise les personnages, ce n'est plus tant le cadre dans lequel ils sont, mais bien leurs actes, leurs décisions. La différence d'échelle est soulignée par l'aspect fantastique, fantaisiste des uns et des autres, mais fondamentalement, tous, autant qu'ils sont, cherchent à agir/réagir pour se sauver.
La scène la plus emblématique des narrations écrite et graphique de King et Fornes est peut-être celle lors de laquelle Commodore Murphy, un des membres de la Green Team, échappe de justesse, grâce à la vigilance de Codename : Assassin, son garde du corps, à une tentative d'assassinat par le Manhunter. King introduit la situation d'une façon très classique en montrant d'abord le Manhunter visant avec un fusil à lunette Murphy. Puis Fornes cadre Murphy et Codename : Assassin qui empêche le premier de sortir du building où ils sont. Codename : Assassin tire en l'air puis s'envole jusqu'à la fenêtre brisée d'une chambre d'hôtel où le Manhunter a abandonné son fusil.
King introduit un subplot, détaché des autres, avec la traque et le face-à-face inévitable entre Codename : Assassin et le Manhunter, et au-delà entre la Green Team et l'organisation à laquelle appartient le Manhunter. Comme pour l'instant, les adversaires restent à distance, jamais ils n'apparaissent dans le même plan. Mais chacun sait désormais qu'il est dans la ligne de mire de l'autre.
Le découpage strict de Fornes met en lumière le rapport instauré par King en distinguant bien les forces en présence. Qu'il s'agisse des Néo-Dieux, des Dingbats, de la Green Team, de l'organisation des Manhunters, de "Lady Cop", du Creeper, de Warlord et Starman, pour l'instant, tout le monde est sur un (quasi) pied d'égalité. Tout le monde est menacé, mais ignore exactement par qui, et c'est le calme avant la tempête.
On peut donc se rendre compte à quel point le script se déroule comme une partition : l'écriture de King a ici quelque chose de musical, avec des tableaux correspondant à chacune des forces en présence. Il ne suffit pas de savoir, dans certains cas, qui on cherche puisqu'il faut encore savoir où le trouver (Starman et Warlord pour les Dingbats ou Orion notamment). Fornes joue cette partition en respectant chaque note et transcrit ça sur sa propre portée, en veillant à ne jamais perdre le lecteur, en veillant à ce qu'on sache toujours où et avec qui et quand on est.
Une telle complicité, surtout pour une histoire aussi dense et peuplée, est formidable. Et Danger Street confirme sa singularité et sa capacité à captiver grâce à cela. On n'a sûrement pas fini d'être étonné et épaté.
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