Cela faisait longtemps que je n'avais pas parlé d'une bande dessinée française, mais il me faut bien avouer que je n'en lis plus - nou, pour être exact, que je ne lis plus beaucoup de nouveautés. Pourtant j'ai craqué pour ce récit complet, adapté du roman de Flore Vesco par Kerascoët, De Cape et de Mots. Cette merveille d'une centaine de pages est un régal pour les yeux et l'esprit.
De condition modeste, Serine décide après le décés de son père de quitter sa mère, qui voulait la marier à un bon parti, et ses frères pour tenter sa chance à la cour comme dame de compagnie de la reine. Par un concours de circonstances, celle qu'on prend d'abord pour une domestique devient l'amie d'une lingère, Clarine, qui, en lui confiant des vêtements propres lui donne accès à la reine.
Devant la reine, Serine est prise pour une dame de compagnie et lui sert un compliment incompréhensible mais qui la flatte assez pour qu'elle intègre son personnel. Toutefois, la novice commet vite un impair et pour se faire pardonner accepte de veiller trois nuits. Elle met ce temps à profit pour visiter le château et, le matin venu, rapporter les potins à la reine. Elle rencontre aussi Léon, l'assistant du bourreau, qui lui apprend à lire et écrire, et éconduit le secrétaire du roi, Léo III, qui entreprend alors de la faire chasser.
Il croit y parvenir en la surprenant une nuit et en la poursuivant. Serine fait une chute, s'assomme et le secrétaire la jette dans les douves du château. Mais elle survit miraculeusement et trouve refuge dans une chambre abandonnée avant la ferme intention de se venger. Pour cela, elle se déguise en fou du roi et commence à semer la pagaille. Le roi, amusé, la prend en sympathie, au grand dam du secrétaire et de la reine.
Serine dévoile sa double identité à Léon et suspecte alors la reine et le secrétaire de conspirer pour tuer le roi en l'empoisonnant. Toutefois, il faut encore le prouver et pour cela prendre encore plus de risque. Heureusement elle conserve la confiance du roi et semble intouchable. Mais quand une première tentative de meurtre échoue, Serine comprend que sa position est précaire.
Ironie du sort : c'est après lui avoir demandé de le laisser seul après l'envoi d'un courrier que le roi meurt accidentellement. Serine, la dernière à avoir été en sa compagnie, est immédiatement arrêtée et démasquée puis jugée. Léon assiste au procès avec Clarine et reçoit alors la réponse au courrier du roi qui le reconnaît comme le fils qu'il a eu avec sa première femme, morte en couches.
Le juge prend note de ce retournement de situation mais le secrétaire déclenche alors une bagarre pour tenter de se débarrasser de l'héritier du trône et de Serine. Les lingères les défendent avant que le juge ordonne le bannissement de la reine et du secrétaire. Léon demande la main de Serine, qui, de l'autre, écrit à sa mère pour la prévenir de sa prochaine visite afin qu'elle et ses frères viennent habiter au château.
On n'est pas si loin des codes super-héroïques avec De Cape et de Mots et c'est pour cela que j'ai voulu écrire une critique à son sujet. Mais pas seulement car, avant tout, c'est un excellent récit complet, que je souhaite vous recommander vivement.
Je n'ai pas lu le roman, du même titre, de Flore Vesco dont cette bande dessinée est adaptée, mais l'auteur a, me semble-t-il, été consultée, voire a participé à l'écriture du scénario, donc on peut raisonnablement estimer que le résultat est fidèle au matériau d'origine. Toute comme les BD franco-belges, je n'ai plus guère le temps ni la motivation pour me plonger dans de la littérature romanesque, ce que je déplore.
De Cape et de Mots est un récit complet, toute l'histoire tient donc dans les 104 pages de cet album édité par Dargaud (et déjà traduit en anglais chez Europe Comics sous le titre The Court Charade, précision nécessaire pour justifier que les textes des scans des planches ci-dessus soient en anglais). L'entame de l'intrigue est classique : on y fait la connaissance de Serine, jeune fille entourée de ses petits frères, et dont la mère autoritaire veut la marier à un bon parti. Son père est un homme effacé et à la santé fragile, qui régale sa progéniture en leur lisant des histoires comme L'Odyssée de Homère.
Lorsqu'il meurt, après être tombé malade, Serine part de chez elle car elle s'est jurée de suivre son propre chemin, donc de ne pas dépendre des désirs de sa mère. Elle va tenter sa chance au château pour devenir dame de compagnie de la reine, pourtant réputée comme une femme impitoyable et capricieuse, et alors qu'elle n'a ni recommandation ni compétence particulière. Une succession de péripéties la conduit devant elle et une flatterie loufoque suffit à lui faire gagner la place.
Dans un premier temps, Serine doit affronter la concurrence des autres dames de compagnies, notamment de Christante, jalouse de cette fille de la campagne qui n'a qu'une robe à se mettre et dont elle jalouse l'aplomb et la chance insolente. Sans doute un peu grisée elle-même, Serine commet un impair auprès de la reine et pour qu'elle lui pardonne lui propose de veiller trois nuits consécutives afin qu'elle reste au courant de tout ce qui se passe au château.
Cela donne des scènes savoureuses, très drôles, où la malice des auteurs fait des étincelles. Il ne s'agit cependant pas de passages gratuits, juste pour divertir puisque Flore Vesco et Kerascoët en profitent pour placer sur la route de Serine des seconds rôles qui vont revêtir une importance cruciale par la suite. Ainsi, il y a, du bon côté, l'assistant du bourreau, Léon, qui apprend à la jeune fille à lire et écrire tout en lui faisant visiter les geôles dont il se vante de les entretenir avec un soin maniaque tout comme il torture ses prisonniers avec raffinement (les prisonniers louent d'ailleurs ses talents !). Du mauvais côté, on trouve le secrétaire du roi, Léo III, et de la reine, qui tente d'abuser de Serine avant qu'elle ne lui flanque une gifle bien méritée - mais qui lui vaudra ensuite bien des ennuis.
Car, entre Christante et le secrétaire, l'héroïne est désormais constamment sur ses gardes. Fautant à nouveau auprès de la reine, elle sacrifie ses cheveux pour s'excuser... Sans se douter que la coupe à la garçonne qu'elle arbore ensute va lui servir précieusement plus tard. Surveillée par le secrétaire et accusée par ce dernier de fouiner, Serine est poursuivie dans le château et perd connaissance en tombant et en se cognant la tête contre un meuble. Le secrétaire jette son corps dans les douves.
C'est en quelque sorte la fin de l'Acte I, même si le récit n'est pas chapitré. Et c'est alors que De Cape et de Mots évoque les codes super-héroïques car Serine survit et veut se venger. Elle adopte alors un identité secrète, celle du fou du roi. Son costume fait penser irrésistiblement à celui que portait Harley Quinn quand Bruce Timm l'a créée, et le rôle qu'elle joue renvoie aussi à Harleen Quinzel puisqu'elle endosse celui du bouffon, celui qui, à coups de farces, ridiculise les puissants en bénéficiant de la protection du roi.
J'ignore si c'était une référence pour Flore Vesco et Kerascoët, mais le fan de comics ne peut s'empêcher de faire ce rapprochement. Cette seconde partie est encore plus endiablée que la première, c'est dire. On se délecte des acrobaties et des bons mots de ce fou, de la façon dont il importune la reine, son secrétaire tout en faisant rire le roi. C'est la comédie par excellence où un personnage d'un rang inférieur se joue des puissants, ce qui attire la sympathie du lecteur.
Bien entendu, la ressemblance avec le super-héro ne s'arrête pas là puisque le suspense nait et s'alimente du risque que court Serine d'être démasquée. Elle confie son secret à Léon et Clarine, ses meilleurs alliés, même si eux aussi sont issus des couches les plus modestes de la société présentée dans l'histoire. La découverte d'un complot visant à éliminer le roi pimente l'intrigue et la fait gagner en intensité.
La fin est un peu convenue et providentielle avec un autre secret, attaché à Léon et au roi, qui sauve la mise à Serine, inévitablement démasquée et à nouveau menacée. Mais le tourbillon de la narration empêche qu'on s'en formalise.
C'est que De Cape et de Mots est aussi un régal pour les yeux. Kerascoët, c'est le nom derrière lequel se cachent deux artistes, Marie Pommepuy et Sébastien Cosset, et cela fait plusieurs années maintenant qu'ils produisent ensemble quelques-unes des pépites de Dargaud et Dupuis, comme les merveilleux Beauté, Jolies Ténèbres ou Voyage en Satanie (les deux derniers écrits avec Fabien Vehlmann).
Ils dessinent en couleurs directes dans un style à la fois naïf, pour les personnages, saisis en peu de traits, à la manière de Jean-Jacques Sempé, et flamboyant, pour les décors, incroyablement beaux et détaillés. Il suffit de voir le niveau de détails des intérieurs du château et de ses innombrables pièces pour être époustouflés par la force graphique de Kerascoët.
Mais le charme de Serine suffit déjà à conquérir le lecteur. Silhouette menue, regard hésitant, mais démarche volontaire, elle déborde d'énergie et ne se décourage jamais. Quand elle revêt son habit de bouffon, elle fait souffler un vent de folie et d'espièglerie dans le château et donne l'occasion à Kerascoët de composer des planches virtuoses, toujours en trois bandes, comme des strips fabuleusement dynamiques, où leur science du découpage fascine par sa fluidité.
Lâchons le mot : c'est un chef d'oeuvre. Alors offrez-vous le, vous ne le regretterez pas !
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