Ce deuxième tome de Lady Killer, paru en 2016 en vo, est encore meilleur que le premier. Cette fois, Joelle Jones est seule aux commandes et son écriture comme son dessin ont gagné en assurance. Surtout elle ne se contente pas d'une suite facile puisqu'elle développe des éléments négligés ou suggérés dans le premier tome. Avant un troisième volume qui est en cours de réalisation...
1963. Josie, Eugene leurs deux filles, et Greta, la mère de ce dernier, ont déménagé sur la Côte Est, en Floride, dans la station balnéaire de Cocoa Beach. Gene a trouvé un nouvel emploi et son patron est marié à une femme plus jeune, Ruth. Josie, elle, travaille à son compte et exécute des contrats avec toujours la même efficacité. Même si elle aurait besoin d'un bon coup de main pour se débarrasser des corps de ses victimes...
Irving, qu'elle avait rencontré à Seattle l'année précédente, resurgit opportunément pour lui proposer une association. Peu après, elle est contactée par Hawley, émissaire du Syndicat qui lui offre de meilleures missions, mieux payées, mais exige qu'elle se sépare d'Irving. Celui-ci le prend évidemment très mal et la belle-mère de Josie va lui révéler des choses inquiétantes sur le passé de cet homme...
Tout comme les nouvelles aventures en Floride de Josie Schuller se déroulent un an après les premières, Joelle Jones n'aura pas tardé à se remettre à l'ouvrage puisque les cinq épisodes de ce tome 2, publiés apr Dark Horse (en vo) et traduit par Glénat, sont sortis un an après les cinq premiers.
Entre-temps, Jones a donc délaissé son éditeur et co-scénariste Jamie S. Rich et sa coloriste Laura Allred, ici remplacée par Michelle Madsen. Ce qui frappe d'emblée, c'est la maturité gagnée dans cette évolution. L'écriture est plus acérée, plus fouillée aussi, le dessin encore meilleur, et la palette de couleurs beaucoup plus convaincante.
La presse américaine a décrit Lady Killer comme le croisement entre Dexter (la série avec Michael C. Hall sur un serial killer) et Mad Men (sur le destin d'un publiciste, Don Draper, dans les années 60), manière de résumer l'ambition de Joelle Jones entre le récit criminel et violent et le look rétro et élégant dans lequel baigne son histoire. C'est exactement ça.
Cocoa Beach offre à Jones un cadre plus ensoleillé que Seattle (même si elle représentait cette ville de manière très flatteuse). On sent surtout que Jones a voulu un décor qui contraste au maxmum avec les actions sanglantes de son héroïne, une série de meurtres au paradis en somme.
Le casting s'étoffe avec le patron d'Eugene, Mr. Robidoux, et son épouse, Ruth. Lui est introduit comme une grande gueule machiste et sans gêne, qui drague ouvertement Josie, fait des blagues pas drôles au dîner, tandis que sa femme embrasse Eugene franchement comme si elle l'invitait à avoir une liaison. Jones va utiliser ce couple de manière habile comme un subplot puisque Robidoux va disparaître mystérieusement, que Gene va être soupçonné d'être mêlé à cette disparition alors que le responsable est un proche de Josie, resurgi de son récent passé.
Josie, justement, poursuit ses activités de tueuse mais elle travaille désormais à son compte après s'être débarrassé de Peck et Stenholm, qui l'embauchaient à Seattle. Il faut donc bien avoir lu le tome 1 avant de plonger dans le 2. Très vite, elle voit réapparaître une connaissance de sa vie dans l'Est avec lequel elle noue une alliance redoutable. Mais qui va être contrariée quand on lui propose un deal très engageant à condition qu'elle se sépare de son partenaire de boulot...
Le rythme à partir de là s'affole et on suit les péripéties suivantes avec jubilation. Josie mais aussi Eugene sont cernés par les difficultés, et c'est sans compter avec Greta, la belle-mère qui va confier de perturbants secrets au sujet de son passé à sa belle-fille. C'est là qu'on voit que Jones a considérablement réfléchi et a appris de ses erreurs sur les cinq premiers épisodes : le background de la série s'est densifié, les personnages gagnent en épaisseur, les situations s'entremêlent et la tension grimpe d'un bon cran.
Il ne s'agit plus d'observer à l'oeuvre Josie sans savoir d'où elle vient (un court flashback, amené à être développé dans le prochain volume en cours de réalisation, nous instruit sur l'enfance de la jeune femme auprès d'une mère désoeuvrée mais qui lui apprend à ne jamais se laisser rabaisser), ni pourquoi elle fait ce qu'elle fait. De façon adroite et troublante se dresse un pont entre Josie et Greta, deux femmes de caractère qui sont aussi des survivantes et qui vont être confrontées à un ennemi commun, apprenant à faire front ensemble. Ce n'est donc pas si surprenant qu'à la fin les deux restent ensemble alors que Gene et ses filles désertent, déboussolés par ce qu'elles ont découvert.
Il est assez rare de dire qu'un auteur complet s'améliore en se délestant de ceux qui l'ont aidé à s'imposer, mais Joelle Jones a grandi en s'émancipant de ses deux plus proches collaborateurs. C'est quelque part un mystére qu'elle n'ait pas réussi à convertir ces atouts en passant chez DC où son dessin a fait merveille mais où ses qualités de scénariste ont paru se briser sur des personnages d'un univers partagé (y compris quand il s'agissait d'une création de sa part, comme Wonder Girl Yara Flor, ou sur Catwoman, qui semblait pourtant taillée pour elle).
Visuellement, ces cinq épisodes sont éblouissants. Jones est une fabuleuse artiste, au trait imparable, expressif et élégantissime. Son encrage est également fantastique, avec des effets de texture admirables, mais surtout un soin épatant apporté à l'épaisseur selon la profondeur de champ de l'image.
Encore une fois, on est ébahi par la méticulosité de la reconstitution d'époque, qu'il s'agisse des véhicules, des maisons (aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur avec un mobilier, des papiers peints à motifs savamment choisis), et les vêtements. Josie reste une gravure de monde, au chic renversant, c'est le côté Mad Men de la série, vintage mais sans être corseté. Même quand elle met en scène l'assassinat d'une danseuse de strip-tease dans sa loge, Jones ne néglige rien, et la séquence finale, nocturne, du réglement de comptes dans la maison, est un modèle de découpage.
Michelle Madsen a remplacé Laura Allred et a apporté à la série des couleurs plus nuancées et aussi plus flamboyantes, qui valorisent le dessin de Jones. J'espère qu'elle reviendra pour les nouveaux épisodes car c'est un renfort appréciable.
Lady Killer est une série unique qui donne à voir le meilleur de son auteur. Ne passez pas à côté, même si vous vous méfiez des histoires de tueuses et que les éclaboussures d'hémoglobine vous répugnent : les qualités de la série dépassent ces caractéristiques.
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