Cette semaine, en raison du peu de sorties que j'ai acquis, je vous ai proposé des critiques de mini-séries que j'avais gardées au cas où. Aujourd'hui, je vais vous parler d'une autre de ces productions mais qui n'a jamais été achevée. Il s'agit de Real Heroes, créée, écrite et dessinée par Bryan Hitch et dont quatre épisodes sur les six prévus sortirent chez Image Comics en 2014, mais restée inédite en vf.
New York. Ce soir, c'est la première de la super-production The Olympians 2 : Devastation et les six acteurs vedettes défilent sur le tapis rouge devant une foule en délire et les journalistes. Le studio qui produit ce blockbuster a promis une grosse surprise à tout le monde et quand débarque un Devastator, méchant robot de l'histoire, grandeur nature, c'est effectivement un choc...
Mais lorsque l'engin se met à tirer sur tout ce qui bouge, la joie fait place à l'effroi. Smitty évacue les acteurs avant que ceux-ci lui demandent qui il est. Il leur révèle alors qu'il les a fait passer dans une autre dimension, sur une Terre semblable à la nôtre où les Olympians ont effectivement existé avant d'être tués par les Devastators, sur ordre de Brainchild et ses mutants...
"Avengers meets Galaxy Quest" : c'est par cette formule que Bryan Hitch résumait son projet en interview avant la publication du premier épisode de Real Heroes. On croirait presque entendre Mark Millar, le scénariste avec lequel il avait animé les deux premiers volumes de The Ultimates au début des années 2000 chez Marvel. Et cette référence ne s'arrête pas là.
En 2014, Bryan Hitch est un dessinateur libre. Son contrat d'exclusivité avec Marvel a expiré depuis 2011. L'année suivante, il se lance pour la première fois dans un projet en creator-owned en illustrant la mini-série America's Got Powers, écrite par Jonathan Ross, déjà pour Image Comics. Puis en 2013, il revient chez Marvel pour dessiner les six premiers épisodes de l'event Age of Ultron, écrit par Brian Michael Bendis. Il se sent alors prêt à assumer le rôle d'auteur complet et ce sera pour Real Heroes.
En 2012 est sorti Avengers, de Joss Whedon, énorme carton au box office pour les studios Marvel. Hitch, depuis toujours associé aux comics spectaculaires, a envie d'en produire un qui serait aussi fun et bigger than life que ce long métrage, mais en y ajoutant une touche méta. Il mixe alors cela avec un autre film, Galaxy Quest, de Dan Parisot, datant de 1999, dans lequel les acteurs d'une série ressemblant à Star Trek sont enlevés par des extra-terrestres croyant qu'ils sont de vrais aventuriers de l'espace.
Un concept qui n'est donc pas original mais malin et accrocheur. Pourtant, Hitch ne complètera jamais son projet en ne finalisant que quatre épisodes sur les six prévus. Il ne s'est jamais expliqué sur cet abandon, d'autant plus surprenant que, en lisant ces quatre numéros, on ne peut vraiment pas dire que l'artiste s'est ménagé ou a bâclé son ouvrage.
Toutefois, des déclarations récentes de Hitch sur Twitter expliquent peut-être en partie ce qui s'est passé. Revenant sur sa productivité beaucoup plus importante aujourd'hui qu'il y a quelques années (il a enchaîné des dizaines d'épisodes de Hawkman et récemment de Venom, en assumant souvent l'encrage, alors qu'au fait de sa gloire, il accumulait les retards), Hitch a avoué avoir suivi une psychothérapie suite à des crises d'angoisse et autres troubles mentaux (sans entrer davantage dans les détails).
S'étant profondément remis en question et organisé en conséquence, il travaille désormais de manière plus disciplinée et apaisée, ce qui a affecté positivement son rendement. Et on peut le vérifier au nombre de projets qu'il a (une mini-série Superman avec Mark Waid ; une autre, RedCoat, avec Geoff Johns, etc.)
Il est donc probable que, lorsqu'il développait Real Heroes, Hitch n'était pas encore sorti de ses problèmes psycho-créatifs, et qu'il a renoncé à son projet pour ménager sa santé. Mais ce n'est qu'une hypothèse. Et qui sait si, un jour prochain, il ne trouvera pas le temps d'enfin achever son ouvrage (même si ça me semble très improbable).
Pour en revenir aux références de Real Heroes et la manière dont Hitch les a intégrées, évidemment il y a une influence Millar dans cette mini-série. Le pitch simple et spectaculaire renvoie à The Ultimates, mais aussi à The Authority (qu'il avait co-créé avec Warren Ellis). Dans le premier épisode, Hitch ose même du name-dropping en représentant et en citant son ami cinéaste Josh Trank, ou en donnant à quelques personnages le physique d'acteurs connus (Chris Reynolds/Olympian ressemble à Chris Pine, Danny Wells/Patriot à Bradley Cooper). Mais ensuite il abandonne ce petit jeu.
L'intrigue est assez aboutie avec un premier épisode très nerveux et grandiose, avec une entame très prometteuse. L'idée que des acteurs jouant des super-héros soient obligés d'être de vrais héros sur une Terre parallèle est savoureuse et on se met facilement à imaginer ce qui arriverait si Chris Evans, Robert Downey Jr. ou Scarlett Johansson (trois des stars de Avengers) seraient capables de faire dans pareilles circonstances.
Hitch pose le problème simplement : les acteurs apprennent des rudiments auprès des cascadeurs, sans avoir leurs compétences (et aussi parce que les assurances refusent de les couvrir en cas de blessures sérieuses s'ils se faisaient mal en ayant voulu ne pas être doublés). Il y aussi la dimension concernant l'interprétation dramatique : à quel point, dans la vraie vie, des stars de cinéma sont-elles capables d'avoir des attitudes aussi valeureuses que les héros qu'ils incarnent à l'écran ?
Malheureusement, la simplicité de Hitch se retourne parfois contre lui car la caractérisation de ses personnages reste trop sommaire pour convaincre. Plus à l'aise dans l'action, il ne prend pas le temps de fouiller la psychologie de ses héros, à part Danny Wells/Patriot, acteur toxico, qui est un pleutre, abusant de sa notoriété pour séduire des groupies. C'est dommage parce que, par ailleurs, son casting est intéressant et il compose un groupe de protagonistes correspondant à des archétypes (Olympian est une sorte de Superman, Patriot un mélange de Captain America et du Punisher, Longbow est la femme archer, Velocity l'équivalent de Flash, Tiny Titan celui de la Guëpe, Hardware celui de Iron Man).
A partir du troisième épisode, Hitch s'embarque dans des explications laborieuses sur les véritables intentions de Smitty qui a enlevé les acteurs pour sauver sa Terre. Dans les mains d'un bon scénariste, ce passage aurait été moins bavard et plus fluide, mais encore une fois, l'artiste est emprunté hors de l'action pure et, d'ailleurs, le quatrième et derneir épisode renoue avec la baston à grande échelle et le catastrophisme sous influence Michael Bay/Roland Emmerich.
Visuellement, donc, Real Heroes s'appuie sur les forces de Hitch et il nous en met plein la vue. Soutenu par ses deux encreurs favoris, Paul Neary et Andrew Currie, et la coloriste Laura Martin, il produit des planches ébourrifantes. Hitch impressionne toujours autant par le niveau incroyable de détails dans son dessin, qu'il s'agisse des costumes des Olympians, au design très réaliste et en même temps reprenant des clichés, ou avec les décors qu'il prend un plaisir fou à démolir.
Les Devastators sont des machines également extraordinaires où le soin apporté aux finitions pour les rendre crédibles est saisissant. En revanche, la galerie des mutants de Brainchild reprend un peu trop paresseusement des créatures déjà dessinées par Hitch dans The Authority ou The Ultimates. Mais ce mix d'énergie et de méticulosité demeure toujours grisant et on ne peut que regretter qu'à deux marches de la fin, Hitch ait laissé son histoire en plan (une belle bagarre s'annonçait pour le n°5).
Comme je le disais plus haut, il est très improbable que Bryan Hitch finisse Real Heroes un jour, quand bien même désormais il est plus productif et grouille de projets aussi bien pour les "Big Two" que pour les indés. Cela condamne les lecteurs intéressés par cette mini-série à la trouver en floppies car évidemment Image Comics n'a jamais publié de recueil (et Panini, qui prévoyait de le traduire en France non plus).
En bonus, les dessins promotionnels de Bryan Hitch pour la parution de Real Heroes :
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