Sorti en Novembre dernier, Batman : One Bad Day - Mr. Freeze est le fruit de la collaboration entre le scénariste Gerry Duggan et le dessinateur Matteo Scalera. Une belle équipe crétive donc pour ce récit complet consacré à un des méchants emblématiques du dark knight, long de 64 pages. Situé dans le passé, ce one-shot revient sur la relation entre Victor et Nora Fries en y jetant un éclairage troublant mais polémique.
Espérant trouver un reméde pour sa femme malade, Victor Fries entrepris de la cryogéniser. Mais cette procédure risquée fut compromise par l'intervention du G.C.P.D. venu arrêter Victor. Résultat : plusieurs officiers de police morts, le caisson de Nora endommagé et la naissance de Mister Freeze, devenu fou de rage.
A la suite d'une patrouille, une nuit d'hiver, avec Batman, Robin (Dick Grayson) est confus car son mentor estime que certains malfrats sont irrécupérables. Tous ? Non car selon Batman, Mr. Freeze a failli suite à une peine sentimentale. Et il va chercher à l'aider en lui fournissant du matériel et des données susceptibles de soigner Nora. A moins que Victor ne tienne pas tant que ça à ce que son épouse se rétablisse...
Après avoir lu et écrit récemment sur Catwoman dans le cadre de cette collection de one-shots intitulée Batman : One Bad Day, je me suis procuré le tome qui me tentait le plus, celui consacré à Mr. Freeze. C'est un vilain qui m'a toujours fasciné parce qu'il me semble distinct des autres ennemis de Batman. Je me souviens aussi du premier arc de Gotham Central (par Ed Brubaker, Greg Rucka et Michael Lark), dans lesquel il était formidablement terrifiant.
La présence au dessin de Matteo Scalera a été l'autre point qui m'a motivé pour lire ce récit complet car je suis un grand admirateur de l'artiste italien, notamment pour ses collaborations avec Mark Millar (Space Bandits, King of Spies). Il est ici soutenu par l'excellent Dave Stewart aux couleurs et leur tandem produit des planches absolument extraordinaires.
Scalera est un narrateur phénoménal, ses planches ont une énergie grisante et grâce à lui, cette histoire file à toute allure. D'ailleurs elle se déroule principalement en une nuit, ponctuée de quelques flashbacks. Le cadre hivernal est une convention pratique pour souligner les pouvoirs frigorifiques de Mr. Freeze, mais Scalera compose des plans envoûtants de Gotham sous cette couche virginale.
Le dessinateur nous régale avec nombre de splash-pages et doubles pages où il donne à voir sa maîtrise de l'espace, son sens de la composition. Scalera a une facilité virtuose et avec les années, il a épuré son trait, passant d'un dessin un peu chargé et brouillon (sur Secret Avengers) à quelque chose de plus dynamique et aéré, en sachant compter sur ses coloristes (Dean White, Dave Stewart...). On y a gagné en lisibilité mais surtout en esthétisme, aujourd'hui la mue semble complète et Scalera a atteint une maturité impressionnante qui en font un des tout meilleurs dans la partie.
DC n'a pas que réussi son coup en attirant Scalera sur ce projet puisque l'éditeur a convaincu le scénariste actuel de X-Men, Gerry Duggan, de faire une infidélité à Marvel. On sent qu'il avait envie d'écrire sur Mr. Freeze, qu'il avait une opinion sur le personnage et il réussit l'exprimer avec éloquence.
Toutefois, il est également certain que sa vision de Mr. Freeze ne plaira pas à tout le monde car elle s'avère critique et discutable. On peut, je crois, dire qu'il existe deux façons d'envisager ce personnage : soit comme un homme victime d'une affreuse tragédie (la maladie de sa femme, l'accident qui l'a transformé lui-même et compromis ses recherches), soit comme un mari toxique qui ne souhaite pas tant guérir sa femme que la garder auprès de lui, éternellement figée dans son caisson de cryogénisation.
Dans Tom Strong, Alan Moore s'était inspiré de Mr. Freeze et Nora Fries pour un arc introduisant le vilain Dr. Permafrost et Greta Gabriel, une ex du héros de Millenium City. Encore une fois, c'est l'occasion pour moi de vous conseiller de lire Tom Strong, une des meilleures oeuvres de Moore, même si on la cite moins que Watchmen ou V pour Vendetta. Mais en tout cas le scénariste anglais prouvait encore une fois à quel point il savait cerner les archétypes pour en tirer la substantifique moëlle.
Duggan revient lui aussi dans des flashbacks au moment fondateur où Victor Fries est devenu Mr. Freeze, convaincu que cette bascule explique tout. Son analyse est simple : avant que la maladie de Nora Fries n'empire jusqu'à un état critique, Victor était un homme jaloux, suspicieux, possessif, qui ne fréquentait pas les amis de son épouse.
Une fois Nora condamnée par la médecine traditionnelle, Victor a écarté les proches de Nora et son comportement est devenu de plus en plus obsessionnel. Il allait s'occuper seul d'elle, la sauver. Ou simplement la garder pour lui seul. Toute l'ambiguïté de sa démarche tiendrait donc là. Victor ne tiendrait pas tant que cela à guérir Nora, il veut la posséder exclusivement. De là à dire que sa maladie a été une opportunité...
Duggan ne le dit pas franchement mais il le pense assez fort pour qu'on croit que c'est son verdict. Par conséquent, la dimension tragique de Mr. Freeze fait place à un comportement toxique, abusif, celui d'un homme qui s'acharne à maintenir en vie sa femme, non pas pour avoir le temps de trouver un remède mais pour la garder auprès de lui et loin de tous les autres.
J'avoue que cet avis ne me plait pas des masses, même si Duggan le défend avec talent. Disons que c'est une version du personnage, un peu comme Sean Murphy a réinterprété le Joker dans la saga White Knight en en faisant un dément schizophrène capable de longs passages lucides après un traitement de choc alors que Batman, excédé, l'a forcé à ingurgiter des pilules. Certains diront que Batman n'en arriverait jamais là dans la continuité. La différence, c'est que Murphy envisage cela dans un univers détaché de la continuité alors que le récit de Duggan s'inscrit dans cette continuité.
Pour ma part, je crois que nombre de méchants (y compris chez Batman) sont des individus tragiques et non maléfiques par nature, et c'est le cas de Mr. Freeze (mais aussi Gueule d'argile). D'autres sont d'authentiques vilains, certainement irrécupérables comme l'affirme Batman à Robin au débur de ce récit (comme le Sphinx, Bane, l'Epouvantail). Et d'autres sont à la croisée des chemins, dramatiquement atteints mais ayant commis l'irréparable (Double-Face).
Quoi qu'il en soit, même si on peut discuter le point de vue de Duggan, ce Batman : One Bad Day - Mr. Freeze est une réussite, efficacement écrite et somptueusement illustrée.
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