dimanche 16 décembre 2018

THE BEST DEFENSE : THE SILVER SURFER, de Jason Latour


Nouveau volet du quintette The Best Defense, l'épisode consacré au Silver Surfer est une autre réussite remarquable qu'on doit au seul Jason Latour, scénariste, dessinateur et coloriste. Si son récit est difficilement résumable, il colle parfaitement au personnage et complète l'intrigue générale du projet.


Alors qu'il assemble la machine qui lui permet de convertir la matière en énergie lorsqu'il dévore une planète, Galactus voit son "repas" voler en éclats au passage d'une force immense. Le Surfeur d'Argent, son héraut, part enquêter.


En vérité, Norrin Radd doit surtout confirmer le soupçon de Galactus : celui qu'il a croisé est un Céleste, le Conducteur, dont le train cosmique ravage tout sur son passage. Le Surfeur le considère comme un double de son maître, mais plus puissant et impitoyable car agissant sans mobile.


Galactus passe donc un marché avec son héraut : s'il souhaite que le Conducteur soit stoppé, il faut qu'il lui trouve un monde condamné à dévorer pour être assez fort face au Conducteur. Le Surfeur accueille cette proposition avec amertume, comme un choix cruel.


Il finit pourtant par trouver ce qu'on lui demande : une planète maudite où le capitaine d'un vaisseau marchande des places. Un employé de Roxxon entreprises et un jeune Centaurien se disputent un siège jusqu'à s'entretuer, précipitant le départ de l'embarcation.


Galactus va consommer ce monde. Le Surfeur use de ses pouvoirs et voit l'avenir du Conducteur, contré par Hulk, Namor et le Dr. Strange. Il veut aller les prévenir du danger mais sa planche de surf part sans lui.

Jason Latour accomplit un tour de force avec ce one-shot car il parvient à réconcilier les deux visions du personnage principal : Stan Lee concevait le Surfeur d'Argent comme une âme errante et en peine, exécutant le plus terrible des travaux - chercher des planètes pour le dévoreur de mondes - , tandis que Jack Kirby le voyait comme une créature en colère, contre lui-même (pour avoir accepté ce job) et son boss (insatiable et manipulateur - Galactus épargnale monde de Norrin Radd car celui-ci lui offrit ses services).

Le scénariste, ici, a d'abord compris que le Surfeur fonctionnait avec Galactus ("Cette fois, nous jouons en équipe", dit même le géant), et leur relation complexe définit les émotions du héraut qui se sent constamment manipulé et en même temps se bat en permanence pour contourner les manoeuvres de son commanditaire (en lui dénichant des mondes inhabités).

Mais Latour a surtout une idée géniale en confrontant le duo à un problème dont la résolution profitera à l'un comme à l'autre. Le Conducteur, un Céleste (les seules entités que craint Galactus) sillonne le cosmos en dévastant tout sur son passage. Il détruit ainsi le casse-croûte de Galactus et aussi de potentielles planètes que le Surfeur souhaiterait préserver. L'arrêter comblerait donc les deux partenaires.

Là où le script échoue de peu à être un chef d'oeuvre, c'est parce que Latour consacre beaucoup (trop ?) de pages à l'action situé sur la planète maudite où un garçon Centaurien (la même race que Yondu, un des fondateurs des Gardiens de la galaxie) et un humain employé de Roxxon (qui s'est fait voler et reprend au garçon une marchandise précieuse) se disputent une place dans un vaisseau évacuant les indigènes du coin.

Dans ce passage, un peu trop long et signifiant (les émotions du garçon sont un reflet des tourments du Surfeur), on a droit à un étrange western spatial où Norrin Radd se déplace incognito (au moins au début), vêtu comme Clint Eastwood dans les westerns de Sergio Leone. Sa tentative pour calmer les deux parties et abréger le commerce du capitaine se solde par un échec, condamnant la planète et assurant le repas de Galactus.

En revanche, toutes les scènes entre le Surfeur et Galactus, la présentation du Conducteur, l'intérêt commun à le stopper - jusqu'à la vision prophétique de Norrin Radd qui présente les Defenders comme le dernier rempart - , tout cela donc est formidable, tendu, intense, vicieux, inquiétant. 

[Pour la petite histoire (puisque je n'ai pas rédigé de critiques sur les épisodes consacrés à Hulk et Namor), sachez que le surf va sauver Namor après qu'il ait affronté un seigneur des mers ayant refusé de s'allier à lui contre les humains et que le prince a tué en l'entraînant jusque dans la stratosphère (où donc la planche le récupère et l'enveloppe d'une peau protectrice lui permettant de respirer à nouveau dans le vide sidéral) ; alors que Hulk récupère l'Oeil d'Agamotto ayant remonté le temps pour avertir les Defenders de l'arrivée du Conducteur.]

Visuellement, l'épisode est aussi sensationnel que celui du Doctor Strange, dans un autre registre. Latour, engagé dans d'autres projets (che Image), qui accumulent les retards, rappelle que, lorsqu'il y est disposé, son talent graphique est intact.

Une planche comme celle où il retrace en une image le passé du Surfeur (voir ci-dessus) via son visage en gros plan donne un bon aperçu du bonhomme, de sa capacité à synthétiser des informations narratives de manière inventive et virtuose.

Mais ce n'est pas tout : assumant tous les postes, il contrôle sa planche. Il utilise des cadres verticaux en majorité pour montrer Galactus, et quand il le représente dans des cases horizontales, on voit le géant de loin, à la fois diminué mais présent. Cette façon d'apprécier l'échelle du personnage lui confère une majesté menaçante immédiate.

Norrin Radd, lui, est une créature dont la peau argentée est à la fois un miroir, une surface lisse et impassible, une statue levant les yeux au ciel face à son "boss" ou un satellite en mouvant (lorsqu'il se déplace à vive allure sur sa planche sur la piste du Conducteur, la sensation de vitesse est superbement traduite). Ce mélange de mélancolie et d'exaspération, de lassitude et de détermination est idéalement illustré par Latour - on rêverait de lire une série entière du héros par lui.

A peine moins bon que, donc, le segment avec Dr. Strange, cet avant-dernier numéro de The Best Defense avant la sortie de la conclusion Mercredi prochain est un régal.

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