mardi 18 décembre 2018

SAGA - VOLUME 6, de Brian K. Vaughan et Fiona Staples


Ce sixième Volume de Saga conclut la deuxième "saison" de la série avec les épisodes 31 à 36. Brian K. Vaughan et Fiona Staples avaient laissé leurs héros dans une situation dramatique, Alana et Marko étant séparés de Karla et leur fille Hazel. On s'attend donc à leur réunion ici, mais il faudra bien des détours et des péripéties avant d'en arriver là.


Hazel et sa grand-mère paternelle, Karla, sont arrêtés avec une des terroristes qui les tient en otages par la garde royale des Robots. Elles sont remises aux forces de Landfall (la planète natale d'Alana) où Karla est incarcérée et Hazel scolarisée. Leur existence s'aligne sur ces conditions de vie jusqu'à ce que la fillette confie le secret de sa condition à son institutrice.


Sans nouvelles de leur fille depuis plusieurs mois maintenant, Alana et Marko se rendent sur Variegate. Ils pénétrent par effraction dans l'immeuble des archives pour savoir où ont été conduites Karla et sa petite-fille. Alana découvre un parchemin les renseignant juste avant l'intervention de la police. Ils réussissent à s'échapper in extremis. Sur la planète Serpentine, l'ex-prince Robot IV élève son fils, Squire, en compagnie de Ghüs en se promettant de ne plus aider quiconque.
  

Upsher et Doff, les deux journalistes qui avaient croisé la route de the Brand, apprennent sa mort. Soulagés, ils décident de reprendre leur investigation concernant Alana et Marko. Cela les conduit jusqu'à la planète Gardenia où ils rencontrent Ginny, la professeur de danse de Hazel, qui a passé une annonce discrète à l'attention de Marko, perdu de vue depuis un an. Grâce à elle, ils mettent le cap sur la planète Outcome, refuge des terrorites, où the Will les recrute de force.


Marko et Alana débarquent sur la planète Serpentine et requièrent l'aide de Robot IV pour récupérer Hazel et Klara. Il accepte à la demande de son fils qu'il confie à Ghüs. Cependant, Upsher et Doff aident the Will à pister le couple grâce à un ami paparazzi qui suivait l'ex-prince et qui leur indique son nouveau domicile. Sur Landfall, Noreen, l'institutrice de Hazel, lui explique qu'elle veut l'aider à fuir.


Klara apprend le projet de Noreen et, malgré sa désapprobation initiale, tout bien considéré, elle l'approuve car elle sait par une co-détenue transexuelle, Petrichor, que la fillette connaîtra un sort tragique si elle reste ici. Marko et Alana obtiennent d'approcher de Landfall grâce à Robot Iv qui se fait passer pour un haut gradé de son royaume en visite. The Will arrive sur Serpentine et moleste Squire pour savoir où est son père lorsque Ghüs le défie.


Doff et Upsher profitent de l'absence de the Will pour se délivrer et s'échapper. Le mercenaire neutralise Ghüs mais l'épargne. Assailli par des visions de sa soeur (the Brand) et de the Stalk (sa maîtresse), il repart. Marko sauve Hazel mais sa mère décide de rester avec ses co-détenues sur Landfall. Petrichor accompagne le père et sa fille puis fait la connaissance de Robot IV et d'Alana, à qui il annonce une nouvelle inattendue...

Le script-doctor Christopher Vogler a théorisé dans un livre, Le Voyage du héros, la structure narrative d'un récit d'aventures en douze étapes. Il ne s'agit pas de toutes les respecter, de toutes les incorporer à une histoire, mais ce sont autant de stations rcurrentes dans nombre de livres et films. Inspiré par Joseph Campbell et sa notion de monomythe, le texte de Vogler pointe comment des auteurs comme George Lucas avec la saga Star Wars a appliqué cette construction.

La série Saga en serait l'héritière moderne dans les comics et Brian K. Vaughan en entreprenant son ambitieux feuilleton suit ces préceptes tout en ne cédant rien à sa propre singularité d'auteur.

Dans la théorie de Vogler, tout gravite autour du "seuil de l'aventure" : le héros répond à l'appel de l'aventure (un problème ou un défi), il y est encouragé au besoin, puis il pénétre dans un monde étranger où l'attendent des épreuves diverses. Sa quête a un objectif (par exemple, obtenir un élixir) pour lequel il est prêt à payer de sa vie. Enfin, une fois sa mission accomplie, il revient dans son monde et utilise ce qu'il a ramené de sa quête pour améliorer le sort de ses semblables.

Comme je l'ai dit, des variations sont possibles dans ce canevas, et certains scénaristes, comme Neil Gaiman, ont refusé de lire Campbell et Vogler jusqu'au bout par crainte d'être bridés, muselés dans leur imaginaire. Vaughan ménage en quelque sorte la chèvre et le chou en procédant lui aussi par étapes mais en s'accordant des déviations et sans donner au lecteur une idée sur le terme de l'aventure de ses héros (ainsi tout reste imprévisible, et on sait, quand on connaît le bonhomme, qu'il ne se prive pas de surprendre).

Ces six épisodes ont tout l'air d'une course contre la montre dès la fin du 31ème épisode, lorsque Hazel dévoile son secret (le fait qu'elle soit l'enfant d'une native de Landfall et d'un indigène de Wraith) à son institutrice à laquelle elle fait (à raison) confiance. Quand cette dernière décide plus tard d'organiser l'évasion de la fillette (qu'elle sait être condamnée si d'autres savent qui elle est), Marko et Alana doivent d'autant plus se presser, sans le savoir, pour récupérer leur progéniture avant qu'elle soit exfiltrée dieu sait où. Ajoutez pour épicer l'affaire un mercenaire fou et ivre de vengeance aux basques du couple de parents.

Il esr rigoureusement impossible de s'ennuyer dans ce cadre : tous les éléments disposés par Vaughan participent à une histoire palpitante, drôle, dramatique, folle. On y progresse comme dans le voyage du héros, mais multiplié par le nombre de protagonistes, sur trois, voire quatre pistes narratives (Hazel-Karla, Marko-Alana, Upsher-Doff, the Will). Le scénariste maîtrise totalement son récit qui n'a jamais si bien porté son titre - et qui se clôt sur une révélation à la fois sidérante et positive (même si les menaces sont loin d'être évacuées).

Fiona Staples apporte, elle, à ce conte bizarre, une touche visuelle toujours unique. L'artiste n'est jamais en panne d'idées pour relever le challenge du script que lui fournit son partenaire : il ne faut pas simplement de la ressource mais un talent singulier et immense pour créer une toile aussi vaste que la fresque envisagée.

BKV a raison d'affirmer que nul autre que Staples ne pourrait dessiner Saga, pas seulement parce que c'est ce qu'elle fait depuis le début, assumant son rôle de co-créatrice à part entière, mais parce que le foisonnement graphique de la série lui doit tout. Elle rend littéralement possible en comics ce qu'écrit Vaughan.

Ce qui frappe, c'est encore une fois ce mélange de beauté et de bizarre, cette capacité à montrer le plus incongru sans complexe ni condescendance ou volonté de choquer gratuitement. Ainsi, quand on a droit à une pleine page de Petrichor nue sous sa douche et dévoilant sa transexualité, la crudité du moment est dépassée par le naturel de la représentation. Idem avec l'homosexualité de Upsher et Doff où il ne s'agit pas de mettre en scène un quelconque quota gay, mais simplement un autre couple.

Dès lors, voir Alan et Marko complètement nus, de face, après une étreinte torride, devient aussi banal que d'animer les délires hallucinés de the Will ou le comique de Robot IV dont la tête-écran reflète ses sentiments avec invention et simplicité. Tout dans Saga est curieux, perturbant, mais rien n'est fait pour être simplement curieux ou perturbant. Tout est fait pour que ces aliens, ces planètes, ces scènes soient au contraire finalement le plus évidents possibles. C'est le tour de force accompli ici : une histoire qui n'a rien de normal et où tout le devient car y priment les individus, leurs sentiments, leurs relations.

Ces trente-six premiers épisodes prouvent donc la maestria de l'entreprise. Il en reste dix-huit à découvrir avant d'arriver à la fin en suspens de cette histoire, dont les auteurs ont préféré différer la production plutôt que de risquer de l'abîmer.      

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