Pour être tout à fait franc, je ne savais pas à quoi je consacrerai une entrée aujourd'hui. Puis je me suis souvenu que le run de Dan Slott sur Amazing Spider-Man venait de se conclure avec le #801. Il a refait équipe pour l'occasion avec Marcos Martin. Et ce dernier point suffit à annuler mes réserves pour vous en parler... Même si ce dénouement a d'autres qualités.
Peter Parker était un étudiant brillant mais peu estimé par ses camarades et ignoré des filles. Jusqu'au jour où il fut mordu par une araignée radioactive qui lui transmit les pouvoirs de Spider-Man. Il s'en servit d'abord pour gagner de l'argent dans des matchs de catch jusqu'à ce qu'un manager véreux refuse de lui payer une victoire. Pour se venger, il laissa filer le voleur qui déroba la recette.
Il le regrettera toute sa vie car le malfrat tua ensuite, dans sa fuite, l'oncle de Peter. Depuis Spider-Man voue son existence à rendre la justice. Comme ce soir-là où il sauva Kenneth Kincaid et un épicier braqués par un jeune voyou avant l'arrivée de la police.
Après avoir fait sa déposition au commissariat, Kincaid put rejoindre à temps l'hôpital où son père rendit son dernier souffle. A son tour, Kenneth devient père de famille et oncle de la petite Judy. Avec elle fut, des années plus tard, aux premières loges d'un combat entre Spider-Man et une bande de vilains, empêchant même leur chef de fuir.
Judy était pourtant déçue car elle trouvait Spider-Man "ringard". Son oncle lui expliqua alors qu'il sauvait pourtant tous les jours des innocents dans la rue et, par ricochet, des familles entières, permettant donc à des fillettes comme elle de garder leur oncle.
Voilà ce qui distinguait le "Webhead" : Spider-Man est toujours là pour vous.
Soigner sa sortie : voilà un exercice périlleux pour tout scénariste, a fortiori après un run aussi conséquent que celui de Dan Slott. Malgré des controverses, des partisans enthousiastes et de farouches détracteurs, ce dernier aura marqué de son empreinte la série du Tisseur en alignant un nombre record d'épisodes grâce à une publication majoritairement bimensuelle durant dix ans !
Moi-même, je n'ai pas toujours été tendre avec Slott : il m'a parfois embarqué avant que j'abandonne Amazing Spider-Man, déçu, énervé ou las de la manière dont il l'exploitait. Il faut dire que le scénariste semble avoir souvent pris plaisir à contrevenir à la règle d'airain de Stan Lee comme quoi "une bonne histoire de Spider-Man commence d'abord par être une bonne histoire de Peter Parker". Or Slott a souvent affiché sa préférence pour le justicier masqué contre son alter ego.
Ma fréquentation de la série sous son règne fut donc très irrégulière - trop pour que j'ose en tirer des conclusions d'ensemble. Cependant, à chaque fois qu'il a fait équipe avec Marcos Martin, que je considère comme le seul digne héritier de Steve Ditko (et donc un des meilleurs dessinateurs du Tisseur), c'est comme si Slott se transcendait, sachant que l'artiste tirerait le meilleur de son script. Et, effectivement, l'espagnol livrait des planches fantastiques et inspirait spécialement le scénariste.
Il semble que Martin avait promis à Slott de dessiner ce dernier épisode, le #801, s'autorisant une infidélité ponctuelle à Brian K. Vaughan et leurs projets pour PanelSyndicate. Terminer en si bonne compagnie promettait beaucoup. Mais pour raconter quoi ?
Fanfaron volontiers provocateur et soûlant en interview (récemment encore il fustigeait les diffuseurs de spoilers gâchant le plaisir des fans... Fans qu'il a souvent raillés dans ses tweets pour leur attitude intégristes - même si je ne cautionne évidemment pas les menaces de mort émis par certains contre lui), Slott a choisi d'offrir un ultime épisode humble et touchant, qui, contre le Spider-Man si agité de son run, revient au "friendly neighbourhood".
On voit finalement assez peu le héros dans cette vingtaine de pages, mais ce parti-pris renforce son aspect légendaire et familier à la fois puisqu'il est évoqué par un quidam moyen, Kenneth Kincaid, auquel il a sauvé la vie au début de sa carrière, et qui transmet à sa nièce, des années après, la raison pour laquelle Spider-Man est si admirable. Il n'est ni Thor, ni Iron Man, ni Black Panther, mais ce justicier des rues qui en sauvant une vie préserve des familles entières. Il est ce héros "always there for you" ("toujours là pour toi" comme s'intitule cet épisode).
Ce point de vue est le plus juste et le plus sympathique pour le personnage, et permet à Slott de rendre le héros tel qu'il l'a trouvé - Nick Spencer, son successeur, pourra l'écrire sans composer avec un énième twist.
Marcos Martin rend une copie qui paraît sage au regard de ce qu'il a pu produire visuellement avec Spider-Man, notamment quand il illustrait les scripts de Slott. Pourtant, la subtilité remarquable de son travail se révèle immanquablement et vous habite après la lecture de l'épisode. Rien que la scène d'ouverture, récapitulant les origines du personnage en caméra subjective, est une merveille narrative, rapide et inventive.
La première scène avec le Tisseur en action dans l'épicerie se distingue par ses détails (les éclats de verre plantés dans le costume du héros, la richesse du décor) et les acrobaties du justicier dans un espace restreint, que le trait souple de Martin restitue magnifiquement. L'espagnol résume ensuite une vie, celle de Kincaid, en une page et des cases occupant toute la largeur de la bande, admirablement. Puis on arrive à la séquence finale, un chef d'oeuvre.
Spider-Man se défait d'une bande de vilains dont le chef est arrêté grâce à l'intervention discrète de Kincaid. Une fois le justicier parti, s'ensuit la fameuse explication sur la valeur unique de ce dernier, avec, au passage, une de ces doubles pages prodigieuses comme Martin en a le secret, mettant en scène plusieurs ennemis emblématiques du héros.
Si vous voulez prendre un cours accéléré de découpage, lisez Marcos Martin.
Dan Slott tire sa révérence avec classe. Il s'amuse désormais avec Iron Man, où ses débuts ont été brillants. En attendant de lire son traitement des Fantastic Four le mois prochain. Mais grâce à ses adieux au Tisseur, il a (re)gagné des points dans mon estime.
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