Ah bon sang que c'est embêtant de critiquer la (presque) fin d'une série ! Comment en dire assez sans en dire trop ? Surtout que Tom King et Jorge Fornes semblent s'être ligués pour ne pas rendre la tâche du critique facile. Disons alors que ce onzième et pénultième numéro de Danger Street est magistral et étrange à la fois.
Le ciel va tomber et l'univers s'effondrer sous lui. Orion a reçu la nouvelle de ses pères et se demande comment les Dingbats peuvent rester aussi insouciants. LadyCop, elle, reçoit deux visites qui se finissent mal pour ses visteurs. Le casque du Dr. Fate résoudra-t-il les problèmes de tout ce beau monde ?
Alors oui, les images qui accompagnent cet article en disent peut-être trop. Oui, il y a des morts. Oui, le Creper et Warlord n'ont pas l'air en forme. Oui, Orion arbore un tee-shirt "Darkseid is" qui rappellera des souvenirs aux lecteurs de Mister Miracle. Et oui, pratiquement tous les protagonistes sont réunis dans la cuisiine de LadyCop... Et Commodore Murphy est l'otage d'Abdul Smith et des Outsiders.
Êtes-vous plus avancés pour autant ? Laissez-moi vous dire que non parce que Danger Street reste fidèle à ce qu'elle est : une série bizarre, imprévisible, racontée comme une fable, et dont il est impossible de deviner le dénouement qui aura lieu le mois prochain.
Si on se fie aux images et aux apparences, tout le suspense restant réside dans le fait de savoir si, en utilisant le casque du Doctor Fate les Dingbats, Starman, Orion et LadyCop vont ressiciter GoodLooks, Warlord, le Creeper et sauver aussi, accessoirement, l'univers qui s'effondre parce que ni le Haut-Père de New Genesis ni Darkseid d'Apokolips n'ont pu l'éviter. Et donc n'oublions pas dans tout ça ce que réserve le destin à Commodore Murphy, Abdul Smith, les Outsiders, Atlas, Metamorpho.
Quand on écrit cela et qu'on le lit, ça ressemble à un inventaire à la Prévert. Pas sûr que cette référence parle à Tom King mais sait-on jamais, le bonhomme a de la culture et des Lettres. En tout cas, ça synthétise parfaitement cette dinguerie de série qui a assemblé, contre toute attente, des personnages aussi curieux, divers et variés que ceux de 1st Issue Special, cette anthologie des années 70 publiée par DC.
Aussi étonnant que cela puisse paraître donc, King aura réussi à faire vivre dans une même série ces héros au coeur d'une intrigue particulièrement acrobatique mais en réussissant aussi à faire en sorte que jamais, même à un épisode de la fin, le lecteur ne sache où tout ça va aller, comment tout ça va se conclure.
Et si, en fin de compte, Danger Street était un comic-book sur l'art de raconter des histoires ? Si l'intrigue n'était qu'une vague prétexte pour réunir des individus qui, en temps normal, n'avait aucune chance de se croiser. Si c'était, en vérité, une métaphore de la notion d'univers partagé par l'absurde ? Une mini-série free jazz ?
Cette hypothèse est séduisante mais ce n'est que la mienne. Si je vous la soumets quand même, c'est parce que Danger Street pourrait être la culmination du travail, de l'oeuvre de King au sein du DC Black Label. Quand on y pense, qu'y a accompli King ? Il y aura raconté des histoires avec des seconds, voire troisièmes couteaux du DCU : Scott Free, Adam Strange, Christopher Chance, Supergirl, etc. Tout ce qu'on trouve, comme grossis sous un verre de loupe, dans Danger Street.
Les héros de cette série sont encore plus hasardeux et improbables que ceux qu'a déjà animés King. Le Starman qu'il a choisi n'est pas Ted ni Jack Knight mais Mikaal Tomas, le Starman bleu. Warlord est un ersatz de tous ces héros de fantasy. Orion apparaissait et mourrait dans son Mister Miracle. Le Creeper est une création de Steve Ditko qui avait déjà inspiré King pour Rorschach (si ça, c'est pas une preuve que tout est lié dans ses livres pour le Black Label...). Qui avait entendu parler des Dingbats, de la Green Team, des Outsiders avant Danger Street ? Et de LadyCop ?
Comme d'hab', King nous les a rendus étonnamment familiers tout en préservant leur bizarrerie. Et donc on est désormais attaché à ce qui va leur arriver tout en espérant que la fin de leur aventure commune sera au niveau de ce qui aura présidé à leur réunion. Mais on n'est pas dupe : tout cela est absurde, et c'est bien la forme du conte, de la fable qui convient le mieux pour nous avoir fait avaler cette potion. Une potion grisante, euphorisante, excitante.
Pour contrebalancer cette dimension, il aura fallu compter sur un artiste qui, lui, a dessiné ça avec une simplicité désarmante, comme si tout, pour lui, coulait de source et devait être présenté comme si c'était un comic-book comme les autres. Saluons donc Jorge Fornes, encore une fois.
Il nous gratifie ici d'un nombre presque anormal de splash et doubles pages, magnifiquement colorisés par le maestro Dave Stewart, qui, comme Fornes fait tout comme si tout était parfaitement normal, ordinaire. On n'en attend pas moins de celui qui reste lié à jamais au Mignolavers, à Hellboy, au BPRD. Ce n'est pas quelques olibrius sortis de la cave du DCU qui vont le changer.
Mais Fornes continue, comme personne, à rester dans les rails et donc à calmer la partie quand par exemple on a droit à cette scène impayable avec Orion et les Dingbats, lui venant d'apprendre que la fin de l'univers était inévitable et imminente tandis qu'eux se chamaillent jouant à la console. Ou encore quand Non-Fat explique, en parsemant son exposé de jurons, à LadyCop comment il est arrivé avec Warlord jusque chez elle en pleine nuit. Et qu'elle lui répond, tranquille, de façon tout aussi froidement hilarante, que, puisque c'est comme ça, hé bien, on va l'utiliser, ce casque de Dr. Fate, pour voir si ça marche.
J'adore cette série pour tout ça : son casting impossible, ses scènes goofy, cette distance, et cet humour mixé avec la fin du monde. J'ignore totalement comment on peut finir un tel scénario mais je fais confiance à King et à Fornes pour nous dérouter une ultime fois dans un mois.
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