Sans prévenir (malgré quelques photos qui avaient fuité), Netflix a mis en ligne un onzième épisode de Sandman, qui clôt la première saison du show, sans ce que cela signifie encore qu'il soit renouvelé. Ce chapitre additionnel, d'une durée d'une heure cinq, est divisé en deux parties : l'une est une adaptation du one-shot Dream of Thousand Nights, l'autre de Calliope. Et, encore une fois, la magie opère.
- (Un Rêve de Mille Chats.) Tard dans la nuit, tous les chats d'un quartier convergent vers un cimetière où les attend une belle siamoise. Elle leur raconte son histoire tragique : après avoir mis au monde une portée, ses propriétaires décidèrent de se débarrasser de ses chatons.
Traumatisée, elle se mit à rêver à un moyen de les retrouver et se retrouva dans le royaume de Morpheus. Après un long périple, elle trouvera le seigneur de ces contrées, sous la forme d'un chat noir, et implora qu'il l'aide.
Il lui conta alors l'histoire d'un temps lointain où les chaits dominaient les hommes qui leur servaient de laquais, de jouets et de nourriture. Jusqu'à ce que l'un de ces humains persuada ses semblables de rêver à la situation inverse... Aujourd'hui, la siamoise demande à ses semblables de rêver à leur tour, tous ensemble, au retour de la domination des chats - sans grand succès.
- (Calliope.) Richard Madoc, écrivain en panne d'inspiration, se rend chez son illustre et vieillissant confrère, Erasmus Fry, pour qu'il l'aide. Celui-ci retient chez lui depuis longtemps la muse Calliope mais, sentant sa fin venir, il la lui confie.
Comme elle se refuse dans un premier temps à lui souffler de nouvelles idées, Madoc la séquestre et la brutalise. Calliope invoque les Parques, qui ne peuvent rien pour elle et l'informent de la situation de son ancien amant Morpheus, également prisonnier d'un humain.
Mais quand le roi des rêves recouvre sa liberté, il répond à l'appel à l'aide de Calliope en châtiant Madoc de la plus cruelle des manières. La muse le remercie et espère qu'ils se reverront, pour ensemble faire le deuil de leur fils, Orphée.
Tout d'abord, un mot sur le futur de la série Sandman sur Netflix, tel qu'il a été communiqué par Neil Gaiman lui-même, lorsque plusieurs fans, après avoir vu ce onzième épisode surprise, ont cru qu'il s'agissait d'un bon ou mauvais augure.
Le scénariste a précisé que la série était coûteuse et que Netflix attendait de voir comment se comportaient ceux qui la regardaient durant son premier mois de diffusion pour décider de la renouveler ou pas. On peut cependant être optimiste : Sandman cartonne partout dans le monde et figure toujours après trois semaines dans le top 3 des séries les plus suivies de la plateforme. N'hésitez donc pas à la revoir, à la conseiller autour de vous, cela augmentera les chances d'avoir une saison 2.
Maintenant, revenons à cet onzième épisode. Et d'abord, je veux vous remercier, vous, lecteurs de ce blog, d'avoir été si nombreux à consulter la critique que j'ai rédigée au sujet des dix premiers chapitres. Je n'ose rêver à répéter une telle performance, mais ça signifie le monde pour moi.
Depuis la mise en ligne de la saison 1, des photos circulaient sur les réseaux sociaux, indiquant qu'un ou deux épisodes supplémentaires avaient été, sinon tournés, du moins prévus. Pour moi, il s'agissait d'indices laissant penser qu'on aura droit à un épisode spécial plus tard, pour patienter, peut-être fin 2022, pour les fêtes de fin d'année.
Et puis, Netflix a choisi de nous gâter plus tôt. Le format de cet épisode est plus long - une heure cinq - et il comporte, comme l'épisode 6 (Le son de ses aîles), deux histoires distinctes.
Un Rêve de Mille Chats est un petit film d'animation d'une grosse quinzaine de minutes dans lequel, comme le titre l'indique, les protagonistes sont des félins. C'est une fable, un conte, magnifique visuellement, avec un qualité esthétique bluffante, qui indique donc qu'il a été réalisé il y a un moment, peut-être même avant le premier tour de manivelle de la série. Si Netflix a récemment fait des coupes franches dans son département animation, ce segment prouve que la plateforme produit encore des merveilles.
L'histoire de cette chatte siamoise qui conte son histoire tragique à des chats de quartiers est poignante et envoûtante. Mais, attention, ne la fâites pas regarder à des enfants qui risqueraient d'être inconsolables après la scène où les chatons sont noyés.
La rencontre de la siamoise avec Morpheus, lui aussi ici sous la forme d'un chat, noir évidemment, et le récit qui s'ensuit sur un lointain passé où les félins régnaient sur le monde, jouant avec des humains liliiputiens avant de les manger tout cru devient drôle et étrange. Mais malgré cette fantaisie curieuse, on reste dans les thématiques des précédents épisodes avec en filigrane le rêve et le prix qu'il en coûte de les faire puis de les voir exaucer.
C'est aussi une subtile réflexion sur la foi : la croyance dans les rêves est une arme mais aussi un privilège à ne pas négliger, comme les chats l'apprennent ici à leurs dépens. Surtout, on constate que le public, au départ fasciné par ce que dit la siamoise, lui tourne vite le dos quand elle les conjure de prendre leur revanche, ne croyant visiblement pas à ses affabulations. Il ne s'agit donc pas seulement de croire, mais d'être convaincant pour convaincre.
Et, bien que j'ai dit plus haut que les deux histoires de cet épisode sont distinctes, cela ne signifie par qu'elles ne sont pas complémenataires car, avec Calliope, on prolonge des motifs dessinés par Un Rêve de Mille Chats.
Calliope est plus long (environ 45-50 minutes), mais sa durée est parfaitement dosée. On revient à des prises de vue réelles avec des acteurs dans des décors authentiques pour cette métaphore cruelle sur l'inspiration, le deuil et l'amour.
Dans la Grêce antique, Calliope était la muse de la poésie épique, et avait sept autres soeurs. Fille de Zeus et Mnémosyne, elle fut ensuite l'épouse du roi Oeagre. Elle donna aussi naissance aux sirènes. Neil Gaiman a détourné sa biographie pour en faire une ancienne amante de Morpheus, qui est dans les comics le père d'Orphée. Cette mention est glissée à la fin de l'épisode quand ils évoquent la mort de ce dernier et le besoin de faire son deuil ensemble, un jour.
Captive d'un vieil écrivain, Erasmus Fry, Calliope est donné à Richard Madoc, un romancier qui est en panne d'inspiration. Il la séquestre d'abord en refusant d'être brutal avec elle (contrairement à Fry) puis, frustré qu'elle ne lui donne pas d'idées, on devine qu'il abuse d'elle. Tandis que Madoc obtient ce qu'il veut (le retour de son inspiration, le succès, la gloire, l'argent), Calliope se morfond et appelle à l'aide. Morpheus finit par l'entendre et punit Madoc sans indulgence.
Contrairement à l'histoire contée dans le comic-book, Gaiman a voulu édulcorer le contenu en ne motrant pas, précisément, les violences sexuelles dont est victime Calliope. Cela est suggéré de manière remarquable et poignante, grâce à une réalisation superbe de retenue.
L'intrigue développe des figures déjà en place dans Un Rêve de Mille Chats, comme les questions de prix à payer pour ce dont on rêve - ici, en l'occurrence, la soif de reconnaissance sociale de Madoc par le succès que reçoivent ses romans. Mais on retiendra aussi (surtout ?) de Calliope sa matière romantique.
Sans jamais verser dans le sntimentalisme ou la miévrerie, l'épisode révèle sa vraie nature lorsque Calliope apprend que Morpheus partage le même sort qu'elle, détenu par un humain (Roderick Burgess). Lorsque le maître des rêves recouvre sa liberté, il entend l'appel de son ancien amour et la délivre sans tarder. Il y a dans ce geste un générosité, une absence de rancune bouleversantes. Mais, pour autant, Rêve est encore cette entité impitoyable qu'on suit au début de la saison, infligeant à Madoc un châtiment aussi original que cruel (littéralement submergé par les idées au point de s'auto-mutiler - là encore, on reste dans des représentations graphiques sobres mais marquantes, qui confirment que la série s'adresse à un public averti).
Le casting, comme celui des voix du premier segment (où on entend Neil Gaiman lui-même, Sandra Oh, Michael Sheen, David Tennant, James McAvoy - qui faillit porter sur grand écran Sandman), est extraordinaire. Derek Jacobi incarne Erasmus Fry de manière glaçante tandis que Arthur Darvill campe Madoc avec un mélange de fébrilité, d'hypocrisie (voir le dialogue qu'il tient sur sa conviction d'être féministe alors qu'il séquestre et viole une muse) et de colère bouillonnante.
Mais quand Tom Sturridge, décidément la personnification idéale de Morpheus, apparaît et donne la réplique à la magnifique Melissanthi Mahut, Calliope parfaite, en quelques scènes, on est transporté dans une histoire bien plus ancienne et aussi douloureuse. C'est aussi cela la magie de cette série : nous raconter, en filigrane, un amour contrarié et pourtant encore vif entre deux immortels, à travers des regards, quelques mots, des gestes discrets.
Divine surprise donc que de découvrir ce bonus track à la première saison de Sandman. Il est certain que si Netflix ne signe pas une deuxième saison, la colère et la tristesse gagneront les coeurs de tous les fans de la série (quand bien Neil Gaiman a promis qu'il ferait tout pour trouver un nouveau refuge à son show). Plus que jamais : croisons les doigts, rêvons - rêvons fort tous ensemble pour que ça arrive.
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