jeudi 25 août 2022

A.X.E. : JUDGMENT DAY #3, de Kieron Gillen et Valerio Schiti


Du fait de sa structure en trois actes, A.X.E. : Judgment Day impose au lecteur une grille de lecture différente. Ce troisième épisode ne se situe donc pas à la moitié de l'histoire écrite par Kieron Gillen mais en ouvre la deuxième partie. Même si c'est toujours aussi spectaculaire, avec les dessins magnifiques de Valerio Schiti, l'intrigue se déploie dans une nouvelle direction.
  

Tandis que Captain America, pourtant considéré comme un échec par le Progéniteur, tente de calmer la population, Iron Man réfléchit à un moyen de détruire le Céleste, ce qui contrarie les Eternels.
 

Mr. Sinistre avertit Destinée qui convoque un vote du conseil de Krakoa. Une frappe est décidée et Emma Frost, pour occuper les Eternels, a noué une alliance avec les Déviants.


L'affrontement est inévitable dès que la Machine alerte les Eternels de l'arrivée des X-Men près du Progéniteur. Jean Grey se glisse dans le corps du Céleste pour le détruire.


Le cataclysme visible par tous qui s'ensuit n'est qu'un avertissement, une illusion. Mais cela inspire une idée à Captain America pour raisonner le Progéniteur grâce à un Eternel qui fut un Avenger...

C''est finement joué de la part de Kieron Gillen : au lieu d'opter pour une narration linéaire classique avec un climax dans les deux derniers épisodes, comme c'est l'usage pour les events, le scénariste a brouillé les pistes pour obliger le lecteur à reconsidérer la progression dramatique de son intrigue avec trois actes successifs.

Normalement, donc, arrivé à ce stade du récit, on serait à mi-parcours. sauf qu'en vérité nous entrons dans la deuxième partie de l'event. Mine de rien, ça change beaucoup de choses. Les deux premiers numéros ont servi à établir la menace : d'abord avec Druig et ses assauts contre Krakoa et Arakko, puis avec le réveil du Progéniteur qui annonce à l'humanité qu'il va la juger digne ou non d'exister plus longtemps.

Le troisième épisode démarre donc avec ce statu quo : le monde tel que nous le connaissons dépend du jugement d'une créature gigantesque capable de le détruire selon qu'elle estimera l'humanité digne ou non. Tout le monde est dans le même bâteau : X-Men, Eternels, Déviants, Avengers, humains. Mais chacun considère la situation différemment. C'est cela qui va animer la progression de l'histoire dans ce deuxième acte.

Pour les X-Men, seule compte la survie de leur espèce : ils ont été la cible, les agressés (depuis longtemps mais aussi dans cette intrigue), peu leur importe désormais que humains comme Eternels survivent à ce jugement dernier. 

Pour les Eternels, c'est plus délicat car ils sont divisés entre ceux qui suivent Druig et ceux qui ont fait sécession (et donc, a priori, son prêts à défendre les X-Men), sauf qu'ils ne veulent pas de morts dans leurs rangs (on sait pourquoi : pour qu'un Eternel ressucite, un humain mourra). 

Pour les Avengers, il faut éviter que les humains paniquent et jouer les tampons entre mutants et Eternels. 

Pour les humains, c'est la confusion : certains pensent que les mutants sont responsables, d'autres qu'il s'agit des Eternels, d'autres encore se résignent à la fin du monde, et d'autres enfin trouvent que sans tous ces surhommes rien de tout ça n'arriverait.

Ceci étant posé, bien entendu, tout va dégénérer. Il suffit d'un grain de sable et dans cette affaire, l'électron libre est Mr. Sinistre, qui glisse à l'oreille de Destinée le plan initial de Iron Man de détruire le Céleste que les Eternels ont pour mission de protéger. On pourra reprocher à l'escalade qui suit d'être prévisible car effectivement, on a droit à une grosse bataille entre Eternels et X-Men.

Mais Gillen déjoue nos attentes (et douchera les espoirs de certains) en abrégeant cet affrontement. Jean Grey pense détruire le Progéniteur mais celui-ci se joue d'elle et des X-Men en montrant les conséquences d'un tel geste sur des innocents. Un numéro d'illusionniste glaçant et efficace. Mais qui va inspirer à Captain America une idée... Et montrer le retour d'un personnage dont je tairai l'identité, mais qui est à la fois un Eternel et un Avenger.

Comment Gillen va-t-il exploiter ce joker ? Mystère mais le scénariste n'abat cette carte au hasard. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un personnage tout puissant, ce n'est pas Sentry ou Hulk, ou le Gardien, ou que sais-je encore qui incarnerait une forme d'autorité encore plus grande qu'un Céleste. Non, c'est plus subtil, plus inattendu.

Et d'ailleurs, comme pour marquer le coup, ce personnage a eu droit à un relooking par Valerio Schiti qui est assez, disons, original. Le dessinateur italien a tenté un truc osé, pop même, limite glam-rock, qui est assez séduisant. En tout cas, ça change le regard qu'on a sur cet individu.

Avant cela, Schiti impressionne une fois de plus. L'épisode est dense, il est riche de plusieurs ambiances, c'est le feu sous la glace, le calme avant la tempête. Les transitions sont cruciales pour apprécier l'écriture. Et Schiti fait des miracles pour passer d'une scène où des super-héros discutent entre eux sur l'opportunité de tuer un dieu à une réunion d'urgence sur le plan psychique puis à une grosse baston qui dépote.

Avec le coloriste Marte Gracia, Schiti peut s'appuyer sur un collègue qui respecte son trait et valorise ses idées graphiques. Le meilleur exemple est sans doute le vote du conseil de Krakoa convoqué par Destinée que le dessinateur transforme en un moment éthéré et électrique à la fois. C'est le coeur de l'épisode, là où tout bascule.

Une autre scène est remarquable car on ne la voit pas venir et elle nous tétanise, c'est quand Jean Grey détruit le Céleste. S'ensuit une énorme explosion et on voit ses répercussions sur une ville, avec des humains figés et calcinés en un éclair. Puis on comprend que c'est une illusion mais plutôt que d'être soulagé, on est encore ému et inquiet. On saisit alors que tuer le Céleste n'est pas la solution, et que donc la suite sera forcément compliquée. Cette imprévisibilité est un exploit car, pour une fois, on a le sentiment que l'event n'emprunte pas un sentier balisé.

J'ai vu qu'un critique a dit à propos de cet épisode et des deux précédents que Judgment Day agissait comme le remède à l'event fatigue. Peut-être est-ce prématuré, mais il est déjà certain que Kieron Gillen et Valerio Schiti surprennent davantage. Je ne sous-estime pas l'interventionnisme des editors de Marvel, qui peut encore faire des ravages, mais j'espère aussi que le projet puisse aboutir à quelque chose de vraiment différent, avec, pourquoi pas, un vrai changement de paradigme à la fin. Rendez -vous dans quinze jours pour la fin du deuxième acte et pour en savoir plus sur tout cela...

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