Avant des journées chargées en sorties et donc lectures et donc critiques de comics, je rattrape mon retard sur quelques séries disponibles depuis quelque temps sur Netflix. Cette fois, c'est au tour de Arcane (League of Legends), sortie Novembre 2021. Cette série animée a reçu un accueil critique et public dythirambique et c'est tout à fait mérité, même si, comme moi, on ne connaît rien au jeu vidéo et qu'on goûte modérèment au steampunk.
Piltover est la "ville du progrès", mais elle est profondément divisée avec ses hauts quartiers bourgeois et ses bas-fonds, surnommés Zaun. Lorsque les habitants de ces derniers se révoltent, la police avec ses pacifieurs répriment le mouvement dans le sang. Deux soeurs perdent leur parents mais sont recueillis par Vander, le chef des rebelles. Des années plus tard, Violet (dîte Vi) et Powder s'introduisent dans un appartement de Piltover pour le cambrioler, et Powder y trouve de mystérieux cristaux. Mais la situation dégénère et elles doivent se replier, perdant en route leur butin. La shérif Grayson s'adresse à Vander, maire de Zaun, pour retrouver les coupables tandis que le trafiquant Silco compte profiter de cet impair.
La victime des cambrioleurs est un jeune savant, Jayce Telis, qui tente de concilier magie (des cristaux) et technologie, malgré l'interdit de l'académie. Il en répond devant le grand conseil de Piltover mais son mentor, le professeur Heimerdinger son ami Viktor le défendent. Grayson et son adjoint Marcus effectuent une descente dans Zaun où les habitants sont prêts à en découdre.
Tandis que Jayce et Viktor reprennent leurs recherches avec l'appui de la conseillère Mel Medarda, Vi décide de se rendre pour éviter que Zaun ne s'embrase. Mais Silco kidnappe Vander, son rival, pour attirer la jeune fille et sa soeur dans un traquenard et obtenir les faveurs de la police. Vander est tué, Vi arrêtée et Powder, livrée à elle-même, est receuillie par Silco.
Plusieurs années passent. Piltover a prospéré grâce aux découvertes de Viktor et Jayce qui ont réussi à maîtriser les cristaux et la technologie sous le nom de HexTech. Powder, qui s'est rebaptisée Jinx, travaille désormais pour Silco qui, avec la complicité de Marcus, devenu le nouveau shérif, vend sa drogue, le shimmer, dans les beaux quartiers. Caitlyn Kiramman, l'amie d'enfance de Jayce, désormais membre des pacifieurs, enquête sur cette drogue et s'adresse à Vi pour débusquer Silco en la faisant sortir de la prison de Stillwater.
Vi et Caitlyn cherchent Jinx sans savoir qu'il s'agit de Powder afin de localiser Silco. Ce dernier et sa protégée veulent, grâce aux cristaux qu'elle a gardés, concevoir une arme qui pourrait permettre d'asseoir leur domination sur Zaun dont les barons du crime organisée conspirent contre eux. Jayce et Mel Medarda deviennent amants tandis que Viktor découvre qu'il est mourant.
Pour tenter de sauver Viktor, Jayce et lui expérimentent un traitement à partir des cristaux, le HexCare. Mais ils échouent à stabiliser l'énergie magique en ce sens et Heimerdinger leur déconseille d'aller plus loin. Vexé, Jayce, désormais membre du grand conseil, fait voter la mise à la retraite de son mentor. Viktor, lui, se rend dans Zaun pour demander l'aide de Singed, son premier mentor et chimiste de Silco, qui lui procure du shimmer raffiné. Marcus reçoit l'ordre de Silco de trouver et tuer Vi et Caitlyn mais Jinx apprend que sa soeur est de retour dans la basse ville et la cherche puis la retrouve en premier. Mais c'est alors qu'elles sont séparées par le gang des feux volants qui enlève Vi et Caitlyn.
Le chef des feux volants n'est autre que Ekko, l'ami d'enfance de Vi et Powder, qui veut se débarrasser de Silco pour venger Vander et émanciper Zaun de son emprise. Caitlyn convainc Ekko et Vi de se présenter devant le grand conseil pour expliquer la situation et la menace que représente Silco. Mais quand ils arrivent au checkpoint entre basse et haute villes, Marcus les y attend et tente de les tuer pour préserver son business avec Silco. Powder intervient mais Ekko l'affronte. Vi entraîne Caitlyn, blessée, à l'écart.
Devant le grand conseil, Vi demande qu'une attaque contre les stocks de shimmer soit menée pour affaiblir Silco. Jayce soutient cette requête contre le reste du conseil. Heimerdinger rejoint Ekko dans Zaun tandis que Silco confie Jinx, blessée, à Singed. Jayce et Vi attaquent l'entrepôt de Silco mais un gamin qui y travaillait meurt d'une balle perdue. Jayce préfère en rester là, contrairement à Vi. Remise de ses blessures, Jinx enlève Caitlyn.
Jayce rencontre en secret Silco et négocie la paix et l'indépendance de Zaun s'il lui remet Jinx. Celle-ci capture ensuite Silco puis piège Vi qu'elle somme de tuer Caitlyn pour se faire pardonner de l'avoir jadis abandonnée. Silco réussit à se libérer mais Jinx l'abat accidentellement. Caitlyn est détachée par Vi. Au grand conseil, Jayce propose de donner son indépendance à Zaun. Jinx laisse filer Vi et Caitlyn puis s'empare d'un bazooka armée d'une roquette avec un cristal. Elle tire en direction de la tour du grand conseil qu'elle détruit au moment où celui-ci adopte l'indépendance de Zaun.
Arcane fait partie de ces productions dont tout le monde parle en bien, que j'avais incorporé dans ma liste de séries à voir sur Netflix et pourtant j'ai laissé filer des mois avant de la regarder. Comme si je craignais d'être déçu, ou de suivre le mouvement comme un mouton. Mais, comme j'avais un peu de temps avant de rédiger de nouvelles critiques de comics, j'ai rattrapé mon retard ce week-end en suivant les neuf épisodes de cette première saison (Netflix en a d'ores et déjà commandé une deuxième, actuellement en chantier).
L'expérience est comparable à celle de Sandman : vous pouvez plonger dans cette histoire sans rien connaître, comme c'est mon cas, du jeu vidéo League of Legends dont elle s'inspire. Tout est clairement présenté, exposé, développé. Je suppose que les gamers apprécieront certains aspects qui échapperont aux profanes, mais vraiment, c'est parfaitement accessible.
La comparaison avec Sandman ne s'arrête pas là car le résultat est bluffant, c'est une extraordinaire réussite narrative et visuelle. La société qui produit League of Legends, Riot Games, a accordé sa confiance à un studio français, Fortiche (qui mérite bien son nom), qui avait collaboré au design du jeu mais aussi réalisé des clips (pour Gorillaz ou Imagine Dragons, qui signe la chanson originale de Arcane et dont les membres du groupe ont droit à un caméo). Les créateurs, Christian Linke et Alex Yee ont eu le nez creux en confiant leur bébé aux réalisateurs Pascal Charrue et Arnaud Delord, et surtout en les laissant travailler de leur côté.
Ce qui frappe d'abord, bien entendu, avec Arcane, c'est l'esthétique. On se situe dans le stempunk, ou rétro futurisme, plus spécifiquement dans ce qu'on nomme la gaslight fantasy, puisque, dans cet univers, magie et technologie cohabitent et même fusionnent. Ce n'est pas quelque chose dont je suit particulièrement fan, ma seule véritable expérience dans ce domaine doit rester La Ligue des Gentlemen Extraordinaires (Alan Moore/Kevin O'Neill), c'est dire si c'est léger. Mais c'est assurément dépaysant et quand c'est bien exécuté, comme ici, franchement impressionnant.
Les décors de Piltover et de ses bas-fonds, Zaun, sont fantastiquement soignés, on y décèle des influences art déco-art nouveau, le mélange de végétation, d'industrialisation et de faste bourgeois est fascinant. Les artistes ont réalisé des prouesses et fait preuve d'une méticulosité dans les détails absolument renversante. Les extérieurs sont à couper le souffle, mais les intérieurs témoignent aussi de recherches intenses sur le mobilier, l'éclairage, les couleurs. Il est impossible de ne pas se sentier immergé dans ces décors.
Les characters designs sont aussi stupéfiants. le steampunk mixe une certaine classe vestimentaire avec des mélanges de matières, de textures, le métal et les tissus se complètent, avec des éléments de maquillage marqués et des coiffures emprutnant donc aussi bien au punk qu'au classique. Tout ça ne sort pas de nulle part : la littérature victorienne a fourni un terreau fertile pour l'imagination des auteurs de science-fiction ayant développe ce rétro futurisme à la fois sophisitiqué et brut. C'est la lutte entre la nature sauvage et l'urbanisation, la science et la magie, la technologie et la misère, tout ça se reflète jusque dans la façon de s'habiller qui, chez les plus démunis, aboutit à des tenues faits de pièces rapportées et, chez les nantis, de toilettes chics, voire outrageusement chargées en motifs et bijoux.
Tout cet apport visuel permet déjà de donner une épaisseur incroyable aux personnages et le spectateur les identifie ainsi facilement et durablement, même quand l'histoire se déploie sur plusieurs années (décennies). Car, c'est l'autre particularité de Arcane, et de sa mise en ligne à l'époque, Netflix l'a diffusé par paquets d'épisodes et non d'une seule traite comme d'habitude. Cela non plus n'était pas innocent : ainsi découpé, le récit prenait une amplitude souligné par ses trois actes.
Dans l'acte 1 qui recouvre les trois premiers épisodes, on est dans le passé : des émeutes de la faim provenant de Zaun sont réprimées dans le sang par les pacifieurs, la police de Piltover. La tragédie oblige le leader des rebelles, Vander, à adopter deux soeurs orphelines, Violet dite "Vi" et Powder. Les années passent : Vander est devenu une sorte de maire de Zaun et a négocié la paix avec le shérif des pacifieurs. Mais Vi et Powder avec quelques amis, dont Ekko, le commis d'un fourgue, cambriolent un appartement de Piltover. Le braquage dégénère et le gang perd son butin (à l'exception de cristaux magiques récupérés par Powder). Les pacifieurs doivent faire un exemple et Vander livrer les coupables, mais évidemment il ne peut dénoncer ses protégées. Dans l'ombre, Silco, ancien partenaire de Vander, désormais puissant dealer d'une drogue redoutable, veut profiter de la situation. Finalement, les deux soeurs vont étre dramatiquement séparées, leur protecteur tué et les rapports de force entre Zaun et Piltover irrémidaiblement changés...
Dans l'acte 2, en effet, on voit que Piltover, quelques années après, a encore prospéré grâce aux découvertes d'un jeune savant ambitieux (qui avait la victime du cambriolage) et de son assistant. Dans Zaun, Silco s'est assis sur le trône de Vander et soudoie le nouveau shérif pour vendre sa drogue dans les beaux quartiers. Il a également receuilli Powder dont la santé mentale s'est détériorée, n'ayant pas supporté que sa soeur l'abandonne - en vérité, ce n'est pas le cas : Vi croupit dans une prison. Mais une pacifieuse va l'en faire sortir pour débusquer Silco et mettre fin à ses traffics. Jayce Telis, le scientifique, prend du galon politiquement tandis que Viktor, son ami, est mourant. Il est question, à la suite d'attentats commis par une bande appelée les feux volants de ramener à nouveau l'ordre par la force dans Zaun et le HexTech, fusion de la magie et de la technologie, pourrait être une arme décisive dans ce projet.
Enfin, dans l'acte 3, les lignes convergent vers un dénouement (provisoire et précaire et tragique) pour tous les personnages dans un contexte de crise générale. On ne change plus d"époque mais de ton. Les règlements de comptes, de toutes sortes, se multiplient, dans la basse et haute cille, les mensonges éclatent au grand jour, des alliances se forment, d'autres se brisent. La saison 1 se termine de manière ouverte mais avec la garantie que la suite sera terrible pour tout le monde.
C'est ainsi que Arcane ne se résume pas à un spectacle flamboyant. Ses intrigues sont nombreuses, son casting fourni, sa trame complexe :: tout est très dense, mais pourtant parfaitement fluide. On ne peut qu'applaudir la maestria du scénario qui réussit à composer avec autant d'éléments sans en sacrifier aucun. Les protagonistes ont tous un arc narratif propre qui parfois croise celui des autres mais qui surtout en fait des individus riches, consistants, aux motivations profondes et aux réactions explosives. Le plus éclatant est celui de Powder/Jinx, mélange détonant qui évoque à la fois le Joker et Harley Quinn, mais pour qui on ne peut s'empêcher d'avoir de l'empathie : c'est un monstre, une terroriste, elle est folle, mais les épreuves ne l'ont pas épargnée - moquée, abandonnée, manipulée, droguée. C'est un peu beaucoup, mais ça justifie sa déchéance, son extrémisme.
Plus nuancée, Vi est l'archétype de l'héroïne moderne, "badass", une dur-à-cuire qui, elle aussi, a beaucoup souffert, pyschologiquement physiquement, mais qui possède une faculté de résilience hors du commun et poursuit surtout une quête vengeresse et justicière à laquelle il est simple d'adhérer. Sa relation avec les femmes est particulièrement passionnante : sa séparation d'avec sa soeur, son amitié (amour ?) avec Caitlyn (la série souligne de manière évidente une attirance homosexuelle entre la rebelle et la pacifieuse), mais aussi avec l'adjointe de Silco, Sevika, permettent d'étoffer une personnalité résolue et sensible malgré tout.
Les hommes de la série sont aussi intéressants, même si Jayce Telis est un peu plus caricatural dans son rôle de savant ambitieux, parfois naïf, parfois cynique, avec une liaison téléphonée avec Mel Medarda. Plus ambigü est Viktor, né dans la basse ville, repéré par Heimerdinger, puis condamné à une mort précoce, qui résule toute l'injustice de ce monde. Ekko est malheureusement sous exploité, victime des ellipes du récit, disparaissant et réapparaissant de façon trop opportune et superficielle pour tenir la comparaison avec Vi par exemple. On ne peut pas gagner partout, surtout quand un méchant comme Silco occupe autant de place et incarne une figure aussi mémorable, révélant in fine un côté étonnamment poignant vis-à-vis de Powder/Jinx.
Un dernier mot pour les voix de la version originale car, là aussi, on profite de belles prestations : c'est en effet Hailee Steinfeld (Kate Bishop dans Hawkeye) qui double Vi et Ella Purnell (Bittersweet) qui campe Powder/Jinx, et elles réalisent des prestations impeccables, habitées.
Ce beau crescendo qu'est Arcane possède un énorme potentiel et on peut attendre en confiance une saison 2, surtout après le final explosif de la première. Si, comme moi, vous avez tardé à découvrrir cette pépite, rattrapez-vous. C'est une production ambitieuse, visuellement ébouriffante, avec un récit palpitant. Pas loin du chef d'oeuvre.
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