Captain America : Sentinel of Liberty se lit toujours aussi bien. Le scénario de Collin Kelly et Jackson Lanzing brille par son aspect ludique, c'est un vrai jeu de pistes, avec des éléments vus et revus mais efficacement déployés. Quant à Carmen Carnero, le plaisir qu'elle oprend à dessiner le titre est visible quand on examine ses compositions.
Captain America affronte la Purge, l'androïde envoyé par le Cercle Extérieur pour l'éliminer dans l'usine qu'il prévoyait de saisir. Cap réussit à neutraliser le robot.
Il découvre alors que ce qui intéresse le Cercle se trouve dans les profondeurs de l'usine : une forge alimentée par un volcan où a été moulé son bouclier et ou Boka Agboje lui a laissé un message.
C'est ensuite qu'apparaît un hologramme de la mère de Agboje qui déclenche l'auto-destruction du site. Captain America se sort de justesse de cette fournaise.
Cependant, à Madripoor, l'échange entre Bucky et Peggy Carter s'envenime lorsqu'il l'accuse d'être complice du Cercle Extérieur...
Le parti-pris d'un scénario peut faire se force comme sa limite. Et dans le cas d'histoires impliquant un personnage comme Captain America, il faut maîtriser son sujet car le risque, c'est de sombrer dans une caricature, qui, de ce côté-ci de l'Atlantique, parasite la lecture.
Ce que je veux dire par là, c'est qu'il a toujours été de bon ton de railler Captain America pour ce qu'il ne représente pas. Après tout, cela inspira au génial Gotlib Super-Dupont, caricature du super-héros patriote. Je pense aussi au malentendu qui a longtemps poursuivi et accablé Bruce Springsteen après son tube Born in the U.S.A., sorti en pleine ère Reaganienne et interprété comme une ode au Parti Républcain (alors qu'il s'agissait du contraire).
Tout ça pour dire qu'il est difficle d'luder la dimension politique de Captain America, a fortiori dans une série sous-titrée Sentinel of Liberty. Une des options pour les auteurs est alors de subvertir les attentes (ou les craintes, c'est selon) du lecteur en n'exploitant pas frontalement cet aspect politique.
C'est cette option que privilégient aujourd'hui Collin Kelly et Jackson Lanzing. Le fond de leur histoire est politique, mais la forme est celle d'un jeu, un jeu de piste tournant autour du symbole de Captain America, l'étoile à cinq branches qui orne le centre de son bouclier. On pourrait presque affirmer que c'est le boucleir le vrai héros de ce run puisqu'il s'agit d'en percer le secret.
Et si donc le symbole n'était pas celui que croyait Captain America et par conséquent le public ? A moins que, de manière plus nuancée, on veuille nous faire douter. Ce n'est pas la première fois que Captain America ne combat pas un vilain mais plutôt une organisation (l'Hydra est là pour nous le rappeler). Il a lui-même fait partie des Illuminati de Marvel, des sortes de conspirateurs du Bien dont on le dégagea quand son idéalisme risqua de freiner les plans de Iron Man, Black Panther, Mr. Fantastic et compagnie.
Ce troisième épisode de Captain America : Sentinel of Liberty développe donc ce qui était présenté le mois dernier et creuse, littéralement, plus en profondeur l'origine du bouclier, son sens véritable. On découvre une forge, un message d'outre-tombe (et même deux pour être exact). La manoeuvre du duo de scénaristes est habile car il ne dévoile toujours rien de définitif mais place le héros comme le lecteur dans une position active où il faut encore enquêter et prendre parti comme le font les auteurs. En l'occurrence savoir si les méchants de l'histoire vont réussir à détourner le symbole du bouclier ou si Captain America réussira à honorer la mémoire et le message de celui qui le forgea.
Cette façon d'écrire exige du rythme et de la rigueur et cet épisode prouve que Kelly et Lanzing tiennent bon la barre sur ces deux plans. Il y a une bonne part d'action et encore plus de grand spectacle, et surtout ce frisson délicieux de l'aventure, de la découverte, de l'investigation. Nous n'en savons pas plus que Captain America et donc nous vibrons à ses exploits.
En parallèle, au début et à la fin de l'épisode, nous suivons toujours Bucky à Madripoor et assistons à son échange musclé avec Peggy Carter, dans un rôle trouble. Même si on peut trouver qu'elle étale un peu facilement le Soldat de l'Hiver, les scénaristes glissent une discrète allusion au run de Ta-Nehisi Coates (avec la reformation des Filles de la Liberté) et brouillent les cartes en évitant des liaisons trop évidentes. Nul doute qu'au bout du bout, Bucky et Cap verront leurs intrigues converger, mais quelque chose me dit que les auteurs tissent quelque chose d'ambitieux, sur le long terme, qui ne sera pas résolu au bout d'un arc.
Le plaisir qu'on prend à cette lecture provient aussi de sa partie graphique. Car quand on sent, comme c'est le cas ici, que l'artiste s'amuse également beaucoup, et que le résultat suit, c'est-à-dire que ce plaisir se convertit en belles planches, alors c'est une merveilleuse alchimie.
Carmen Carnero est très en forme et ce mois-ci elle se lâche grâce à des scènes qui le lui permettent encore davantage qu'au cours des deux premiers épisodes. Par exemple, comme au début du run de Kelly Thompson sur Captain Marvel, elle renoue avec des images où elle décompose l'action et les mouvements d'une manière formidable dynamique. Ce procédé lui permet de résumer une bagarre tout en lui conférant une plasticité épatante. Elle travaille la profondeur de champ, les valeurs du plan, la composition générale de la page et c'est brillant.
Mais Carnero prouve qu'elle peut aussi découper en un "gaufrier" de neuf cases rigoureux une scène muette dans laquelle Cap explore l'intérieur de l'usine et cela génère une tension palpable de façon simple. Elle élargit ensuite les dimensions de son cadre pour représenter la forge, le volcan en fusion, les coulées de lave, magnifiés par les couleurs solaires de Nolan Woodard.
Puis, sans prévenir, elle lâche une somptueuse double page qui se lit dans le sens des aiguilles d'une montre, articulée autour des cinq branches du bouclier. Magnifique. A la fin de l'épisode, rebelote dans une scène de bagarre très animée entre Bucky et Peggy. Quand une dessiantrice ose cela, c'est qu'elle est en confiance, elle est en pleine possession de ses moyens, le script l'inspire (et/ou est bien détaillé pour la guider). En tout cas, sa technique narrative est solide et donne du punch à l'épisode.
Contrairement à sa série-soeur, Symbol of Truth, la qualité de Sentinel of Liberty est plus manifeste, plus assurée. C'est patent dans l'écriture, c'est flagrant dans le dessin. C'est un retour vraiment gagnant pour Steve Rogers.
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