vendredi 13 mai 2022

SUICIDE SQUAD : GET jOKER ! #3, de Brian Azzarello et Alex Maleev


Il s'est fait attendre ce troisième et dernier épisode de Suicide Squad : Get Joker ! Neuf mois se sont écoulés depuis la sortie du n° 2 et on ne saura sans doute jamais pourquoi DC a tant tardé à le distribué. Mais l'important est ailleurs et tient en une question : Brian Azzarello et Alex Maleev livrent-ils une conclusion à la hauteur ?


La Suicide Squad de Red Hood a coincé le Joker, qui détient le détonateur activant la bombe implantée dans chacun d'eux. Mais Amanda Waller dans le coma, une autre Suicide Squad est envoyée sur place pour tuer tout le monde.


Sous le feu nourri de la deuxième équipe, retranchés dans le cabaret du Joker, Red Hood et ses acolytes ne doivent leur salut qu'à Pebbles qui les exfiltre à bord de la camionette de Toyman. Une course-porsuite s'engage et Plastique se sacrifie pour ses camarades en cavale.


Le Joker conduit la bande jusqu'au repaire de Toyman, mais Harley refuse de suivre le clown dont elle a subi depuis trop longtemps l'emprise. Red Hood cherche à récupérer le détonateur que Pebbles a désormais en sa possession. Une bagarre éclate entre les deux hommes.


Mais ils sont interrompus par l'arrivée de la seconde équipe. Pebbles tombe sous les balles ennemies. Meow Meow le venge tandis que Wild Dog couvre la fuite de Red Hood. Vite rattrapé et blessé, il est sauvé in extremis par Harley Quinn, revenue sur ses pas.


Reste pour Red Hood à remettre la main sur le Joker. Harley lui indique où il est. Les deux hommes vont définitivement règler leurs comptes...

Revenons un instant sur la parution chaotique de cette mini-série, qui était pourtant un projet longtemps rêvé pour le scénariste Brian Azzarello (un temps pressenti pour écrire une série mensuelle sur la Suicide Squad). Finalement, ce dernier a revu sa copie pour qu'elle soit éditée au sein du Black Label en trois Livres d'une cinquantaine de pages.

Tout semblait parfait : en effet, le Black Label permet aux scénaristes plus de liberté de manoeuvre, notamment en ce qui concerne la représentation de la violence et la maturité du propos. Mais décidément, il était dit que jusqu'au bout ce ne serait pas facile.

Quand le premier épisode est paru, en Août 2021, le monde était encore en pleine pandémie et le milieu de l'édition en plein doute. Malgré tout, le deuxième chapitre sortait le mois suivant, sans problème. Et puis plus rien, ou presque. Des reports annoncés. Et silence radio de la part de DC. On finissait par se demander si le projet n'était pas maudit et si on lirait un jour son dénouement. Jusqu'à ce que le titre resurgisse dans les sollicitations.

Forcément, après neuf mois d'attente se pose l'autre question : faut-il relire les deux premiers volets de l'histoire afin d'éviter d'être largué ? J'ai choisi de ne pas le faire pour tester mes souvenirs et la capacité d'Azzarello à m'accrocher comme si tous ces mois ne s'étaient pas écoulés et que son intrigue était resté fraîche. Bonne nouvelle : on replonge dans le feu de l'action sans être perdu.

Pour rappel quand même : Jason Todd a été recruté par Amanda Waller pour diriger un escadron suicide. Leur mission : capturer le Joker. Mais ce dernier s'en prend à Waller et lui dérobe le détonateur grâce auquel elle peut activer la bombe miniature implantée dans chaque membre de la Suicide Squad. Red Hood débusque le Joker mais Waller, dans le coma, est remplacée par son second qui décide de procéder à un nettoyage expéditif en tuant tout le monde. Une deuxième Suicide Squad débarque devant le cabaret du Joker.

Brian Azzarello appuie sur l'accélérateur et met la pression sur ses anti-héros et le lecteur. On assiste à une fusillade terrible et à une course-poursuite endiablée. Il y a des sacrifices, des victimes, du spectacle. La narration est sèche, pas de place pour les sentiments ni pour la psychologie. On est pris à la gorge et Red Hood doit réfléchir vite pour sauver sa peau tout en faisant confiance au Joker.

Cette méchante ironie qui voit s'allier, par la force des choses Jason Todd au clown du crime qui jadis le tabassa à mort, donne au récit une tonalité cruelle et une tension à couper au couteau. Chacun est tenté de s'imposer dans ce jeu de massacre, comme quand Pebbles récupère le détonateur et menace de faire exploser Harley Quinn, qui préfère partir de son côté que de suivre le Joker, dont elle a subi l'emprise trop longtemps et dont elle jure qu'il ménera ses partenaires à une mort certaine. Paroles prophétiques.

Lorsque l'action marque une pause, l'ambiance reste noire et tranchante. On découvre que le Joker a corrompu les jouets de Toyman d'une manière glaçante pendant que Jason et Peebles en viennent aux mains. Il n'y a donc pas vraiment d'accalmie. C'est juste une parenthèse, une bulle. Et évidemment elle ne tarde pas à éclater quand les tueurs resurgissent, tels une meute. Azzarello a une idée géniale : il ne fait jamais parler les membres de cette deuxième unité de la Task Force X, il compte entiérement sur la menace effroyable qu'ils incarnent - et on comprend ce parti-pris quand on sait qu'il s'agit de Rick Flagg, Deathstroke, Deadshot, Peacemaker, tous des assassins aguerris au tableau de chasse impressionnant et sans aucun scrupules.

Dès lors, à nouveau, tout s'emballe et tout devient encore plus macabre. L'équipe de Red Hood ne fait clairement pas le poids et l'un après l'autre, ils tombent sous le feu ennemi. Il ne doit plus rester que les trois personnages clés : Red Hood, Harley Quinn, le Joker. Et une plage pour décor. Azzarello impose au lecteur un choix narratif saillant, en ne montrant pas le dénouement, tout se règle hors-champ, on ignorera qui est le vainqueur, si tant est qu'il y en est un et que cela importe encore. J'ai beaucoup aimé, même si je comprends que cela sera trop frustrant pour certains. Mais on l'aura compris, ce qui iinspire Azzarello, ce ne sont pas les codes classiques, le folklore facile : toute son histoire est une réflexion sur le destin, la fatalité, pas un divertissement avec des super-vilains contraints d'accomplir une mission impossible. Il élimine, il épure, progressivement, et opte pour l'ascèse, à la fin il ne reste plus que le coeur de son projet : Jason Todd et le Joker, comme liés par leur passé traumatisant. C'est fort.

Alex Maleev a lui aussi, pour ces trois épisodes king-size, opté pour un dessin à l'os. On lui reprochera assurément de ne pas avoir produit son oeuvre la plus riche, surtout après avoir attendu si longtemps cet ultime épisode (qui avait pourtant terminé de dessiner depuis belle lurette).

Par exemple, la plupart du temps, dans ce chapitre, il réduit les décors au strict minimum, laissant au coloriste Matt Hollingsworth (qui a souvent collaboré avec lui, notamment sur Daredevil) le soin de "meubler" les arrière-plans avec des camaïeux oautés. On a souvent ainsi le sentiment que les fonds d'image sont enfumés, comme dans une guerilla urbaine, et alors on saisit que ce choix graphique ne doit rien au hasard puisque c'est précisément ce qu'évoque Suicide Squad : Get Joker !.

De toute façon, le minimalisme est de rigueur car les personnages évoluent dans un no man's lans permanent : la prison, les bas-fonds de Gotham, des terrains vagues, le hangar désolé de Toyman, le cabaret dépouillé du Joker. Toute l'histoire se passe dans une aire de jeu quasi-virtuel, une zone de guerre, où par définition il ne reste plus grand-chose du mobilier urbain.

La raideur du trait de Maleev confirme cette approche janséniste. Les protagonistes sont peu expressifs, tout entiers dans la tension, sous la triple menace de la bombe qu'on leur a implantés, du Joker, de l'autre Suicide Squad lancée à leurs trousses. C'est un peu comme si on avait confié la mise en scène à un Robert Bresson, un Jean-Pierre Melville des comics. Les acteurs ressemblent à des pantins dépassés par ce qu'on leur a assignés. Ils avancent, réagissent sans analyser, tombent, se relèvent.

Ces marionnettes sont les jouets d'une manipulatrice hors-champ (Waller) et d'un fou sadique (le Joker). Si on ne peut guère s'attacher à eux, parce qu'il s'agit quand même de criminels, Maleev soigne leur marche funèbre en montrant le côté dérisoire, pathétique de leur existence. Le dessinateur ignore l'esthétique traditionnel des comics de super-héros, avec des costumes bariolés, pour résumer Red Hood et sa bande à des marginaux sans véritable look - d'ailleurs Jason Tood ne porte pas son casque intégral rouge mais un simple domino, qui le fait ressembler à Robin, son premier alias. Harley Quinn, après son numéro mémorable dans le précédent épisode, est ici simplement vêtue d'un bikini, mais qui l'hypersexualise pas - au contraire il révèle sa fragilité, son dénuement. Quant au Joker, il est habillé comme un touriste qui va (littéralement, à la fin) à la plage.

On ferme ce numéro claqué, sonné, troublé. C'est évidemment dommage que DC ait publié ça un peu n'importe comment, retardant absurdement la fin. Mais cette mini-série tape fort et juste. Elle valait la peine.

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