Les Eternels sont-ils maudits ? On peut sérieusement se poser la question. Jack Kirby les avait imaginés lors de son retour chez Marvel en prolongeant les idées non développées qu'il avait pour les New Gods de DC, mais sans être couronné de succès. Neil Gaiman leur redonnera leur heure de gloire mais ne souhaitera pas animer une série régulière, laissant cette tâche à Charles et Daniel Knauf, qui ne convertiront pas leurs efforts en triomphe.
Kieron Gillen de retour lui aussi chez Marvel semblait bien parti pour réussir un gros coup après un premier arc de haute facture. A tel point qu'il obtint de Marvel quelques mois de pause pour que son dessinateur puisse souffle en échange de la parution de one-shots pour compléter son projet, avec d'autres artistes. Mais le scénariste s'est ensuite complètement perdu pour aboutir à un second acte navrant.
Eternals témoignent de l'incapacité chronique de Marvel et de ses auteurs à non seulement revitaliseer sur la durée les concepts les plus radicaux de Kirby mais aussi à animer des personnages très puissants (Thor excepté). Dotés de pouvoirs multiples, les Eternels semblent trop forts pour exister dans le schéma établi par Stan Lee des "héros à problèmes" avec lesquels le lecteur peut s'identifier. Et même l'astuce de Gillen, assurant l'éternité de ces héros à la mort d'humains, n'a pas suffi à créer une empathie suffisante. Parce que, simplement, le scénariste n'a pas exploité cette idée ensuite.
L'autre erreur de Gillen, à mon avis, c'est d'avoir introduit Thanos dans son projet. Légitimement, les fans de Marvel, et du MCU par ricochet, ont dû en avoir marre de revoir le titan fou, même s'il incarnait une menace crédible pour les Eternels. L'échec artistique du film de Chloé Zhao n'a pas dû aider non plus, avec des Eternels trop réécrits pour s'y retrouver (et dont on peut dès lors douter qu'ils auront un impact sur de futurs films, à supposer qu'ils aient droit à une suite).
Avec le recul, il y a des bouts d'idées intéressants dans cet arc, comme le fait que Thanos soit défini comme mi-Eternel, mi-Déviant, ce qui l'empêche de communier avec la Machine, d'où sa décision de la détruire, ce qui entraînerait la fin de notre monde. Mais c'est bien peu et surtout c'est trop laborieusement développé pour captiver. Gillen s'est moqué de lui-même sur Twitter en relevant qu'il avait beaucoup décompressé sa narration dans ces six derniers épisodes, prenant pour exemple le fait que Sersi passait trois épisodes dans un bain avec Namor. Mais derrière l'autodérision, il y a un malaise, provenant du sentiment que Gillen a écrit tout ça sans se relire, sans se rendre compte de ses errements.
Et puis, enfin, l'annonce de l'event Judgment Day dans lequel les Eternels occupent le rôle des méchants a plombé l'intérêt qu'on pouvait avoir pour eux. Cela sent l'enterrement en grandes pompes pour des personnages, que Jason Aaron avait déjà montrés morts dans Avengers, et qui ne reviendront certainement pas de sitôt ensuite. Cela rappelle évidemment le forcing de Marvel à une époque pour subsituer aux mutants les Inhumains (dont l'éditeur n'avait plus les droits d'exploitation cinématographiue) et qui s'était soldé par un échec aussi retentissant. Les fans n'aiment pas qu'on tente de remplacer des héros qu'ils adorent depuis des décennies par des seconds couteaux. Il faut désormais espérer que Judgment Day sera plus réussi que le sinistre Inhumans vs X-Men, et que Gillen écrita un event sans intention de se payer sur le dos des mutants...
Esad Ribic aura beau eu avoir du temps pour dessiner ce second arc, il n'aura pas fait illusion, devant même être supplée en partie pour un épisode et complètement remplacé pour un autre. Restent donc quatre numéros réalisés par lui seul et pour un résultat qui n'a rien de fameux.
Pour un dessinateur de son calibre, avec sa technique, c'est même limite indigne. Cet ultime chapitre est un concentré de tout ce que Ribic peut rater. Des finitions paresseuses, des décors à peine tracés, des personnages aux expressions figées, souvent désastreuses. Des compositions hasardeuses surtout, avec des scènes d'action maladroites (et je reste gentil). Mal chronique chez Marvel (un petit peu moins chez DC), l'attribution de séries exposées à des artistes en difficulté avec les délais aboutit à des résultats aussi affligeants et frustrants pour le lecteur.
Matthew Wilson a joué les pompiers de service dans cette catastrophe, mais un coloriste aussi doué soit-il ne peut parfois que souligner l'échec de l'entreprise dans laquelle il est engagé. Lorsqu'il se met au service d'un artiste compétent et appliqué (comme son partenaire favori, Chris Samnee), Wilson l'accompagne avec tout le sérieux et le talent qu'on lui reconnaît. Quand il est livré à lui-même parce que Ribic semble ne plus vouloir/pouvoir faire plus, les carences du dessinateur sont encore plus criantes en constatant tout ce que le coloriste doit combler.
J'ai tenu jusqu'au bout, mais il est certain que désormais quand je verrais un comic-book écrit par Gillen, j'y réfléchirai à deux fois avant de l'acheter. Cela me préoccupe pour Judgment Day car je vais surtout le lire pour Valerio Schiti et en souhaitant que les X-Men ne soient pas saccagés par cet event. On verra bien.
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