jeudi 14 octobre 2021

THE UNBELIEVABLE UNTEENS #3, de Jeff Lemire et Tyler Crook


Même si je sais que ce ne sera sûrement pas le cas, qu'est-ce que j'aimeerai que tous ceux qui liront ma critique de X-Men #4 lisent aussi celle de The Unbelievable Unteens #3 : ce serait l'occasion pour les lecteurs de la série Marvel d'être curieux de celle de Dark Horse Comics. Et d'apprécier le travail admirable que fait Jeff Lemire avec sa version des mutants de l'univers de Black Hammer, aux côtés de ce fabuleux artiste qu'est Tyler Crook. C'est simple : c'est ici que ça se passe !


Au chevet de Snapdragon, dans le coma depuis douze ans, Kid Boom explique à Jack Sabbath, Strobe et Straka qu'il veille sur leur amie à la demande du Dr. Moniker, décédé il y a cinq ans. Et il en profite pour accabler Jack, responsable de l'état de Snapdragon...


Après un entraînement désastreux en équipe où ses pouvoirs ont échappé à son contrôle, Snadragon accepte de se déplacer sur le plan astral avec Jack Sabbath. Mais ils tombent entre les griffes du Spectre. L'expérience tourne mal : Snapdragon ne se réveille plus.


Contre l'avis du Dr. Moniker, Jack convainc Strobe, Straka et Kid Bloom de le suivre pour délivrer l'esprit de Snapdragon des griffes du Spectre. Le combat contre ce démon est perdu d'avance et Snapdragon marchande son âme en échange de la liberté et la vie sauve de ses amis.


Après tout ce temps, et l'expérience qu'il pense avoir acquise, Jack propose aujourd"hui à ses compagnons de retenter le coup. Mais Straka refuse car il a une femme et des enfants. Surtout, Kid Boom insiste sur le fait que les Unbelievable Unteens ne sont plus...

Jeff Lemire est un de mes scénaristes favoris et son univers Black Hammer est un endroit que j'aime fréquenter, il est plein d'histoires fabuleuses, captivantes, émouvantes. Le scénariste canadien l'a construit patiemment et proprement, de série en série, c'est une oeuvre à part entière, avec une ambition folle, mais toujours accessible.

Bien entendu, il y recycle énormément, mais au fond pas plus qu'un Kurt Busiek quand il écrit Astro City. Et de toute manière, dans les comics, pour reprendre la formule célèbre de Lavoisier, "rien ne se perd, rien se créé, tout se transforme". Il ne s'agit pas, de la part de Lemire, de pasticher, parodier, plagier, mais de réinterpréter, avec sa sensibilité. Et son talent. Qui, tous deux, sont immenses.

Ainsi donc, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, The Unbelievable Unteens est sa version des équipes de freaks comme la Doom Patrol ou les X-Men. Tous les éléments sont là : un mentor autoritaire (le Dr. Miles Moniker), son école, ses élèves (Snapdragon, Jack Sabbath, Strobe, Kid Boom, Straka), et même un super-vilain tout puissant (le Spectre, qui combine le feu du Phénix et la dimension démoniaque de Trigon). Lemire inscrit son récit dans un va-et-vient entre passé (lorsque les Unbelievable Unteens était un groupe de super-héros, au sein de l'école du Dr. Moniker) et présent (lorsque le groupe se réunit, après avoir oublié leur passé).

Ce qui permet à la série de fonctionner, outre le fait qu'elle emprunte aux codes des séries comme Doom Patrol, X-Men ou New Teen Titans, c'est qu'elle a un coeur, incarné dans le personnage de Snapdragon, la fille supruissante du Dr. Moniker, figure tragique à la Jean Grey ou Raven, dont on a appris le mois dernier qu'elle était hospitalisée dans le coma et dont on découvre que, pour sauver ses amis, elle a littéralement vendu son âme au diable (le Spectre). Pour les codes, Lemire se fonde sur des relations romantiques entre les anciens Unbelievable Unteens, avec l'amour que se portaient Jack Sabbath et Snapdragon, mais aussi Strobe et Straka, ces deux derniers étant jalousés par Kid Boom.

Et c'est précisément ce qui fait la différence entre un auteur génial, qui a intégré parfaitement ce qui définit un tel projet, et Gerry Duggan, qui applique un programme dénué de sentiments. Lemire a compris que, pour ce genre de série, le lecteur veut de l'action, du spectacle, mais surtout du soap opera. Il veut voir des personnages qui s'aiment, se déchirent, dépassés par ce qui leur arrivent et totalement voués les uns aux autres. C'est cela qui donne de la chair au groupe de personnages et à leurs histoires. Enlevez un élément à ce cocktail et vous n'aurez qu'un divertissement standard.

Cet épisode dévoile les conséquences catastrophiques des actions déclenchées par Jack Sabbath, qui, par amour, a perdu celle qu'il aimait, a perdu son humanité, et perdu ses camarades. Des années après la tragédie, le ressentiment mais aussi la crainte d'une répétition du drame animent d'un jour nouveau les relations entre les cinq héros. Straka, désormais mari et père de famille, ne veut plus risquer sa peau dans une entreprise improbable. Kid Boom laisse éclater sa colère quand il pointe du doigt l'inconséquence de Jack. Strobe tente de calmer tout le monde. Le scénariste souligne le foss qui s'est creusé entre les deux époques de son récit et respecte autant l'insouciance de la jeunesse que les regrets des adultes que sont devenus ses héros.

Entre deux scènes sur deux lignes temporelles, Lemire donne au lecteur son comptant de moments ébouriffants (le Spectre déchaînant sa furie contre les Unbelievable Unteens) et émouvants, voire poignants (le sort de Snapdragon, la détresse de Jack). On est comblé, non seulement par la teneur de ces scènes, mais aussi apr la subtilité avec laquelle elles sont écrites. Que Marvel n'ait pas compris ce que Lemire aurait pu apporter aux mutants en lui laissant les mains libres est à la fois un terrible gâchis et en même temps c'est ce qui a nourri The Unbelievable Unteens.

Tyler Crook tire le projet dans une dimension étrange et plus indé. Lui, c'est sûr aurait eu encore moins les faveurs d'un gros éditeur comme Marvel qui cherche un dessin plus normalisé, plus figuratif, plus littéral. Mais c'est aussi l'avantage d'une production Dark Horse qui n'a pas à chercher à plaire à tout prix et lâche la bride aux artistes.

Le travail de Crook continue à se déployer selon deux techniques : d'un côté, des planches, pour les scènes au présent, en couleurs directes, à l'aquarelle, qui mettent l'accent sur la morosité, le poids des ans, l'innocence perdue, la grisaille de Spiral City ; et de l'autre, un style imitant les comics deu Bronze Age, avec un encrage aux lignes appuyées, des couleurs volontiers criardes, un découpage brut. Par ce biais, Crook collabore autant que Lemire à développer deux atmosphères correspondant non seulement aux époques mais aussi aux caractères des personnages, qui ne sont plus des ados dotés de pouvoirs fabuleux et inquiétants, mais des adultes plombés par un passé glorieux et pathétique à la fois. En même temps, quand on replonge dans ce passé, le spectacle est total, et les enjeux élevés, les répercussions abominables. Tout se répond avec une prodigieuse efficacité. Et cela dépasse le style de l'artiste car on en reconnaît la justesse, la pertinence.

A leur manière, Lemire et Crook développent une série modeste, facile à lire, comme le sont les X-Men de Duggan. Mais ils y ajoutent du sentiment, ce condiment essentiel pour différencier le produit de l'oeuvre d'art, l'histoire plaisante de celle qui restera parce qu'elle vous aura fait aimer ses héros.

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