mardi 26 octobre 2021

SHUTTER ISLAND, de Martin Scorsese


Pourquoi regarder un film quand on a déjà lu le roman dont il a été adapté, lequel a connu une version en bande dessinée ? Pour juger la manière dont un grand cinéaste, confirmé, vénéré même, en donne son interprétation. Shutter Island était un matériau fait pour Martin Scorsese avec son héros hanté par son passé, son intrigue fièvreuse et les possibiltiés de mise en scène qu'offrait son décor principal. Le résultat ne déçoit pas.


1954. Deuc marshalls, Edwards 'Teddy" Daniels et Chuck Haule, débarquent sur l'île de Shutter où se trouve un asile pour patients dangereux. L'un d'eux, une jeune femme du nom de Rachel Solando, qui y était internée après avoir noyé ses enfants, s'en est échappée, comme le leur explique le Dr. Cawley. Daniels repère un phare à proximité de l'établissement mais McPherson, le responsable de la sécurité, lui répond qu'il a déjà été inspecté, sans succès.


En interrogeant le personnel soignant, Daniels apprend que le psychiatre référent de la jeune femme a quitté l'île le matin même et il est injoignable à cause de l'orage qui empêche les communications avec le continent. Par ailleurs, Cawley refuse de communiquer aux marshalls le dossier de la patiente et les fichiers des encadrants sans une réunion préalable du conseil d'administration. La nuit venue, Daniels fait un rêve où sa femme, Dolores, l'assure que Rachel est encore en vie et sur l'île tout comme Andrew Laeddis.
 

Le lendemain, avec Haule, Daniels questionne les autres patients du groupe de thérapie collective dont faisait partie Rachel. L'un d'eux glisse en douce à Daniels un billet où il lui est conseillé de quitter l'île au plus tôt. Remarquant le trouble de son collègue, Haule lui demande ce qui se passe et Daniels avoue s'être porté volontaire pour cette enquête car il cherche ici Andrew Laeddis, un pyromane responsable de l'incendie de l'immeuble dans lequel il habitait et où sa femme a péri. Il est convaincu que les patients sont soumis à des expériences pour les transformer en agents dormants. Sur ces entrefaîtes, Cawley vient prévenir que Rachel a été retrouvée, saine et sauve, mais les deux marshalls constatent son état très confus.
 

Victime de migraines récurrentes, Daniels prend une aspirine administrée par Cawley. A son réveil, il apprend par Haule que l'orage a cessé mais que l'alimentation électrique de tout l'asile a grillé, semant le chaos. Les deux hommes en profitent pour visiter le bâtiment où se trouvent les patients les plus dangereux. Daniels sème Haule pour trouver Laeddis mais découvre dans une cellule George Noyce, un homme qu'il avait arrêté et qui lui explique que cet endroit est un piège. Daniels sort et entreprend de gagner le phare. Haule tente en vain de l'en dissuader et en descendant un paroi rocheuse, Daniels découvre une grotte à l'intérieur de laquelle se cache la véritable Rachel Solando.


Elle lui raconte se cacher car elle est traquée apr Cawley pour avoir voulu dénoncer les expériences qu'il mène sur les patients les plus dangereux. Elle suggère aussi que les migraines de Daniels sont causés par des drogues que lui donné Cawley en voulant le soulager. Daniels jure de revenir et de faire quitter l'île à Rachel Solando mais elle lui répond qu'elle change de cachette chaque nuit. Il nage jusqu'au phare et grimpe jusqu'à son sommet où l'attend Cawley et le Dr. Shehan, son psy référent, alias Chuck Haule qui lui explique l'avoir pour patient depuis deux ans, après qu'il ait tué sa femme, qui elle-même avait noyé leurs enfants. Edward Daniels est l'anagramme d'Andrew Laeddis comme Rachel Solando est celui de Dolores Chanal, des créations pour supporter ses traumatismes depuis qu'il est entré dans le camp de Dachau avec l'armée américaine à la fin de la guerre.


"Teddy" semble revenir à la raison en reconnaissant son délire. Mais le lendemain, il est à nouveau confus et paranoïaque, comme le constate Shehan/Haule. Cawley autorise son collègue, Naehring, à lobotomiser son patient pour l'apaiser.

A l'origine, Shutter Island est un roman écrit par Dennis Lehane,  un excellent thriller, noir et dense. Je l'ai pourtant lu après son adaptation en bande dessinée par Christian de Metter, déjà magistrale (j'en avais parlé dans une critique sur ce blog il y a longtemps). Sachant tout cela, je n'étais pas pressé de découvrir le film qu'en avait tiré Martin Scorsese.

J'ai, je l'avoue, un rapport compliqué avec son cinéma, car si j'adore ce qu'il a fait dans les années 70, avec Taxi Driver ou Raging Bull et en poussant dans les années 80 jusqu'à After Hours, ensuite j'ai plus de mal. Il me semble que "Marty" s'est perdu dans des oeuvres inégales, trop marqués par des obsessions religieuses (Scorsese est un catholique pratiquant que la foi interroge beaucoup). Même si je ne nie pas qu'il a produit d'autres chefs d'oeuvre comme Les Affranchis ou Casino, tout le reste me passe au-dessus de la tête et j'en garde peu de souvenirs sinon celui d'avoir souvent eu l'impression d'assister à des démonstrations de mise en scène pour des histoires qui m'indifféraient.

En vérité, ce que j'apprécie le plus chez Scorsese, c'est le cinéphile et le pédagogue : cinéphage érudit et passionnant, il a réalisé des documentaires sur le cinéma américain fabuleux, tout comme quand, dans le domaine musical, il se penche sur la personnalité et l'oeuvre de Bob Dylan. A l'instar d'un Bertrand Tavernier en France, Scorsese sait vous parler de films, de cinéastes, connus ou oubliés, en vous donnant l'envie de les (re)découvrir.

Malgré tout, je reste curieux quand Scorsese adapte des polars, dans ce qui peut ressembler à des films de commande mais où, au moins, il ne pontifie pas ni n'en profite pour revenir sur ses obsessions catholiques. Les Infiltrés, par exemple, est un long métrage que beaucoup de ses fans méprisent (parce que c'est un remake, un véhicule pour deux stars, etc) mais que j'adore pour son efficacité sans prétention et effectivement pour ses interprètes incroyables.

Donc, pour en revenir à Shutter Island, c'est ce qui m'a finalement convaincu de le voir pour la première fois il y a quelques jours sur Netflix. L'envie de regarder un Scorsese dans le cadre d'un pur exercice de style. Et le résultat est assez formidable. Pas parfait, mais jubilatoire.

Même en connaissant bien l'histoire (qui, il faut le dire, est imparable), on est emporté. Scorsese, avec le concours de ses proches collaborateurs - Robert Richardson à la photo, Thelma Schoonmaker au montage - emballe ça avec une maestria consommé. Le film dure presque 2h 20, mais on ne voit presque pas le temps passé. J'aurai préféré qu'il soit plus court, plus ramassé, pour qu'il soit encore plus intense, et surtout je crois que pour que l'illusion soit parfaite, il aurait fallu qu'il soit filmé en noir et blanc pour rappeler encore plus ses influences esthétiques (le film noir des années 50, un genre et une période que le cinéaste connaît sur le bout des doigts et qu'il s'applique à reproduire avec des cadrages, des valeurs de plans, des mouvements d'appareils).

Dès le début, on sait que quelque chose cloche - comment s'échapper d'un endroit pareil ? Pourquoi le personnel de l'asile se comporte aussi bizarrement ?. Tout est too much : l'orage démentiel, les regards insistants et ronds, le décor digne d'un film d'épouvante, le cas de Rachel Solando, les migraines et les cauchemars de Teddy Daniels; Scorsese ose tout, sans gêne, comme de dresser un parallèle entre l'asile et le camp de Dachau, source d'un trauma incurable qui oriente jusqu'aux déductions du marshall. C'est tordu, mais jouissif et atroce, d'un mauvais goût assumé et surprenant. Mais cela colle avec les critères de la série B où on peut tout se permettre pour faire vibrer, frémir, le spectateur. 

Les indices sont gros comme des montagnes, les ficelles narratives grosses comme des cables, et les symboles tellement abondants et soulignés que seul ce pauvre Teddy, complètement à la ramasse, ne les voit pas. Ne serait-ce que le fameux phare : quelle "subtilité", n'est-ce pas ? Le bâtiment va éclaircir forcément tous les mystères et le twist final demeure, en dépit de tout, redoutable (peut-être moins dans le film que dans le roman et la BD, c'est là la limite des adaptations multiples).

Mais alors le jeu des acteurs vient à la rescousse du cinéaste pour faire passer cette énorme pilule. Ben Kingsley comme Max Von Sydow sont trop évidents dans leurs rôles, mais sans doute était-ce trop tentant de les engager, car ce sont de fabuleux monstres, le public sait immédiatement qu'ils ne sont pas dignes de confiance, capables des pires horreurs avec leur filmo remplie d'individus affreux.

En revanche, Scorsese se rattrape avec Michelle Williams, formidable comme toujours (sauf quand elle se compromet dans Venom), et Mark Ruffalo, d'une sobriété admirable et qui offre un contrepoint parfait à Leonardo di Caprio. Ah, di Caprio ! En voilà un autre sacré client : celui qui a succédé à de Niro dans le coeur de Scorsese en repliquant mécaniquement des "performances" électriques, avec des personnages toujours plus borderline. Shutter Island lui offre encore un beau prétexte pour rouler des yeux, suer à grosses gouttes, devenir de plus en plus agité. Il est très fort dans son numéro, et on sent qu'il se donne complètement, donc c'est appréciable mais si ça ressemble à du cirque plus qu'à de la comédie parfois. Mais bon, depuis Once upon a time... In Hollywood, je lui pardonne volontiers car Tarantino ma prouvé qu'il savait faire autre chose et qu'en fait, ce qu'il joue chez Scorsese forme sa légende d'acteur racé.

Souvent téléphoné, rarement dans la finesse, mais tout de même plaisant et bien ficelé. Shutter Island est un piège exquis.

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