La mini-série de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos continue de dérouler son intrigue envoûtante. Mais l'épisode de ce mois-ci est un peu un chapitre de transition : Pearl se met comme en pause et laisse à ses personnages le temps de souffler, de faire le point, distillant leurs secrets au compte-gouttes. Loin d'être un numéro creux, il est comme une lampe de lancement pour la suite et fin.
Après la fusillade au night-club, Rick Araki entraîne Pearl Tanaka et son amie Kimmy sur les hauteurs de San Francisco, à l'abri, dans la luxueuse propriété de sa tante, en congé au Japon. Comme elle n'appartient à aucun clan mafieux, aucun danger que Miike ou les Endo ne sachent où ils sont.
Pour expliquer ses liens avec les Endo, Rick révèle à Pearl qu'il loue une partie de son atelier de tatouage en échange de leur protection. En revanche, il ignore pourquoi Miike le veut mort et la raison de l'intervention du tueur Shiba au club. S'il se savait menacé, il ne se montrerait évidemment pas en public.
Shiba, justement, fait irruption chez les jumelles Endo, furieux de la tournure des événements : il est convaincu qu'elles l'ont envoyé au club pour l'éliminer puisque Pearl Tanaka s'y trouvait et l'a blessé. Mais elles le tuent et font passer cela pour un geste de légitime défense auprès de l'agent de police présent sur place après des plaintes du voisinage à cause du grabuge.
Tandis que les Endo désignent Pearl comme le vrai danger à l'agent de police, la jeune femme explique à Rick comment elle a réalisé ce tatouage géant spécial qui apparaît sur son corps dans les moments de stress, en hommage à sa mère, et stimulé par son albinisme.
Rick lui demande ce qu'elle compte faire maintenant pour sortir de ce mauvais pas. Elle répond : parler à Miike - qui se trouve face à un choix, exposé par Kai : révéler ou non qui était la vraie mère de Pearl, et gérer sa réaction...
Tout d'abord, parce que, il faut être honnête, c'est ce qui s'impose, l'épisode est une nouvelle fois esthétiquement somptueux. Michael Gaydos aligne les épisodes, et pour chacun d'eux les planches les plus belles de sa carrière. Cet artiste, à qui j'ai souvent reproché, au point de zapper ses comics, les tics de mise en scène (avec l'usage outrancier de cases copiées/collées pour illustrer des dialogues abondants), est visiblement porté par cette histoire dont il a glissée l'idée à Brian Michael Bendis et pour laquelle il s'est notablement documenté, se faisant même tatouer.
La force picturale des pages de Gaydos tient notamment à son usage de la couleur : il a pour Pearl privilégier une palette réduite, comme pour souligner l'ambiance de chaque scène, et n'hésite donc pas à enchaîner plusieurs pages d'affilée avec la même gamme chromatique. Le bleu domine dans cet épisode où les dialogues entre l'héroïne et Rick Araki correspondent à une sorte de trêve narrative, dans laquelle chacun fait le point, expose des éléments de son passé et tente de se projeter dans l'avenir alors que la situation actuelle est très compromise.
Gaydos a recours à une modèle pour représenter Pearl et cela se sent dans le réalisme porté aux expressions : le découpage met en avant les gros plans sur les visages et un haussement de sourcils, un sourire, une moue prolongent merveilleusement les paroles exprimées. On n'est pas dans du photo-réalisme ou du calque photographique paresseux, mais dans un travail sur la base du réel et son traitement par le dessin, le trait, son encrage, sa colorisation. L'effet est saisissant.
Quand un scénariste, même avec l'expérience de Bendis et sa complicité avec Gaydos, peut compter sur un tel partenaire, on peut soit craindre qu'il se repose sur la virtuosité graphique, soit au contraire qu'il y trouve matière à a raffiner les ambiances, à moduler sa dramaturgie.
Ainsi, l'épisode s'autorise-t-il, comme déjà dit plus haut, à suspendre son action. D'une certaine manière, le lecteur comme les personnages en avaient besoin après trois chapitres intenses. On se tire beaucoup dessus, on se manipule, les enjeux dépassent les acteurs : un break s'impose. Et par ailleurs une note fantastique s'est faite jour récemment.
Dans le feu de l'action, Rick comme le lecteur a pu découvrir l'apparition d'un impressionnant tatouage sur Pearl sans en connaître la nature. Est-ce une manifestation surnaturelle ? Bendis répond à moitié en expliquant que ce dessin sur la peau de son héroïne surgit quand elle est soumise à une montée d'adrénaline. On apprend aussi qu'elle s'est tatouée elle-même, et cela en mémoire de sa mère - qu'elle a donc littéralement dans la peau (une idée étonnante, troublante).
Mais à la fin de l'épisode, Kai et Miike évoquent la "vraie" mère de Pearl avec une crainte tout aussi surprenante dans leur échange. Cela suggère évidemment un nouveau rebondissement à venir, mais aussi confère une dimension inédite à la jeune femme qui, quand elle apprendra la vérité, pourrait très bien tuer tous ceux qui la lui ont cachée. Bigre !
Sur cette note mystérieuse mais très accrocheuse, on a plus que hâte de découvrir le cinquième et pénultième volet de Pearl.
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