A une marche de la fin, quinze jours avant le terme de son run et de ce volume de Daredevil, Charles Soule réussit à garder intact le mystère entourant la mort de son héros. Avec Phil Noto, il déroule un épisode plein d'action de coups de théâtre, dans une atmosphère aux airs de cauchemar éveillé. C'est une sorte d'exploit que de se jouer des lecteurs avec un programme aussi défini.
Après la mort de James Wesley, le bras-droit de Wilson Fisk, Daredevil a décidé de se tenir à l'écart de ses proches et de ses partenaires car il sait que le Caïd est prêt à tout pour l'empêcher de révéler s'il a fait truquer les élections municipales.
Ce qui ne signifie pas que DD va connaître de répit comme il s'en aperçoit lorsque Stilt-Man (l'Homme aux Echasses) l'attaque. Ou plutôt des Stilt-Men. Résolus à causer des dégâts pour le capturer et l'éliminer. Daredevil déjoue leur plan en descendant dans la rue et en cherchant un abri.
Il se réfugie dans une salle de spectacle vide - ou presque. Car six assassins l'y attendent, et pas des moindes : Typhoïd Mary, Electro, le Gladiateur, Ikari, Tenfingers et Klaw. DD saisit vite leur point faible : ils n'ont jamais manoeuvré ensemble, même s'il est leur unique cible.
Daredevil frappe d'abord Klaw qui riposte en voulant l'assourdir mais neutralise Ikari. Le Gladiateur manque DD et atteint Typhoïd Mary qui déclenche un feu brûlant Tenfingers et active l'arrosage anti-incendie de la salle. Electro s'électrocute et les cinq autres assassins avec lui.
Daredevil gagne le toit où il reçoit une balle dans la cuisse droite. Bullseye le tient au bout de son fusil, à sa merci. Jusqu'à ce que Mike Murdock arrive dans son dos et ne lui tire dessus. Contre toute attente, Mike aide DD à se relever et lui offre son aide pour la suite.
Puisqu'on aura le fin mot de cette intrigue dans une quinzaine de jours, il est temps d'abattre ses cartes et de confier ma théorie sur "la mort de Daredevil". On verra si j'ai tort ou raison - ou si Charles Soule a imaginé une troisième voie.
En lisant ce 611ème épisode, mon impression s'est renforcée et je la partage donc : à mon humble avis, Daredevil n'est pas mort (et ne mourra donc pas au #612), mais Matt Murdock est toujours hospitalisé depuis qu'un camion l'a percuté dans le n°610. Il doit être depuis dans le coma et ce nous lisons depuis est ce qu'il imagine.
Pourquoi je pense cela ? Tout d'abord, depuis le début de cet arc, Wilson Fisk n'apparaît pas (plus - sa dernière apparition remonte au #609). Il est omniprésent, obsédant Daredevil et ses proches et ses partenaires, mais alors qu'on devrait le voir donnant des ordres et recevoir des rapports sur la chasse que lui fait Daredevil et le contrat qu'il a lancé contre ce dernier, il demeure invisible. C'est un parti-pris de Soule qui me semble signifier que tout cela est le fruit de l'imagination comateuse de Matt Murdock.
Ensuite, le scénario progresse en resserrant son objectif : Daredevil/Murdock est d'abord entouré - par Foggy, par McGee, Reader, Cypher - puis de plus en plus isolé, jusqu'à être seul dans ce #611. Au fur et à mesure, tous les seconds rôles quittent la scène. Mais ceux qui y apparaissent ne font qu'un tour rapide : Elektra a surgi de nulle part pour disparaître aussi subitement. Le tueur Vigil est intervenu de manière irréelle. Dans ce numéro, Stilt-Man puis Typhoïd Mary, Electro, le Gladiateur, Tenfingers, Ikari et Klaw sont ligués comme jamais auparavant et savent exactement où se trouve DD sans avoir pu le prévoir (il échappe à l'Homme aux Echasses de manière imprévisible et se réfugie dans le seul endroit possible où, comme par hasard, les méchants l'attendent). Tout est trop gros pour être réaliste, vraisemblable, possible. Le nombre d'adversaires, leur présence au bon endroit au bon moment, leur alliance inédite. Et ne parlons pas de Bullseye qu'on avait quitté en piteux état dans le run de Waid et qui est à nouveau intact, pile là où il faut, comme s'il savait que DD allait vaincre les six assassins dans la salle de spectacle.
Enfin, Mike Murdock : son incarnation relève d'un tour de passe-passe énorme (Reader lui a donné vie par mégarde), la dernière fois qu'on l'a vu the Hood le prenait sous son aile sur ordre de Fisk (tiens, tiens) et le revoilà, tuant par surprise Bullseye (pourtant pas du genre à se laisser avoir comme ça) et offrant son aide à Daredevil (contre qui il s'était pourtant juré de se venger). Soit Mike Murdock est une hallucination, soit il va prendre la place de Matt, soit il va mourir dans quinze jours.
La confusion est maximale aussi grâce au dessin de Phil Noto. Il théâtralise au possible chaque scène en éliminant toute figuration dans ses plans (même si Daredevil évolue la nuit, dans les airs d'abord puis un quartier désert - mais trop désert pour que cela soit crédible). Noto, qui colorise lui-même ses planches, emploie aussi une palette limitée : tout est bleu dehors (le costume métallique des Stilt-Men, le ciel nocturne, les façades des immeubles) par contraste avec la combinaison écarlate de DD. Puis ensuite, il anime les six assassins dans des habits au contraire très voyants (Typhoïd Mary avec le design de Maleev, le Gladiateur dans son look originel, Ikari idem, Electro avec son ancienne apparence reconnaissable à son masque, Klaw inchangé). Puis la dernière scène renoue avec la silhouette de Daredevil qui se détache de tout, même si la blessure que lui inflige Bullseye laisse échapper du sang d'un rouge à peine plus foncé que celui de son costume.
Une autre astuce mise au point par Soule et Noto pour égarer le lecteur ou lui indiquer un signal, c'est selon, est la répétition d'une case noire qui occupe toute la largeur de la page à chaque moment crucial (lorsque DD est assailli par les Stilt-Men, lorsqu'il croit que Bullesye va le tuer, puis Mike l'achever). Cette espèce de clignotant où on est brièvement plongé dans les ténèbres suggère que quelque chose cloche, comme si le héros ne pouvait plus se concentrer, penser - et le lecteur ne plus voir. Comme s'il n'y avait plus de courant. Et du coup, l'image suivante relève du miracle répété : DD échappe aux Stilt-Men, au tir de Bullseye, au coup de grâce de Mike.
Bien entendu, tout cela n'est que spéculation - plus d'hypothèses que de critique donc. Mais que j'ai raison ou non, en vérité qu'importe : la narration devient ludique, Soule et Noto font exactement ce qu'on attend d'eux - nous mener par le bout du nez. Impossible, vraiment, de deviner comment cela va se terminer. C'est pour cela que je suis convaincu qu'on révisera à la hausse un jour ces épisodes (ce run entier ?). D'ici Février prochain, on aura le temps, quand Chip Zdarsky et Marco Checchetto (beau duo, inattendu mais prometteur) relancera la série.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire