Tous ceux qui ont vu et aimé Eternal Sunshine of the Spotless Mind il y a quatorze ans n'attendaient qu'une chose, ces retrouvailles entre le réalisateur Michel Gondry et l'acteur Jim Carrey. D'autant plus que ce dernier s'est fait très discret ces dernières années (la faute à de nombreux projets cinéma avortés). Showtime et Dave Holstein, le scénariste-créateur de Kidding, ont exaucé nos voeux avec une série incroyable - déjà renouvelée pour une saison 2 !
Mr. Pickles (Jim Carrey)
Jeff Pickles est l'animateur d'une émission pour les enfants très populaire où il partage la vedette avec des marionnettes, conçues par sa soeur, Deirdre, et produite par son père, Sebastian. Mais leur relation va se tendre lorsque Jeff veut consacrer un numéro sur le thème du deuil - l'occasion d'évoquer la mort de Will, un de ses fils, tué dans un accident de la route, et à l'origine de sa séparation avec sa femme, Jill. Celle-ci entame une nouvelle relation avec un collègue infirmier, Peter, et éduque le jumeau de Will, Phil, qui copine avec une bande de jeunes pour fumer de la marijuana.
Deirdre et son père Sebastian (Catherine Keener et Frank Langella)
Sans rien dire à personne, Jeff a loué la maison voisine de Jill afin de les voir, elle et leur fils, mais en découvrant la présence de Peter, il désespère et se rase une partie du crâne. Sebastian en voyant cela pense que son fils se venge parce que son idée de numéro sur le deuil a été refusée. Maddy, la fille de Deirdre, voit Scott, son père, se faire masturber par son professeur de piano et le répète à sa mère. Jeff, avec un postiche, rend visite à des enfants hospitalisés dans une aile portant le nom de Mr. Pickles et en profite pour demander à Jill de lui laisser Phil plus souvent.
Maddy et Scott (Juliet Morris et Bernard White)
Sebastian pousse Jeff à rencontrer de nouvelles femmes, parmi ses admiratrices, et il accepte à contrecoeur car il s'estime toujours marié à Jill. Son dîner avec une de ses fans, ex-toxicomane, le conforte dans l'idée qu'on le considère davantage comme Mr. Pickles que comme un homme normal, et il refuse de coucher avec elle. Scott reconnaît devant Deirdre ne plus savoir où il en est sexuellement et l'interroge sur le divorce, ce qui effraie Maddy qui les espionne. Jeff se consacre à nouveau à ses oeuvres de charité en visitant des femmes atteintes de cancer. A cette occasion, il rencontre Vivian, dont l'humour noir le déroute et le séduit : il se met en tête de la sauver, en commençant par être son amant. Puis il offre à Will une boîte pour apprendre la magie, l'activité favorite de son frère, dans l'espoir qu'il cesse de fumer de la marijuana.
Peter et Jill (Justin Kirk et Judy Greer)
Sebastian, constatant que Jeff est de plus en plus imprévisible, sans déterminer s'il veut le provoquer ou parce qu'il est dépressif, parle à Deirdre de son intention de le remplacer à court terme en produisant un dessin animé sur Mr. Pickles et un spectacle de patinage artistique sur son univers, dont elle serait la directrice artistique. Jeff confie à Jill sa liaison avec Vivian, se montre plus docile avec son père - sans de douter des manigances de ce dernier - , passe du temps avec Will - qui lui reproche surtout de trop parler et de ne pas assez l'écouter. Mais tandis que Jeff semble profiter de cette accalmie, Deirdre épluche les comptes de son frère et découvre qu'il paie les frais médicaux de l'homme responsable de l'accident fatal à Phil.
Sebastian et son petit-fils Will (Frank Langella et Cole Allen)
Mise au courant, Jill est furieuse même si Jeff justifie son geste en expliquant que le conducteur ne peut désormais plus travailler et qu'il a un enfant à charge. Deirdre, bien qu'estimant qu'elle le trahit, confectionne un masque inspiré de son frère pour la patineuse Tara Lipinski qui interprétera Mr.Pickles sur la glace. En le découvrant, Jeff apprend aussi les projets de Sebastian et, triste, se remet auprès de Vivian. Sebastian en profite recruter des auteurs pour l'émission télé et le dessin animé, réprimande fermement Will sur sa consommation de marijuana et assiste aux premières répétitions de Tara Lipinski.
Vivian et Jeff (Ginger Gonzaga et Jim Carrey)
Malgré la chimiothérapie, l'état de Vivian se dégrade et elle se prépare sereinement à mourir dans les mois qui viennent. Jeff ne l'entend pas ainsi et sollicite l'aide de Deirdre, en jouant sur son sentiment de culpabilité, pour qu'elle confectionne des marionnettes dans le cadre d'une représentation privée afin d'encourager Vivian à se battre. Entre temps, il rencontre Sara, la soeur de Tara Lipinski, et lui assure qu'elle a assez de talent pour jouer le premier rôle de leur spectacle. Il se débarrasse ensuite de l'oiseau de la danseuse, qui en le trouvant mort, est trop bouleversée pour poursuivre les répétitions.
Will et son père Jeff (Cole Allen et Jim Carrey)
Will accompagne son père à Los Angeles où Jeff doit enregistrer les messages programmées dans des poupées à son effigie vendues à Noël. Il demande à changer le texte pour le simplifier, sans être contredit. Cependant, Deirdre et Scott hébergent l'animateur de la version japonaise de Mr. Pickles et elle entreprend de le séduire pour tromper son mari afin de se venger. A son retour, Jeff, soutenu par Jill, apprend que la santé de Vivian s'est miraculeusement améliorée : son cancer est en rémission. Un dîner chez Deirdre est organisé, avec Sebastian, Jill, Peter, Will, l'animateur japonais, et le couple. Mais Vivian annonce qu'elle va partir en voyage, seule, et qu'elle souhaite rompre avec Jeff, qui lui rappelle désormais le temps où elle était condamnée. Malgré tout, Jeff contacte le service d'oncologie afin de payer les frais médicaux de Vivian. Puis il dévaste le bureau de son père en laissant exploser sa colère et son désespoir.
Jeff Pickles
Jeff se remémore les jours précédant la mort de Phil alors qu'actuellement il projette d'aller assister à l'exécution d'un condamné à mort. Celui-ci, Joey, avec qui il a entretenu une correspondance durant des années, n'est autre que le père de Derrell, son standardiste, plus hésitant à ce sujet, tout comme Sebastian et Jill (lui parce qu'il pense que c'est une erreur de communication, elle car il s'agit d'un meurtrier). Mais Jeff culpabilise à travers cette affaire au sujet de sa propre paternité, jugeant avoir été trop sévère avec Phil, comme Sebastian est trop dur avec lui. Deirdre et l'animateur japonais sont surpris par Scott : peu après, il est à nouveau question de divorce entre eux, mais cette fois Maddy reste calme car elle compris que sa mère s'est vengée. Jeff assiste finalement à l'exécution de Joey - et décide de réagir contre l'autoritarisme de Sebastian.
Tara Lipinski (dans son propre rôle)
Tara Lipinski et Deirdre ont modifié le spectacle sur glace et c'est désormais sa soeur, Sara, qui porte le masque de Mr. Pickles. La première a lieu devant un public d'enfants enthousiastes bien que Jeff souhaitait un échec. C'est alors que Sara blesse involontairement et gravement Tara. Sebastian apprend que Jeff a confirmé sa présence aux illuminations de Noël à la Maison-Blanche où il fera un discours pour les enfants en direct à la télé. Jill l'accompagne pour prévenir toute malice de sa part tandis que l'équipe d'auteurs du dessin animé et de l'émission télé reçoivent leurs lettres de licenciement signées par Jeff, à l'insu de Sebastian.
Mr. Pickles et ses fans
Jeff s'adresse donc aux enfants à la télé en direct et méduse tout le monde en évoquant la mort de Phil et en reprochant aux parents de lui confier leur progéniture par paresse. Il encourage son jeune public à aller ouvrir leurs cadeaux avant l'heure et tous trouvent une poupée à l'effigie de Mr. Pickles qui livre le même message : "Je t'écoute." Ce coup d'éclat incite la chaîne PBS, qui diffuse l'émission, à l'annuler. Le studio se vide de ses décors et marionnettes. Mais les enfants se ruent sur place pour rencontrer Jeff et se confier à lui. Même Deirdre et Sebastian se prêtent au jeu. Il se rend ensuite chez Jill et tombe dehors sur Peter à qui il promet de ne plus les importuner car il est fier que Will soit élevé par lui. D'ailleurs, Jeff rebrousse chemin et reprend le volant. Il percute ensuite de plein fouet Peter et s'arrête, confus.
Si Kidding a une vertu majeure, ce sera celle de rappeler quel immense acteur est Jim Carrey. Celui qui incarna Ace Ventura, le héros du Truman show, Andy Kaufman dans Man on the moon (honte à l'Académie de ne pas lui avoir décerné l'Oscar !), avait pratiquement disparu depuis sa participation à Kick-Ass II, dans lequel il regretta ensuite d'avoir joué (jugeant le contenu trop violent). On a beaucoup commenté ce retrait, notamment en affirmant que son interprétation vertigineuse dans le film de Milos Forman (Man on the moon donc) l'avait rincé psychologiquement - un documentaire de Chris Smith, en 2017, Jim and Andy, va dans ce sens, le comédien avouant que ce rôle le mettait en vacances de lui-même.
La réalité est plus ambiguë évidemment : Carrey a vu plusieurs de ses projets sur grand écran ne pas se monter pour des raisons diverses (l'une d'elles est qu'il désirait aller vers des rôles moins systématiquement comiques, mais les studios ne voulaient pas miser là-dessus). Il aurait préféré faire une pause plutôt que de se compromettre - même s'il a réussi, auparavant, la réalisation de productions comme I love you Philip Morris (la romance gay entre un escroc et son co-détenu).
Lorsque la série Kidding, créée et écrite par Dave Holstein pour Showtime, a été annoncée avec Carrey, cela était déjà prometteur, sachant que l'histoire s'inspirait de Mr. Rogers, un animateur d'émissions pour enfants célèbre aux Etats-Unis. Mais l'affaire a pris une autre envergure quand Michel Gondry s'y est attaché : tout à coup, ce n'était pas qu'un show de plus avec une star, mais les retrouvailles du cinéaste de Eternal Sunshine of the Spotless Mind avec sa vedette - qui y tenait un de ses plus beaux rôles, un des premiers dramatique aussi.
On retrouve la magie à l'oeuvre dans le long métrage de 2004 dans les dix épisodes de cette saison 1, dont Gondry a réalisé la majorité. Le récit est une réflexion poignante et loufoque à la fois sur le deuil, la paternité, la filiation, la famille, le show-business, l'amour, la porosité entre fiction et réel, la folie. Le script, extraordinaire de justesse et d'extravagance, regorge de symboles, subtils mais éloquents, depuis le prénom du fils survivant (Will, qui signifie la volonté comme le verbe être au futur) en passant par l'emploi des marionnettes (comme partenaires de jeu, outils de communication - jusqu'à abolir les langues étrangères - , doubles névrotiques - le masque géant destiné à la danseuse Tara Lipinski dans son propre rôle), sans oublier aucun personnage secondaire.
L'intrigue multiplie, sans égarer le téléspectateur, les subplots, notamment via Maddy, la fille Deirdre, témoin de la crise conjugale de ses parents, tour à tour bouleversée et placide ; la culpabilité de Deirdre envers son frère, sa soumission à leur père, sa vengeance contre son mari ; la relation limite glauque, mais surtout follement romantique et cruelle entre Jeff et Vivian atteinte et miraculeusement guérie d'un cancer ; la rébellion de Will en butte contre son père (figure encombrante, impatiente et dirigiste, comme son grand-père) et son frère disparu (fantôme envahissant) dans les pas duquel il se met pourtant à marcher (la quête des jeunes filles qu'il avait séduites, l'apprentissage de la magie).
Malgré un format court (trente minutes l'épisode), Holstein et Gondry parviennent à une densité stupéfiante et un discours toujours fluide, à l'image du speech final de Jeff Pickles sur la responsabilité éducative des parents et la nécessité d'écouter - de s'écouter soi. Pour autant, le héros n'est pas épargné : Mr. Pickles est-il fou ? La question obsède le téléspectateur comme les auteurs quand on voit son instrumentalisation des marionnettes, sa tendance au voyeurisme, ses obsessions mortifères (l'épisode du condamné à mort est insensé) - jusqu'à le toute dernière scène, réalisée de manière à nous confondre totalement (Jeff l'a-t-il fait exprès ?). En même temps, l'accumulation de frustrations, d'épreuves, de douleurs (la crise de nerfs dans le bureau du père est bouleversante), font de Jeff un homme dans un tel état de souffrance qu'il est lui-même comme une marionnette déchirée.
Malgré sa part d'ombres réelle, Kidding (soit "En rigolant") est drôle souvent aussi. Grâce notamment aux partenaires de Carrey, qui tiennent le choc face à ce génie en n'évoluant pas dans le même registre : Frank Langella est impérial en père manipulateur, Catherine Keener fantastique en grande soeur rongé par les remords et pourtant solidaire ou revancharde, Judy Greer superbe en épouse dépassée, ou le jeune Cole Allen, épatant en fiston fataliste.
Mine de rien, cette série vous prend à la gorge pour ne plus vous lâcher, vous hante, vous fait sourire. Sa capacité à s'imposer en douceur en fait une des plus belles créations de l'année. Et nous rend Jim Carrey dans toute sa grandeur. Pour cela seul, déjà, elle mérite sa place tout en haut.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire