Avec La La Land, Damien Chazelle avait décroché les étoiles - et une moisson de prix. Il ne comptait pas en rester là puisque, déjà avant ce succès, il avait le projet de First Man. Son rêve est exaucé et le résultat confirme la place à part du cinéaste, qui ne réalise pas un biopic ordinaire, mais un nouvel opus majeur, mélancolique et cruel, sur un homme plus hanté par la mort que par l'espace.
Neil et Janet Armstrong (Ryan Gosling et Claire Foy)
1961. Neil Armstrong est pilote d'essai pour la NASA et franchit accidentellement l'atmosphère, avant de réussir à atterrir dans le désert de Mojave. Ses supérieurs le jugent trop distrait, mais en vérité Armstrong est surtout préoccupé par l'état de santé de sa fille, Karen, deux ans et demi, atteinte d'une tumeur au cerveau à laquelle elle succombera vite.
Janet Armstrong et Deke Slayton (Claire Foy et Kyle Chandler)
Peu après Neil est abordé pour intégrer le programme Gemini. Il déménage avec sa femme Janet et leur fils Rick à Houston. La famille s'installe dans un quartier pavillonnaire où vivent déjà d'autres astronautes et leurs épouses et enfants. Neil se lie d'amitié en particulier avec Elliot See et Ed White tandis que Deke Slayton les informe des progrès accomplis par les Russes dans la conquête spatiale. Janet donne naissance à un deuxième garçon, prénommé Mark.
La mission Gemini 8 en 1965
1965. Les soviétiques réussissent la première sortie d'un cosmonaute dans l'espace. Neil apprend qu'il est désigné pour commander la mission Gemini 8, avec David Scott comme pilote. Elliot See et Charles Bassett trouvent la mort dans le crash de leur T-38. Malgré ce drame, la mission Gemini 8 est un succès, bien que l'arrimage à la capsule Agena en orbite frôle la catastrophe. Le sang-froid de Neil lui vaut les louanges de sa hiérarchie et Slayton lui annonce dans la foulée qu'il mènera la mission Apollo 1 avec Gus Grissom et Roger Chaffee.
Vol d'essai avec le prototype du véhicule lunaire en 1966
1967. Un tir d'essai tue l'équipage d'Apollo 1 à cause d'une avarie technique. Neil apprend la nouvelle alors qu'il se trouve à la Maison-Blanche pour convaincre le gouvernement de poursuivre le financement du programme spatial. 1968 : Neil frôle à son tour la mort en testant un prototype de module lunaire à cause d'une fuite de gaz. Mais sa maîtrise et sa tenacité lui valent une nouvelle fois une promotion : il commandera la mission Apollo 11 qui en fera le premier homme à marcher sur la Lune.
Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins (Ryan Gosling, Corey Stoll et Lukas Haas)
1969. Janet tance son mari pour qu'il explique à ses fils qu'il risque de ne pas revenir. Il s'exécute froidement et part se préparer. Une conférence de presse est donnée avec ses co-équipiers, Buzz Aldrin et Michael Collins. Puis les trois hommes décollent quelques jours après.
Sur la Lune
Apollo 11 se pose quatre jours plus tard sur la surface de la Lune. Neil entre dans l'Histoire, après avoir réussi à éviter un crash dans un cratère puis un sol accidenté avec Aldrin, mais en consumant beaucoup de carburant. Profitant d'un moment à l'écart de son camarade, Neil dépose le bracelet de sa défunte fille Karen dans un cratère lunaire.
Neil retrouve Janet sur Terre
De retour sur Terre, quatre jours plus tard, Neil et Buzz sont placés en quarantaine, le temps de subir divers examens médicaux. Neil reçoit la visite de Janet dans une pièce séparée par une vitre et partage avec elle un moment de réflexion silencieuse.
La La Land a sans doute engendré un malentendu sur le cinéma de Damien Chazelle car la comédie musicale, avec ses chansons énergiques et ses couleurs flamboyantes, donnait des airs enjoués à une histoire pourtant amère sur les désillusions d'un couple, dont les ambitions allaient les séparer.
Cette dureté était plus sensible dans son précédent long-métrage, Whiplash, car le jeune batteur cédait au sadisme de son professeur. Chazelle est donc bien le cinéaste des illusions perdues, et First Man le confirme, en étant un curieux biopic, elliptique, fuyant l'hagiographie, le grand spectacle, pour nous montrer la conquête spatiale par les yeux d'un astronaute taiseux, hanté, pour qui la Lune est un cimetière.
Ce qui frappe, comme l'avis promis le scénariste Josh Singer, qui a adapté le livre éponyme de James R. Hansen (pourtant une biographie autorisée), c'est l'expérience sensorielle qu'en a tirée Chazelle. Le soin apporté en particulier au son communique intensément le bruit souvent effrayant des engins soumis à des frottements, des chaleurs, des vibrations infernaux. Les hommes à l'intérieur étaient littéralement dans des cercueils volants - et le film montre la mort de plusieurs d'entre eux, ainsi que les propos ahurissants des techniciens qui, jusqu'au dernier moment, rafistolaient un élément avec un couteau suisse.
First Man raconte l'histoire de ces hommes dans des vaisseaux vulnérables aux antiques cadrans qui s'affolent, aux carlingues qui tremblotent, fument, prennent parfois feu... Ou s'envolent quand même. La réussite de chaque décollage, de chaque mission relève toujours de l'heureux hasard, de la chance. Jamais ne se dissipe le doute de tels entreprises.
Pour cela, Chazelle prend le contre-pied du genre : peu de plans sur les appareils, si énorme qu'ils ne semblent pas pouvoir entrer dans le cadre ou si petits dans le vide spatial qu'ils paraissent dériver, inaccessibles (voir la séquence d'arrimage de Gemini 8 à Agena). En revanche, beaucoup de gros plans sur les mains, les visages, les yeux, des plans subjectifs : l'immersion est totale, on est à la place du pilote ou on lit sur sa figure les émotions défiler.
Ryan Gosling, investi dans le projet depuis le début, incarne à la perfection l'insaisissable Neil Armstrong. Le jeu minimaliste de l'acteur est idéal pour interpréter cet homme lunaire bien avant d'y poser le pied. Le vrai paysage, c'est ce visage, impénétrable, qui se referme progressivement, au fil des pertes qu'il subit - la mort de sa fille (rappelée avec un tout petit trop d'insistance comme le deuil fondateur), puis celle d'Elliot See, Ed White. Neil Armstrong se coupe du monde et ne vise plus que le satellite de la Terre, observé par sa femme impuissante et fébrile.
Dans ce rôle, Claire Foy impressionne, d'abord parce qu'elle nous fait connaître ce personnage méconnu, et ensuite parce qu'elle permet au spectateur d'éprouver toutes les peurs attachées à son statut - celui d'une veuve en puissance, mais aussi d'une femme qui devine bien que la hiérarchie et les techniciens ne maîtrisent rien.
Tel que le désirait Chazelle et l'ont décrit ses acteurs, le film va et vient ainsi de la cuisine à la Lune, produisant des moments très forts comme lorsque Neil explique, contraint et forcé par Janet, à ses deux fils qu'il risque de ne pas revenir - il s'en acquitte comme, plus tard, quand il répond froidement aux journalistes avant l'envol d'Apollo 11. Les retrouvailles du couple, séparé par une épaisse cloison de verre, sont aussi glaçantes (on le sait, d'après les témoignages des intéressés, on ne revient jamais entièrement de l'espace).
Le film, tout entier à Neil Armstrong, laisse peu de place aux autres donc, en dehors de Janet. Mais il n'est guère flatteur envers Buzz Aldrin, décrit comme un opportuniste vantard, et même vis-à-vis des politiques qui ont dépensé des fortunes pour exaucer le rêve de JFK, alors qu'à la même époque, la contestation grondait, accusant ce projet d'être ruineux, développé au détriment des plus pauvres. Le "grand pas pour l'Humanité" n'était pas un aboutissement pour tous - même si l'exploit fut accueilli avec retentissement, et les astronautes érigés en héros (quoique Armstrong fuira la gloire toute sa vie).
Magnifiquement photographié par Linus Sandgren et porté par la musique envoûtante de Justin Hurwitz, First Man est un film immense et intimiste : être parvenu à jouer et gagner simultanément sur ces deux tableaux en dit long sur le génie précoce de Damien Chazelle.
La La Land a sans doute engendré un malentendu sur le cinéma de Damien Chazelle car la comédie musicale, avec ses chansons énergiques et ses couleurs flamboyantes, donnait des airs enjoués à une histoire pourtant amère sur les désillusions d'un couple, dont les ambitions allaient les séparer.
Cette dureté était plus sensible dans son précédent long-métrage, Whiplash, car le jeune batteur cédait au sadisme de son professeur. Chazelle est donc bien le cinéaste des illusions perdues, et First Man le confirme, en étant un curieux biopic, elliptique, fuyant l'hagiographie, le grand spectacle, pour nous montrer la conquête spatiale par les yeux d'un astronaute taiseux, hanté, pour qui la Lune est un cimetière.
Ce qui frappe, comme l'avis promis le scénariste Josh Singer, qui a adapté le livre éponyme de James R. Hansen (pourtant une biographie autorisée), c'est l'expérience sensorielle qu'en a tirée Chazelle. Le soin apporté en particulier au son communique intensément le bruit souvent effrayant des engins soumis à des frottements, des chaleurs, des vibrations infernaux. Les hommes à l'intérieur étaient littéralement dans des cercueils volants - et le film montre la mort de plusieurs d'entre eux, ainsi que les propos ahurissants des techniciens qui, jusqu'au dernier moment, rafistolaient un élément avec un couteau suisse.
First Man raconte l'histoire de ces hommes dans des vaisseaux vulnérables aux antiques cadrans qui s'affolent, aux carlingues qui tremblotent, fument, prennent parfois feu... Ou s'envolent quand même. La réussite de chaque décollage, de chaque mission relève toujours de l'heureux hasard, de la chance. Jamais ne se dissipe le doute de tels entreprises.
Pour cela, Chazelle prend le contre-pied du genre : peu de plans sur les appareils, si énorme qu'ils ne semblent pas pouvoir entrer dans le cadre ou si petits dans le vide spatial qu'ils paraissent dériver, inaccessibles (voir la séquence d'arrimage de Gemini 8 à Agena). En revanche, beaucoup de gros plans sur les mains, les visages, les yeux, des plans subjectifs : l'immersion est totale, on est à la place du pilote ou on lit sur sa figure les émotions défiler.
Ryan Gosling, investi dans le projet depuis le début, incarne à la perfection l'insaisissable Neil Armstrong. Le jeu minimaliste de l'acteur est idéal pour interpréter cet homme lunaire bien avant d'y poser le pied. Le vrai paysage, c'est ce visage, impénétrable, qui se referme progressivement, au fil des pertes qu'il subit - la mort de sa fille (rappelée avec un tout petit trop d'insistance comme le deuil fondateur), puis celle d'Elliot See, Ed White. Neil Armstrong se coupe du monde et ne vise plus que le satellite de la Terre, observé par sa femme impuissante et fébrile.
Dans ce rôle, Claire Foy impressionne, d'abord parce qu'elle nous fait connaître ce personnage méconnu, et ensuite parce qu'elle permet au spectateur d'éprouver toutes les peurs attachées à son statut - celui d'une veuve en puissance, mais aussi d'une femme qui devine bien que la hiérarchie et les techniciens ne maîtrisent rien.
Tel que le désirait Chazelle et l'ont décrit ses acteurs, le film va et vient ainsi de la cuisine à la Lune, produisant des moments très forts comme lorsque Neil explique, contraint et forcé par Janet, à ses deux fils qu'il risque de ne pas revenir - il s'en acquitte comme, plus tard, quand il répond froidement aux journalistes avant l'envol d'Apollo 11. Les retrouvailles du couple, séparé par une épaisse cloison de verre, sont aussi glaçantes (on le sait, d'après les témoignages des intéressés, on ne revient jamais entièrement de l'espace).
Le film, tout entier à Neil Armstrong, laisse peu de place aux autres donc, en dehors de Janet. Mais il n'est guère flatteur envers Buzz Aldrin, décrit comme un opportuniste vantard, et même vis-à-vis des politiques qui ont dépensé des fortunes pour exaucer le rêve de JFK, alors qu'à la même époque, la contestation grondait, accusant ce projet d'être ruineux, développé au détriment des plus pauvres. Le "grand pas pour l'Humanité" n'était pas un aboutissement pour tous - même si l'exploit fut accueilli avec retentissement, et les astronautes érigés en héros (quoique Armstrong fuira la gloire toute sa vie).
Magnifiquement photographié par Linus Sandgren et porté par la musique envoûtante de Justin Hurwitz, First Man est un film immense et intimiste : être parvenu à jouer et gagner simultanément sur ces deux tableaux en dit long sur le génie précoce de Damien Chazelle.
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