Reprenons le fil du volumineux Marvel Epic Collection : Wolverine. Après vous avoir touché un mot des mini-épisodes parus initialement dans Marvel Comics Presents Wolverine, le mutant griffu gagna rapidement en 1989 son propre mensuel, toujours écrit par Chris Claremont et dessiné par John Buscema, avec en prime Al Williamson comme encreur.
Examinons les 6 premiers épisodes réalisés par ce trio, qui sont composés de deux arcs de trois numéros chacun, et qui prolongent les aventures de Wolverine à Madripoor. Pour rappel, Logan (comme ses amis X-Men) est toujours considéré comme mort (l'équipe s'est retirée en Australie après le crossover Fall of the Mutants) et, bien que sa physionomie ne passe normalement pas inaperçu (avec notamment sa fameuse chevelure), il évolue dans cette principauté asiatique sous le pseudo de "Patch" (parce qu'il porte, en civil, un bandeau sur son oeil gauche)...
Wolverine arrive trop tard sur les lieux d'un crash aérien mais les survivants, parmi lesquels se trouvent une partie du personnel naviguant et son amo Kojima Noburo, sont aux mains de pirates. Après leur avoir réglé leur compte, Logan promet à Nobura, mourant, de retrouver l'épée noire de Muramasa.
Cette arme qui est à la fois sacrée et maudite, car la légende raconte qu'elle prend possession de celui qui la brandit et en fait un guerrier sanguinaire, est évidemment convoitée par d'autres. Lindsay McCabe et Jessica Drew (la première Spider-Woman, qui, à cette époque, s'est retirée de la communauté des super-héros car elle a perdu presque tous ses pouvoirs) enquêtent au sujet de l'épée et s'attirent vite des problèmes. Même si Wolverine veille discrètement sur elles, il arrive trop tard pour empêcher Jessica d'être instrumentalisée par l'arme et doit en plus affronter le Samouraï d'argent...
En désarmant Jessica, Wolverine est à son tour sous l'emprise de l'épée et il s'enfuit en prenant Jessica en otage afin de la sacrifier en présence des membres de la secte vouant un culte à l'instrument. Lindsay fait alliance avec le Samouraï d'argent et appelle O'Donnell, le patron du "Princess Bar", en renfort. Arriveront-ils tous les trois à ce que Logan épargne Jessica ?
Chris Claremont mène son récit à toute allure : il poursuit dans la veine qu'il exploitait dans le bimensuel Marvel Comics presents même si le format des épisodes est passé de huit à une vingtaine de pages. Les éléments du folklore super-héroïque sont pratiquement tous gommés : Wolverine porte une simple tenue noire et un vague masque (qui évoque plutôt un trait sommaire de camouflage sur les yeux), pas de super-vilain non plus (le Samouraï d'argent se range du côté des gentils ici). La manifestation des super-pouvoirs est réduite au possible (Jessica Drew grimpe aux immeubles comme Spider-Man mais sans exécuter d'acrobaties insensées, Wolverine sort les griffes en dernier recours).
Ainsi épuré, le récit gagne en intemporalité et peut même presque se lire comme l'équivalent d'un What if...? ou des Elseworlds (chez DC Comics), des versions alternatives des histoires inscrites dans la continuité ou déplaçant des personnages emblématiques dans des lieux et des époques décalés. Si l'action est percutante et spectaculaire, l'exotisme du cadre et le sens de l'aventure priment donc sur les codes habituels. C'est, encore 28 ans après, très rafraîchissant à lire.
L'argument - une épée magique mais maléfique, que seul un guerrier aguerri peut dompter - fait évidemment penser à ce qu'on lisait dans les pages de Conan, et c'est bien entendu ce qui plaisait le plus à John Buscema. Il s'en donne à coeur joie pour représenter Wolverine comme un loner à la fois rusé, hargneux, taraudé par sa violence, et la simplicité de son découpage traduit à merveille le nerf tendu de l'intrigue, à la fois extravagant et élémentaire. Dans cette narration, on ne croise que des mâles outrageusement virils, revenus de tout, et de splendides femmes, conquérantes, téméraires, qui n'ont rien envier aux héros masculins.
Mais la plus-value graphique vient de l'encrage d'Al Williamson : comme avec John Romita Jr sur Daredevil, il sublime les dessins de Buscema avec son trait de plume fin, d'une élégance folle. Il y a des pages renversantes, comme celle où Wolverine, possédé, se tient sur le toit en feu du bar où il a récupéré l'épée, tenant dans ses bras Jessica Drew inconsciente. Sans vouloir déprécier le travail de Klaus Janson sur les épisodes de Marvel Comics presents, l'apport de Williamson élève cette BD à un niveau supérieur, plus fin, plus racé, et s'impose comme un des meilleurs "embellisseurs" de Buscema car, ayant lui-même été un grand dessinateur, il est à même de peaufiner les crayonnés de son partenaire (qui ne les poussait pas toujours beaucoup).
Passons au deuxième acte.
De manière prévisible, après l'accession de Jessan Hoan sur le trône de nouvelle maîtresse de Madripoor downtown (après la chute de Roche dans Marvel Comics presents), un nouveau prétendant se présente pour prendre sa place et restaurer les trafics divers de la principauté.
Pas de quoi impressionner l'orgueilleuse "Tyger" qui peut compter sur Wolverine, son ange gardien. Mais son rival n'est pas le premier venu, il s'agit du colonel Coy, richissime affairiste et père de Shan Coy Manh (alias Karma, ex-membre des Nouveaux Mutants). Il peut compter sur deux hommes de mains particulièrement redoutables, deux mutants, le vampire Bloodsport et le colosse Roughouse, pour s'imposer.
Wolverine s'interpose avec les renforts de Jessica Drew et Lindsay McCabe, pourtant réticentes au début à l'idée d'aider une reine du crime organisé. Mais la clé du succès pour neutraliser le colonel Coy et ses sbires reste sa fille, déchirée entre son amour pour son père (même si elle désapprouve ses projets criminels) et ses convictions d'héroïne...
Si le premier arc était divertissant et efficace, le suivant est un cran au-dessus grâce à la présence d'un vrai méchant et d'une intrigue, certes peu complexe, mais plus dense. L'argument est tout trouvé et prolonge celui qui traversait les épisodes de Marvel Comics presents avec la saga Save the Tiger : on est plongé dans une guerre pour le trône du crimelord de Madripoor downtown.
Claremont réintroduit donc Jessan Hoan alias "Tyger" et sa première apparition est digne de celle de Dragonlady dans Terry et les pirates de Milton Caniff, moulée dans une robe dorée inoubliable. Il y a d'ailleurs beaucoup de (très belles) femmes dans cette histoire puisqu'on retrouve aussi Jessica Drew, Lindsay McCabe, et que l'ex-Karma des Nouveaux Mutants a un rôle déterminant. Ce sont toutes des combattantes, aux caractères bien trempées, et non des potiches.
Comme pour appuyer cette singularité, les adversaires de Wolverine sont vraiment coriaces : Bloodsport, capable de saper l'énergie vitale une fois qu'il a griffé ou marqué de son empreinte quelqu'un, et Roughouse, dont la force est ici comparée à celle de Hulk (pas moins), valent au mutant de sérieuses roustes au cours desquelles il est défenestré, passe à travers des murs épais, manque de se noyer. Comme il évite, toujours pour éviter qu'on ne le reconnaisse, au maximum d'utiliser ses griffes, il a fort à faire pour ne pas être défait.
John Buscema dispose donc d'un matériau digne de son immense talent : la brutalité des affrontements lui permet de déployer toute son énergie, et celle-ci est d'autant plus communicative qu'elle est mise en scène dans un découpage toujours aussi basique. Le maître n'a pas besoin de doubles pages et n'utilise que des splashs que pour démarrer l'épisode, mais quel punch ! Et Williamson ajoute de superbes fonds, utilisant des hachures, dosant les à-plats de noir, soulignant les contrastes : magnifique ! Hélas ! l'encreur laissera sa place ensuite, remplacé par Bill Sienkiewicz (qui déméritera pas, mais dont le style offre un mélange curieux avec celui de Buscema)...
Quoiqu'il en soit, voilà une lecture jubilatoire, qui fut traduite en son temps dans la collection "version intégrale" chez Semic, puis en recueils chez Panini. Pour les "vo-istes", ils sont aussi disponibles (pour les 5 premiers dans l'album Wolverine Classic vol. 1).
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