Hier soir, j'espère pour vous que vous aviez choisi de regarder Arte car la chaîne franco-allemande diffusait une rareté mais surtout un chef d'oeuvre, le troisième film écrit et réalisé par Peter Bogdanovich, La Barbe à Papa, sorti en 1973.
Si vous l'avez raté, j'espère que ce que je vais vous en dire suffira à vous donner envie de corriger ce manquement car Paper Moon est un des plus beaux longs métrages qui soient, de la part d'un cinéaste dont l'existence fut un vrai cauchemar et la réussite, fulgurante (trois opus majeurs, en comptant celui-ci, La Dernière Séance et On s'fait la valise, Doc ?, au coeur des 70's, à contre-courant des production du "New Hollywood" qui vit l'éclosion de Spielberg, Coppola, Lucas, Scorsese, Friedkin...).
Addie Loggins et Moses Pray
(Tatum et Ryan O'Neal)
Middle West des Etats-Unis. Années 1930. Moses Pray, un aigrefin, vient assister à l'enterrement d'une de ses anciennes maîtresses et découvre en même temps qu'elle laisse derrière elle une fillette de neuf ans, Addie Loggins.
Addie et Moses
Il accepte de conduire Addie chez une de ses tantes qui la prendra en charge dans le Missouri. Mais dès le début de leur voyage, leurs relations sont tendues car la gamine pense que Moses est peut-être son père et qu'il a préféré une vie d'aventures minables plutôt que d'aimer sa mère et l'élever.
Moses et Addie
Néanmoins, Addie va apporter une aide précieuse à Moses dans ses combines lorsqu'il vend des bibles à des veuves crédules qu'elle contribue à apitoyer tout en leur soutirant des sommes extravagantes pour le livre commandé par leurs défunts époux.
Addie et Moses
Complices efficaces en arnaques, ils amassent un joli pactole. Mais la situation se dégrade quand Moses s'entiche de Trixie Delight, une danseuse exotique et intéressée, rencontrée dans une fête foraine, toujours accompagnée de sa bonne noire, Imogene, corvéable à merci.
Addie Loggins, Trixie Delight, Imogene et Moses Pray
(Tatum O'Neal, Madeline Kahn, P.J. Johnson et Ryan O'Neal)
Addie met au point un piège pour se débarrasser de Trixie en persuadant Moses qu'elle lui est infidèle avec le réceptionniste d'un hôtel. Ils reprennent la route sans elle.
Addie et Moses
De passage dans un patelin, ils repèrent un bootlegger et découvrent où il cache son alcool pour le lui voler et le lui revendre au prix fort. Malheureusement le pigeon est le frère du shérif qui arrête Moses et Addie. Heureusement, la fillette a caché leur argent dans la doublure de son chapeau et, trompant la vigilance de l'adjoint, réussit à s'évader du poste de police avec Moses.
Addie et Moses
Gagnant l'Etat voisin du Missouri, ils se croient tirés d'affaire puisque hors de la juridiction du shérif, mais celui-ci tombe sur Moses et le roue de coups avec son adjoint et son frère. Moses dépose finalement Addie chez sa tante car il est fauché et ne veut plus la mettre en danger. Nostalgique, elle préfère toutefois s'enfuir aussitôt et rattrape Moses avec lequel elle reprend la route.
Moses et Addie
Peter Bogdanovich, né à New York en 1939, a connu en quelques années tout ce qu'un cinéaste peut vivre à Hollywood, passant du statut de grand espoir du cinéma à celui de réalisateur à succès avant de connaître un spectaculaire déclin professionnel mais aussi personnel (une de ses compagnes, la playmate Dorothy Stratten sera assassinée). Il ne s'en remettra jamais vraiment, même s'il continuera à tourner irrégulièrement (sans renouer avec le grand public), à jouer (notamment dans la série Les Soprano), à écrire (sur ses pairs illustres - c'est un spécialiste d'Orson Welles notamment), soutenu par des auteurs célébrant son influence sur leurs oeuvres (comme Wes Anderson ou Noel Baumbach). Pourtant, il conviendrait aujourd'hui de réhabiliter son travail, qui, au coeur des années 70, engendra de superbes longs métrages, comme cette Barbe à Papa, son plus jolis opus.
Avant cela, dans les années 60, Bogdanovich fut critique cinéma pour le magazine "Esquire" et ses articles, comme ceux des "jeunes turcs" des "Cahiers du Cinéma" (Truffaut, Chabrol, Rivette, Godard, Rohmer) en France, contribuèrent à réhabiliter des cinéastes mésestimés, maudits ou négligés comme Allan Dawn, Orson Welles (qui devint son ami proche et son mentor) et Howard Hawks. Puis il s'exile à Los Angeles où il est repéré et recruté par Roger Corman (qui donna aussi sa chance à Coppola, Scorsese...) grâce à qui il dirige son premier film en 68 (The Targets).
C'est trois ans plus tard que sa carrière décolle alors que le mouvement du "New Hollywood" change le paysage cinématographique américain. La Dernière séance, crépusculaire chronique sur un bled du Texas et sa jeunesse, fait sensation, révélant Jeff Bridges et Cybill Sheperd (qui deviendra la compagne du cinéaste). Puis en 72, On s'fait la valise, Doc ? revisite la "screwball comedy" avec une explosive Barbra Streisand et, déjà, Ryan O'Neal.
Après un drame poignant et une comédie débridée, Paper Moon est comme une synthèse, non seulement des deux précédents titres mais aussi de tout ce qu'aime Bogdanovich dans le 7ème Art américain, un hommage vibrant et sensible aux grands classiques d'autrefois. Située dans les années 30, lors de la Dépression (suite au crash boursier de 1929) et de la prohibition (de l'alcool), l'intrigue est adaptée par Alvin Sargent d'Addie Pray, un roman de Joe David Brown. Pourtant, au départ, ce projet était destiné à John Huston avec Paul Newman et sa fille Nell Potts dans le rôles principaux - finalement, le réalisateur abandonne l'affaire et les comédiens se retirent en conséquence. C'est l'ex-femme de Bogdanovich, Polly Platt, qui lui conseille de le récupérer pour diriger à nouveau Ryan O'Neal après On s'fait la valise, Doc ?. Au rendez-vous avec son acteur, le réalisateur rencontre sa fille, Tatum, 8 ans, dont l'allure, l'aplomb et la voix le convainquent qu'il a trouvé la perle rare.
Pour financer le film, Bogdanovich s'associe à Francis Ford Coppola et William Friedkin qui viennent de fonder leur structure, The Director's Company, hébergée par le studio Paramount qui leur donne carte blanche pour des projets à petit budget. Le réalisateur s'en contente et remanie franchement le script de Sargent (qui avait beaucoup taillé dans le roman original) pour l'articuler sur de vieux morceaux de jazz, dont une chanson de 1933, It's only a paper moon, signée Harold Arlen. De fait, le résultat ressemble à une composition jazzy entraînante et alerte, et donnera le titre au film (et pour la petite histoire au texte de Brown quand il sera réédité ! Et quand le film sera repris en salles en 2013 en France, Paper Moon aura aussi remplacé La Barbe à Papa...).
Bogdanovich veut tourner en noir et blanc, car il associe cette image à l'époque du récit et pour mettre en valeur les paysages naturels du Kansas et du Missouri avec ses routes interminables dans la plaine désolée, admirablement photographiées par Laszlo Kovacs dans des compositions splendides. Orson Welles conseillera au chef opérateur d'utiliser un filtre rouge sur l'objectif de la caméra pour obtenir un blanc encore plus prononcé, et donc souligner la luminosité des visages et du ciel. Le résultat est d'une beauté vraiment renversante, d'autant que Bogdanovich privilégie les plans-séquences, rendant sa mise en scène très fluide, légère, et permettant aux acteurs un jeu expressif et naturel.
Evidemment, ce parti-pris allait entraîner des complications pour Tatum O'Neal, qui peinait à retenir ses longs dialogues, mais la fillette, à l'écran, est éblouissante. Le cinéaste ne tarira jamais d'éloges à son sujet, même s'il fallut parfois une quarantaine de prises, et, à dix ans, elle obtint l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle (pourquoi second ? Mystère et injustice !), ce qui en fait la plus jeune lauréate du prix - mais c'est mérité ! Avec son air buté, son regard malicieux, son charisme indéniable, elle est tout bonnement géniale.
Il serait tout aussi injuste de mésestimer la prestation de Ryan O'Neal, comédien exceptionnel, qui aligna de superbes compositions dans ces années-là (culminant avec le premier rôle de Barry Lyndon de Kubrick en 75), et qui est ici formidable en escroc à la fois pathétique et touchant.
Très drôle, d'un swing imparable, esthétiquement somptueux, et agrémenté d'une mélancolie craquante, La Barbe à Papa est une merveille, un pur miracle, un exercice de haute voltige, qui copie si bien le cinéma auquel il rend hommage qu'il est digne des grands classiques. Mutin et délicat, c'est un de ces films dont on tombe amoureux fou.
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