vendredi 29 septembre 2017

L'AMANT DOUBLE, de François Ozon


Actuellement, avec Woody Allen, François Ozon est le plus ponctuel des cinéastes. Il partage avec son homologue américain un cinéma de qualité, qui explore sans lasser des zones bien particulières, troubles à souhait, évoluant le plus souvent dans le réalisme dramatique, parfois dans la comédie aussi, souvent à la lisière du fantastique. Cette année, son nouvel opus, L'Amant Double, a été présenté au Festival de Cannes, d'où il est reparti bredouille... Sans doute trop bien fait pour un jury téléguidé par le sélectionneur Thierry Frémaux, qui a transformé la manifestation en réunion pour happy few. Pourtant, cette adaptation d'un court roman de la prolifique Joyce Carol Oates (The Lives of the Twins) est une pépite.

 Chloé (Marine Vacth)

Chloé est une jeune femme qui souffre de maux de ventre fréquents. Elle consulte une gynécologue qui ne remarque aucun problème physique et l'incite à rencontrer un thérapeute car son mal est sans doute psychosomatique.

Michel et Chloé (Jérémie Renier et Marine Vacth)

Chloé choisit Michel comme psychanalyste et, au fil des séances, son état s'améliore sensiblement. Mais le jeune homme doit mettre fin à leurs rendez-vous car, comme il le lui avoue, il commence à éprouver des sentiments pour elle, incompatibles avec la neutralité exigée par son travail. Comme Chloé partage cette attirance et s'estime guérie, ils s'installent ensemble. 

Louis et Chloé (Jérémie Renier et Marine Vacth)

Mais bientôt Chloé éprouve des doutes au sujet de son compagnon, malgré leur bonheur. Il refuse de parler de son passé, qu'elle devine douloureux, et elle l'aperçoit même un jour, depuis le bus qui la ramène chez eux, en train de parler avec une autre femme. Il dément. Elle se rend à l'adresse où s'est passée la scène et découvre qu'un autre psy y a son cabinet. Elle prend rendez-vous et découvre, sidérée, que Louis, ce thérapeute, est le jumeau de Michel.

La mère et Chloé (Jacqueline Bisset et Marine Vacth)

Louis inflige une thérapie de choc à Chloé en devenant son amant et en la guérissant de sa frigidité. Mais lorsqu'elle l'interroge sur Michel, il se ferme et l'invite à enquêter seule. Elle découvre, en fouillant les affaires de son compagnon, une vieille correspondance amoureuse avec une certaine Sandra dont elle trouve l'adresse... Et, en rencontrant sa mère, apprend qu'elle est lourdement handicapée après avoir tenté de se suicider, violée par un des frères.

Louis et Chloé 

Chloé sonde Michel qui accuse Louis tout en estimant Sandra responsable pour avoir voulu les séduire tous les deux. Louis brutalise Chloé quand elle le confronte à cette histoire puis elle est à son tour confondue en présence des deux frères, qui ont échangé à son sujet. 

Michel et Chloé

Chloé commet alors l'irréparable en tuant un des jumeaux avant d'être hospitalisée, en état de choc. La vérité sur sa condition mentale révélera une surprise renversante, remettant en cause tout ce qu'elle a précédemment vécu - ou cru vivre...

Depuis toujours, François Ozon propose au public deux films en un, il n'est donc pas étonnant qu'il ait fini par explorer le thème du double frontalement, en allant jusqu'à jouer avec le sens du titre qu'on peut lire comme L'Amant Double effectivement imprimé sur l'affiche mais aussi comme "l'âme en double".

Mais pourquoi dis-je qu'il y a toujours deux films en un chez Ozon ? Parce que ce cinéaste est rusé : de prime abord, le spectateur a droit à une intrigue conforme aux apparences présentées par l'auteur - ici, un thriller érotique sur la gémellité - , exploitée de manière très efficace, sans temps mort (le film dure 105 minutes), très élégamment ouvragée. Puis, une fois vu, le long métrage révèle une seconde couche, une histoire souterraine, dissimulée qui explique le trouble du spectateur et le hante - ici, la remise en cause de la réalité des faits découverts par Chloé et la construction d'un délire élaboré sur ce qu'on appelle "le jumeau parasite".

J'évite, dans le résumé ci-dessus et dans cette critique, d'en dire trop sur le twist final du récit pour que ceux qui liront mon article sans avoir encore vu le film ne soit pas volé. Mais Ozon entretient le mystère brillamment et bien malin qui découvrira ce qui se cache derrière l'enquête de Chloé avant l'épilogue. S'il a adapté librement (c'est-à-dire en prenant des libertés) le texte de Oates, le cinéaste traduit formidablement l'esprit de la romancière, qui excelle dans ce genre de contes perturbants, et visuellement, il aura rarement été aussi loin dans le soin apporté à l'esthétique glacé et sensuelle à la fois, là encore en accord avec ce qu'apprécie la graphomane américaine.

La crudité de certaines images (comme ce plan d'ouverture ou le sexe de l'héroïne précède un plan sur un de ses yeux, ou encore l'étreinte surprise de Louis alors que Chloé a ses règles, sans même parler du malaise digne d'Alien, le huitième passager à la fin) est de celle que certains cinéastes étrangers, empêchés par une censure plus stricte qu'en France, aimeraient certainement tenter, même si Ozon n'a pas caché ses influences (Cronenberg, De Palma, Hitchcock).

Pour incarner (littéralement) une telle partition, les acteurs doivent assumer ses audaces et avec Marine Vacth (que Ozon révéla dans son formidable et tout aussi dérangeant Jeune et jolie) et Jérémie Renier (extraordinaire dans un double rôle), rien à redire. En prime, Jacqueline Bisset hérite d'un second rôle épatant, tout comme Myriam Boyer (après elle, plus jamais vous ne verrez une petite vieille qui adore les chats comme avant...).

Magistral tout simplement. 

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