Après avoir évoqué la saga The Cross-Time Caper, écrite par Chris Claremont, dont ce furent les derniers épisodes sur la série qu'il co-créa, plongeons à présent dans le run réalisé seul par Alan Davis. Scénariste et dessinateur du titre, le britannique fut sollicité pour en reprendre les rênes par l'editor Terry Kavanagh qui constatait avec dépit la chute des ventes, due au mécontentement des fans. Il lui accorda donc carte blanche, mais Davis savait que la réussite de la mission passait d'abord par quelques l'obligation de répondre à des questions laissées en suspens par Claremont... Tout en inscrivant son projet dans un récit palpitant. Il y accordera 8 épisodes (dont le dernier, 50ème de la série, est un numéro double), collectés dans le recueil Excalibur visionaries vol. 1 (premier des trois tomes rassemblant la totalité des chapitres de Davis).
Tout commence par une nouvelle attaque de Gatecrasher et ses Technets, frustrés que Opal-Luna Saturnyne ait levé le contrat sur la tête de Phoenix/Rachel Grey-Summers, contre Excalibur, au repos dans leur phare...
Mais la bagarre est rapidement interrompue par Horatio Cringebottom, du ministère des transports trans-temporels, et Bert, mécanicien, qui pratiquement une correction rapide sur Widget pour éviter qu'il ne provoque de nouveaux transferts entre les dimensions à l'équipe.
Les Technets se mutinent ensuite contre Gatecrasher, qui s'éclipse. Nightcrawler invite les mercenaires à habiter dans le phare d'Excalibur contre le promesse de ses tenir tranquille dorénavant. Cependant, sur I'Thère, Kylûn, un guerrier, affronte les hordes de Necrom qui prétend agit au nom d'Excalibur.
En proie à une nouvelle crise de jalousie, et excédé par la présence envahissante des Technets, Captain Britain s'en prend violemment à Nightcrawler, au point de lui casser une jambe - ce qui lui vaut d'être arrêté par la police omniverselle. Son procès a lieu dans la foulée à Hors-Le Monde et il est condamné à mort !
Sur I'Thère, Kylûn libère la princesse Sat'Nine et affronte à ses côtés Necrom, qui exécute la jeune femme avant de prendre la fuite par un portail dimensionnel. Le guerrier le poursuit et surgit... Dans le phare d'Excalibur où Nightcrawler réussit à la calmer et écoute son histoire : sauvé sept ans (en années terriennes) par Widget des sbires de la Renarde, il comprend que Necrom s'est joué de lui en revendiquant ses actes au nom de l'équipe de héros.
Sans nouvelles de Captain Britain, Rachel propose à Meggan de l'accompagner sur les lieux de son enfance afin d'en apprendre davantage sur ses pouvoirs et leur source. Peu après Alistaire Stuart du W.H.O. (Weird Happenings Organization) débarque au phare mais, Rachel étant déjà partie, Kitty Pryde en profite pour l'entraîner dans une escapade romantique.
Nightcrawler teste les Technets lors d'une enquête menée par le W.H.O. sur des vols de reliques sacrées, au cour de laquelle ils rencontrent leurs concurrents du F.I. 6 et leur super-agent, le mutant Micromax.
Acquitté in extremis par Opal-Luna Saturnyne, Captain Britain décide de profiter de son séjour à Hors-Le-Monde pour s'instruire sur la police omniverselle et son rôle en son sein. Il devine, grâce à un collègue, que, comme protecteur de la Terre 616 et membre d'Excalibur, rien n'a été le fruit du hasard. Mais pour en savoir plus, faute de parler à Merlin (mort), il doit s'entretenir avec sa fille, Roma.
Pendant ce temps, dans les Alpes françaises, Rachel et Meggan découvrent leurs points communs (une enfance traumatisante, des souvenirs confus, des pouvoirs immenses difficiles à contrôler) et retrouvent Neurus, agonisant, qui permet à Meggan de se rappeler d'où elle vient et qui elle est vraiment.
Au phare, Cerise, guerrière (du Ghrand Shar du Généclan de Subruki, Zartok et Kuli Kâ) égarée en traversant l'espace-temps, surgit et s'associe à la troupe dirigée (tant bien que mal) par Nightcrawler. A Hors-Le-Monde, Captain Britain est reçu par Roma qui lui explique que, suite à la mort de Merlin, elle a comploté pour provoquer la création d'Excalibur, ce qu'elle justifie en montrant la tournure (dramatique) qu'auraient prises les choses sans cela. Mais la finalité de tout cela demeure mystérieuse depuis la disparition de Merlin...
Entre temps Opal-Luna Saturnyne a envoyé un groupe pour récupérer les Technets et prévenir Nightcrawler que d'ici peu la Terre sera détruite (sans plus d'explications). Sur ces entrefaites, Captain Britain, Rachel et Meggan reviennent au phare et font la connaissance de Kylûn et Cerise mais aussi apprennent ce qui attend la planète.
Ils n'ont pas le temps de digérer la nouvelle que Kitty Pryde les contacte depuis un site archéologique en Irlande où les scientifiques du W.H.O. supervisés par Alistaire Stuart viennent de faire une étonnante découverte. Non loin de là, un jeune moine, Feron, quitte les prêtres qui l'ont formé pour devenir l'hôte de la force du Phénix.
Arrivée en Irlande avec ses amis, Rachel découvre dans une crypte la force de l'Anti-Phénix qui provoque la métamorphose de Widget avant d'être attirée jusqu'à Londres où Necrom l'absorbe. A l'aube du duel lancé par ce dernier contre Rachel, Merlin resurgit à Hors-Le-Monde et, devant Opal-Luna Saturnyne et Roma sidérées, augmente la puissance de son champion, Captain Britain.
Sous l'influence de Necrom, dont la puissance est décuplée par l'énergie de l'Anti-Phénix, la réalité s'altère autour des membres d'Excalibur, sa cible. Pour y faire face, Kitty, Meggan, Nightcrawler fusionnent avec Captain Britain qui traverse alors les dimensions entre toutes les terres parallèles pour protéger l'Omnivers.
Kylûn protège Widget et Cerise les agents du W.H.O., tandis qu'à Hors-Le-Monde Merlin explique enfin à Roma et Opal-Luna Saturnyne comment, jadis, lui, le premier Feron et Necrom invoquèrent la force du Phénix. Mais Necrom les trahit en attaquant Feron pour tenter de s'emparer de cette énergie que son hôte préféra libérer dans l'espace.
Merlin s'éclipsa pour créer Hors-Le-Monde et créer le corps des Captain Britain. Feron se retira pour fonder un ordre qui formerait son successeur quand le Phénix reviendrait sur la Terre 616. Et Necrom se cacha sur I'Thère en attendant l'heure de sa revanche... Qui a désormais sonné !
Bien qu'en agissant ainsi elle sacrifie ses souvenirs, Rachel accepte de répondre au défi de Necrom en libérant la puissance du Phénix dont elle est l'hôtesse. Leur combat, spectaculaire, se déplace dans l'espace jusqu'à la mort de Necrom.
Rachel, dans le coma, est récupérée par ses amis tandis que Merlin se satisfait de cette victoire. Néanmoins, Meggan sape l'énergie de Captain Britain pour détruire le phare - et, par là même, tous les autres sur les terres parallèles, qui faisaient office de tours de contrôle. Roma empêche son père de châtier la jeune femme et téléporte l'équipe jusqu'au manoir des Braddock où les attendent Kylûn, Widget, Cerise et Alistaire Stuart. Captain Britain rassure Nightcrawler en promettant qu'ils sont désormais sous la protection de Roma et qu'ils pourront se consacrer au rétablissement de Rachel.
Whaou ! Quelle prodigieuse aventure ! C'est dans cet état d'esprit qu'on achève la lecture de cette saga, véritable leçon de narration et tour de force graphique.
Il n'y a rien à jeter dans ces huit épisodes, à peine peut-on déplorer que Kitty Pryde soit un peu négligée, et que son rôle n'impacte pas le déroulement de l'action. Mais sinon, quel souffle ! Alan Davis parvient d'abord à agréger des éléments épars de la série depuis son lancement pour leur donner un sens : ainsi découvre-t-on que la formation d'Excalibur ne doit rien au hasard, pas davantage que l'incarnation de Brian Braddock comme Captain Britain de la Terre 616 (un emprunt direct au corps des Green Lanterns de DC Comics), mais encore retrouve-t-on en Kylûn ce gamin apparu fugacement dans Excalibur #2 (Novembre 88) et téléporté par Widget sur I'Thère où il est devenu un redoutable guerrier s'opposant au terrible Necrom.
Progressivement, de manière virtuose, Davis distille les indices en introduisant de nouveaux personnages et en en écartant d'autres. Le sort des Technets est résolu après un intermède comique savoureux (qui est un clin d'oeil aux X-Men avec Nightcrawler dans le rôle du mentor). L'arrivée de Cerise est moins naturelle, même si la scène où elle se présente est une merveille (demandant à Kurt Wagner à quoi ressemble le plus un humain parmi les habitants du phare, elle se voit répondre que c'est elle face aux Technets et Nightcrawler lui-même !). La transformation de Widget surprend aussi et n'est pas résolue à la fin de cet arc géant (mais continuera à alimenter les intrigues suivantes). Quant à Feron, il est regrettable qu'aucun scénariste ne se soient rappelés de lui au moment de l'event Avengers vs. X-Men (2013) car, pour toute intrigue impliquant le Phénix, il aurait été bien plus pratique que Hope Summers (dont on est depuis sans nouvelles...).
A cet effort de synthèse s'ajoute un vrai travail narratif pour intégrer le casting à un récit spectaculaire et haletant. Pour cela, il faut un méchant d'envergure (ce qui manquait en fait aux épisodes de Claremont, qui préférait exploiter la famille dysfonctionnelle qu'était Excalibur et la comédie engendrée par le décalage entre les héros et leurs adversaires) : ce sera donc le magicien Necrom. Davis le fait véritablement apparaître et agir tardivement, suggérant sa présence et sa puissance là aussi à petites doses avant un dernier acte grandiose. Pour éviter ce qu'on pourrait appeler le syndrome du "méchant providentiel", il le relie intelligemment à diverses mythologies sur lesquelles sont bâtis la série et ses héros : d'un côté, il s'agit d'un ancien membre d'un trio tout-puissant composé de Merlin (le créateur du corps de police omniverselle d'Hors-Le-Monde, donc de Captain Britain), de l'autre il est en relation avec Feron, hôte initial de la force du Phénix (qui a irrigué longtemps les épisodes de Uncanny X-Men avec la transformation de Jean Grey puis la création de Rachel Grey-Summers). La manoeuvre est habile puisqu'elle permet d'impliquer, en les soudant (au propre comme au figuré le temps d'une séquence mémorable), les membres d'Excalibur.
Davis articule aussi une partie de son histoire, dans le premier acte, autour du thème de l'identité et connecte formidablement deux femmes jusqu'ici sans vrai lien, Rachel et Meggan : de cette dernière, le lecteur, non familier des aventures de Captain Britain avant la série Excalibur, ne sait rien sinon qu'elle agit/réagit de manière empathique et possède des pouvoirs métamorphes et quelques autres capacités extraordinaires. Mais Meggan est aussi peu affranchie que nous sur qui elle est, d'où elle vient, sa condition. Précisément, ce vide trouve un écho chez Rachel qui découvre qu'en utilisant moins (ou de façon moins spontanée et intense) son pouvoir elle a davantage accès à son propre passé (rappelons qu'elle a débarqué à notre époque depuis un futur apocalyptique pour les mutants d'une terre parallèle). En incitant Meggan à partir sur les traces de ses origines, c'est aussi la manière que trouve Rachel de s'éloigner de l'agitation des exploits d'Excalibur et donc de se recentrer pour ré-apprendre à se connaître et à se situer dans notre monde, notre époque.Il en résulte des pages touchantes, nimbées de mélancolie mais aussi de merveilleux, malgré les horreurs subies par Meggan comme par Rachel.
Graphiquement, Davis met une claque au lecteur non seulement en tenant huit épisodes d'affilée (neuf presque en comptant que le 8ème est un numéro double) de haute volée. L'expressivité des personnages est remarquable, mais l'énergie du découpage n'a rien à lui envier, et le degré de détail de chaque page est admirable, qu'il s'agisse de représenter le QG d'Excalibur (même si le phare ne survivra pas à cette épopée), Hors-Le-Monde (avec sa figuration ahurissante et ses décors fantastiques), I'Thère (inspirée par la saga de John Carter of Mars d'Edgar Rice Burroughs), jusqu'au duel à mort final dans l'espace entre Rachel et Necrom.
L'encrage de Mark Farmer et les couleurs de Glynis Oliver ajoutent à la qualité de l'ensemble... Et devraient inciter les editors-in-chief actuels de Marvel à plus d'humilité quand, aujourd'hui, ils prétendent que le nouveau statu quo ("Marvel Legacy") offrira au public des histoires d'une envergure comparable à une saga à chaque fois : c'était déjà le cas ici, et Alan Davis aurait largement de quoi donner des leçons de narration et de dessin à bien des auteurs et artistes actuels qui prétendent, comme leur direction, réinventer la roue.
Par la suite, Davis, sans doute, et légitimement, épuisé, va se contenter d'écrire les épisodes suivants. Il ne re-dessinera que le diptyque des n°54-55 puis son ultime arc sur le titre, couvrant les épisodes 60 à 67... Dont je vous parlerai dès que je les aurai relus !
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