Triste coïncidence, mais je vais vous parler de Wolverine le jour où l'annonce du décès (à 69 ans) de son créateur, le légendaire scénariste-editor Len Wein, est communiquée. Que les lignes qui suivent soient aussi une forme d'hommage à cet immense figure des comics.
Je suis offert, début Août, ce gros volume (plus de 450 pages) intitulé Marvel Epic Collection : Wolverine, qui reprend la totalité du run dessiné par John Buscema sur la série Wolverine. Auparavant, Marvel rééditait dans leurs Essential, d'épais albums en noir et blanc des anciens épisodes de leurs titres emblématiques pour un prix modique, puis, pour conserver ces lecteurs friands de oldies but goldies mais en récoltant plus de flouze au passage, hop ! passage à des livres en couleurs plus chers (mais avec des bonus en plus) et publiés sans ordre chronologique. That's business !
Comme je ne me sentais pas de vous critiquer ce pavé d'un trait, j'y consacrerai trois articles (pas successives cependant) pour que ce soit plus digeste (pour vous) et moins chronophage (pour moi). On commence donc par le plat d'entrée, également disponible en trade paperback sous le titre Marvel Comics presents Wolverine.
En 1988, l'editor Mike Higgins est chargé de produire un bimensuel où Marvel veut tester quelques héros en vue de leur accorder ensuite une série régulière. C'est l'occasion de mettre en avant de personnages provenant d'équipes populaires tout comme d'autres seconds couteaux qui prennent la poussière sur des étagères, mais en les confiant à des créatifs solides et même parfois prestigieux. Ainsi donc Wolverine cohabitera-t-il avec Shang-Chi (Master of Kung-Fu) ou Man-Thing mais aussi Thor, Iron Man.
Le mutant griffu est déjà une star à l'époque en tant qu'X-Man et les pontes de Marvel ont bien l'intention de contenter ses fans. Logiquement, Chris Claremont écrira ses aventures solo et on lui adjoint "Big" John Buscema pour les dessins - comme ce dernier n'a jamais apprécié les super-héros et leur folklore (masque, costume, super-pouvoirs), le scénariste le convainc d'embarquer en lui promettant une histoire à mi-chemin du Terry et les Pirates de Milton Caniff et Conan (dont Buscema fut un des artistes emblématiques).
La revue de 24 pages sortant tous les quinze jours doit donc proposer des épisodes à la pagination réduite (8 pages) et à la narration "feuilletonnante", mais en contrepartie les auteurs ont carte blanche pour raconter ce qu'ils souhaitent (à condition quand même d'accrocher les lecteurs). Des contraintes donc mais qui vont devenir un puissant stimulant.
Wolverine va séjourner dans Marvel Comics presents pendant dix numéros (soit cinq mois) avant de gagner sa propre série régulière (et par là-même commencer à devenir un héros de plus en plus présent jusqu'à nos jours, où en plus de ses aventures solos, il est devenu Avenger en plus de rester X-Man). Mais en 1988-1989, le griffu avait fier allure grâce à Claremont et Buscema dans cette saga inaugurale intitulée Save the Tiger.
L'intrigue tient la promesse formulée par son scénariste en mélangeant action et exotisme : Logan prend congé des X-Men (à l'époque portés disparus, suite au crossover Fall of the Mutants, et réfugiés en Australie) pour gagner l'île de Madripoor, au Sud de l'Indonésie, véritable principauté gangrenée par le crime et la corruption, entre ses buildings et ses villas luxueuses (où officie la pègre) et ses bas quartiers (où la misère, la corruption et le meurtre sévissent). Il s'y rend au nom d'un ami, Dave Chapel, pour trouver O'Donnell, tenancier du "Princess Bar".
Chapel a été exécuté par Roche, le parrain local, qui apprend l'arrivée de cet étranger grâce à Sapphire Styx, infiltrée dans l'entourage de O'Donnell. Pour éliminer Wolverine, il peut aussi compter sur ses sbires, l'Inquisiteur (spécialiste es-torture) et surtout Razorfist (dont les mains ont été remplacées par deux lames de sabre). Mais le mutant, d'abord malmené, gagne une alliée inattendue dans son projet de venger Chapel : Jessan Hoan, ex-banquière sauvée des Reavers par les X-Men et revenue à Madripoor dépouillée de ses biens par Roche, qu'elle compte bien détrôner...
Comme dans un bon vieux comic-strip, la forme narrative de ces épisodes de huit pages a un peu vieilli : à chaque nouveau chapitre, il faut supporter un rappel des faits par Wolverine (qui assure ce service en voix-off), lequel ne manque jamais de préciser régulièrement ses pouvoirs (facteur régénérateur, squelette en adamantium incassable, super-sens, et griffes métalliques). Mais c'est bien le seul bémol qu'on émettra à la lecture de cette histoire palpitante, au parfum rétro irrésistible.
Claremont définit son héros comme une version "unleashed" de Wolverine, c'est-à-dire déchaîné : quand il agit au sein des X-Men, il ne tue pas (ou hors-champ) en vertu des règles du groupe fondé par le Pr. Xavier mais aussi pour prouver à ses acolytes qu'il n'est pas la bête sauvage que son nom de code suggère. Dans le contexte présenté ici, Logan se lâche en revanche complètement car il n'a de comptes à rendre à personne et que ses adversaires ne lui font pas de cadeau. Il s'agit d'ailleurs d'ennemis sacrifiables (méchants de seconde zone, armée de porte-flingues anonymes), qui ne reviendront pas ensuite.
Cela ne signifie pas que le scénariste se défoule en d'abondantes scènes violentes : pour Claremont, ce qui distingue Wolverine de Hulk, c'est que lorsque le colosse de jade redevient, après un accès de rage, Bruce Banner, il a oublié les ravages qu'il a causés, tandis que Logan, lui, compose en permanence avec le sang qu'il fait couler. Si dans cette saga, ce tourment psychologique n'est pas encore très fouillé, il le deviendra davantage une fois que le personnage aura sa série, montrant le mutant en perpétuel conflit avec lui-même, tantôt samouraï impitoyable, tantôt justicier hanté par ses démons, ses amis tués et ses adversaires morts. Bref, il ne s'agit plus seulement de présenter un Wolverine cool, rebelle à l'autorité, qui séduit tant les fans des X-Men, mais un être déchiré entre bestialité et humanité.
Qui de mieux alors, effectivement, pour représenter cette dualité incarnée que l'immense John Buscema ? Alors âgé de 61 ans, le vétéran est dans une forme resplendissante : celui qui, avec Jack Kirby, Steve Ditko et John Romita Sr, a véritablement façonné visuellement Marvel s'amuse visiblement avec Wolverine qu'il dessine fidèlement, c'est-à-dire trapu, robuste (plus que musclé), petit, teigneux. Son trait rond, expressif, donne une densité, une gravité, une pesanteur même au personnage, véritable fauve constamment sur le point de bondir sur sa proie. Effectivement, Conan n'est pas loin, mais replacé dans un décor fantasmé de série noire exotique, avec le look ad hoc (borsalino sur la tête, blouson de cuir... Et, détail désormais banni, clope au bec).
Les mâles alpha de Buscema sont célèbres mais quel talent aussi pour croquer les femmes, fatales et outrageusement sexy (sans être jamais vulgaires) comme Sapphire Styx, ou vengeresses, véritables croisées comme Jessan Hoan.
Ces dix épisodes sont encrés par Klaus Janson, qui, parfois, en vérité, finissait le travail livré par Buscema (coutumier du fait, il préférait l'esquisse, traduisant l'énergie qu'il désirait traduire sur la page, au tracé précis). Contre toute attente, l'homme dans l'ombre de Frank Miller (sur Daredevil) s'en sort merveilleusement, même si son style est plus anguleux que celui de "Big" John et qu'il rajoute finalement peu à chaque plan (les décors sont souvent réduits à leur plus simple expression, dans les scènes d'action, ou dans les plus petites vignettes). Et, enfin, la colorisation de Glynis Oliver a bien supporté le passage des années (mais la collection "Epic" a aussi permis de restaurer les films d'époque).
Ces 80 et quelques pages de BD sont jouissives, et pourtant ce n'est que le début. A suivre donc dans Wolverine Classic Volume 1...
1 commentaire:
Je sais que Peter David a succédé à Chris Claremont à partir de l'épisode 11 de la série "Wolverine", toujours dessinée par John Buscema (dont ce furent les derniers épisodes) et encrée par Bill Sienkiewicz (également parti ensuite). Mais pour ce qui est des épisodes dans "Marvel Comics Presents", ils étaient écrits par Claremont : c'était en quelque sorte un test pour voir si le personnage pouvait attirer des lecteurs dans un titre dédié.
Je ne sais pas si Semic avec ses "Version Intégrale" a repris du matériel provenant de "Marvel Comics presents". Les premières "VI" que je me suis procurées étaient celles avec les épisodes du trio Archie Goodwin/John Byrne-Klaus Janson, l'équipe qui a succédé justement à David/Buscema-Sienkiewicz (un autre run formidable), puis ensuite ceux produits par Larry Hama/Marc Silvestri-Dan Green (totalement survoltés).
Il est déplorable qu'aujourd'hui toutes ces histoires soient vendus par Panini à des prix exorbitants (et revendus sur des sites par des spéculateurs qui gonflent encore plus le tarif). Cependant, on doit encore pouvoir trouver les "VI" de Semic, en singles ou en albums, à des prix abordables (j'avais pu ainsi trouver tout le run de Nocenti/Romita Jr-Williamson sur "Daredevil" sans me ruiner).
Pour ceux qui peuvent lire directement la vo, désormais, il y a cette collection "Marvel Epic", avec de gros pavés en couleurs, pour un bon prix (plus cher que les "Essentials" en NB mais on ne peut pas tout avoir), même si ça ne sort pas toujours dans l'ordre chronologique (en même temps, le catalogue est pléthorique, Marvel doit faire des choix entre des classiques et des passages plus surprenants, mais les albums en question sont remarquables).
En tout cas, merci pour la lecture et le commentaire : c'est toujours motivant.
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