EXTRÊMEMENT FORT ET INCROYABLEMENT PRES est un roman écrit par Jonathan Safran Foer, traduit par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, publié en 2006 par les Editions de l'Olivier.
En 2002-2003, à New York. Oskar Schell est un garçon de neuf ans qui vit seul avec sa mère, une avocate, et sa grand-mère paternelle. En 2001, son père, Thomas, qui dirigeait la bijouterie familiale, est mort lors des attentats du 11-Septembre, dans une des tours du World Trade Center.
En fouinant dans les affaires de son père, Oskar trouve une clé dans une enveloppe sur laquelle est écrit le mot "Black". Il est alors convaincu qu'il s'agit du nom d'une personne qui connaissait son père et qui pourrait lui apprendre dans quelles circonstances précises il est mort. Il pense aussi que cette clé ouvre une serrure qui lui donnera accès à d'autres révélations.
Oskar entreprend alors de rencontrer tous les habitants de New York du nom de Black, par ordre alphabétique de leurs prénoms, pour résoudre ces énigmes. Mais il dissimule son projet à sa grand-mère (une vieille dame dont le mari l'a quittée il y a longtemps avant de revenir pour devenir son co-locataire secret), à sa mère (qui a fait la connaissance d'un homme, Ron, dans une association d'aide aux victimes - il a perdu sa femme et sa fille dans un accident de voiture), et à son psychothérapeute (qui, déconcerté par la façon dont son jeune patient fait son deuil, aimerait l'hospitaliser).
Au terme de sa longue et folle aventure, ponctuée par les lettres-confessions de ses grands-parents (rescapés tous deux du bombardement de Dresde durant la seconde guerre mondiale), son partenariat éphémère avec un centenaire, ses retrouvailles avec son grand-père, Oskar trouvera une réponse inattendue à ses questions. Peut-être le début d'une nouvelle étape dans son existence et celle de sa mère...
Jonathan Safran Foer
Parlons un peu de l'auteur pour démarrer car il s'agit d'un des romanciers les plus renommés de la littérature américaine actuelle : Jonathan Safran Foer est né en 1977 à Washington et a suivi des études de Lettres à la prestigieuse université de Princeton. En 1999, il part en Ukraine avec son grand-père pour suivre les traces de ce dernier : de ce voyage, il tirera son premier roman, Tout est illuminé, qui lui vaudra la reconnaissance critique et publique. L'ouvrage sera adapté au cinéma par l'acteur-réalisateur Liev Schrieber, avec Elijah Wood dans le rôle principal.
Parallèlement à cela, l'écrivain rédige plusieurs articles dans "The Paris review", "The New Yorker", "The New York Times" puis il se lance dans son nouveau manuscrit : Extremely Loud and Incredibly Close. Le propos est ambitieux : il s'agit d'évoquer dans un important volume (plus de 400 pages) une réflexion sur l'enfance, la guerre, les conséquences des attentats du 11-Septembre, la famille, le deuil, le hasard et le destin.
Sur ce fond déjà conséquent, Foer ajoute un travail sur la forme très original qui fait de son livre un objet hybride, mélangeant divers styles - dialogues, monologues intérieurs, correspondances, notes - et photos - de lieux, d'objets, de personnes, de parties du corps - en jouant sur la typographie (des corps de texte voient ainsi à un moment les caractères se chevaucher jusqu'à devenir illisibles, aligner une page entière de chiffres, certaines lettres et passages sont cerclés de rouge comme une copie corrigée ou annotée, d'autres pages sont manuscrites (en différentes couleurs).
Tout cela influe évidemment beaucoup sur la lecture. Pour part, après avoir d'abord été un peu intimidé en le feuilletant, j'ai dévoré les cent premières pages. En reprenant le livre en main, lors d'une deuxième session, j'ai éprouvé beaucoup de difficulté à rentrer dans l'histoire. La troisième séance m'a permis de replonger avec entrain dans l'ouvrage, jusqu'à la conclusion. C'est dire que Extrêmement fort et incroyablement près n'est pas un bouquin facile à appréhender et je ne vous en parle que plusieurs jours après l'avoir terminé, en ayant pris le temps de le "digérer"... Mais sans être pourtant bien assuré des sentiments qu'il m'inspire.
Salué par Salman Rushdie comme un opus "pyrotechnique, énigmatique, émouvant. Un exploit hors du commun", on peut abonder en ce sens : il y a comme une sensation de performance littéraire dans cette ouvrage. Jonathan Safran Foer a une audace réelle devant laquelle il est impossible de rester insensible, on considère cet effort avec d'autant plus d'intérêt qu'on le lit en passant par des états contrastés et intenses.
Mais justement, cet aspect très démonstratif embarrasse la critique et même l'appréciation du lecteur : le romancier a tellement ostensiblement voulu épater la galerie qu'on ne peut en parler sans être embarrassé par ce que beaucoup raillent comme la manie de moult auteurs de produire "le grand roman américain". En brassant des événements historiques aussi traumatisants que les attentats du 11-Septembre pour les mêler à aux thèmes rebattus du récit initiatique, en voulant à la fois filer la comparaison d'une manière qui est tout sauf subtile entre la chute des tours jumelles du World Trade Center et le bombardement de Dresde, en alternant de façon vite évidente les secrets de Oskar avec ceux de sa grand-mère, la disparition de son grand-père (qui revient près de sa femme) et celle de son père (qui laisse une veuve, sur le point, peut-être, de se lier avec un nouvel homme, également éprouvé, quoique pour des raisons différentes), les motifs développés par Foer sont souvent plus laborieux que gracieux, son oeuvre plus signifiante que subtile.
Ajoutez à cela que son héros, le jeune Oskar, n'est pas un gamin vraiment attachant : si on compatit évidemment à sa condition d'orphelin et que sa quête, touchante jusque dans son absurdité, de trouver qui est Black et ce qu'ouvre la clé est accrocheuse, l'excentricité de son caractère n'excuse pas des attitudes odieuses, qui finissent par provoquer le détachement du lecteur (la scène où il déclare à sa mère qu'il aurait préféré qu'elle soit morte à la place de son père opère une bascule dont il est impossible de revenir). Cette extravagance se prolonge dans des passages inégaux qui voit Oskar secondé par l'ancien reporter centenaire (un duo plutôt amusant), sa rencontre étonnamment érotisée avec Abby (une des Black qu'il rencontre)... Mais il faut aussi supporter des longueurs terribles que Foer annonce presque (le projet d'aborder tous les Black de New York par l'ordre alphabétique de leur prénom suggère bien sûr une quantité de portraits de qualité variable, de situations improbables - dont la plus énorme est qu'un gamin de neuf ans déambule dans une mégalopole aussi dangereuse que New York sans être jamais inquiété, sans jamais rencontrer d'individu louche !).
Bref, suivre Oskar, ce petit bonhomme à la fois désespéré, attendrissant, cynique, odieux, obstiné, fan des Beatles (ou plutôt attaché au souvenir de l'admiration que leur vouait son père, qui sifflait "I am the Walrus"), collectionneur compulsif, correspondant avec l'astrophysicien Stephen Hawking (dont le best-seller s'intitule Une brêve histoire du temps, titre qui pourrait être celui du roman de Foer), c'est accompagner une personnalité hors du commun dans une enquête existentielle aussi vaniteuse parfois que le style si souligné (d'autant plus qu'il est illustré par tous ces jeux typographiques) de l'auteur.
Le plus troublant, cependant, et peut-être en fin de compte le plus intéressant, c'est de dresser la liste des figures similaires exploitées par Foer et sa propre épouse, Nicole Krauss, dans son roman à elle, L'Histoire de l'Amour : un/e jeune héros/héroïne, la mère veuve, le vieil homme, les investigations des enfants, le poids du passé sur le présent, etc. Mais ce qui chez Krauss, malgré des maladresses, était élégant et poignant devient souvent plus tape-à-l'oeil et agaçant chez son mari.
Il reste que ce copieux pavé est une expérience rare, dont le flot d'impressions et d'images, l'exploration à la fois intimiste et spectaculaire d'une famille, de l'Histoire et d'une ville, produit un effet souvent sidérant, creuse la mémoire individuelle et collective, aborde le trauma récent de l'Occident (dont l'écho demeure hélas ! vivace après les attentats de Janvier et Novembre 2015 en France, de Mars 2016 en Belgique et, depuis hier, à Orlando en Californie) comme peu d'auteurs osent le faire. Cela n'efface pas les défauts (et une certaine suffisance) de l'effort de Jonathan Safran Foer mais l'impose comme un auteur et un ouvrage mémorables.
Il reste que ce copieux pavé est une expérience rare, dont le flot d'impressions et d'images, l'exploration à la fois intimiste et spectaculaire d'une famille, de l'Histoire et d'une ville, produit un effet souvent sidérant, creuse la mémoire individuelle et collective, aborde le trauma récent de l'Occident (dont l'écho demeure hélas ! vivace après les attentats de Janvier et Novembre 2015 en France, de Mars 2016 en Belgique et, depuis hier, à Orlando en Californie) comme peu d'auteurs osent le faire. Cela n'efface pas les défauts (et une certaine suffisance) de l'effort de Jonathan Safran Foer mais l'impose comme un auteur et un ouvrage mémorables.
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Le roman a été adapté en 2011 par le réalisateur anglais Stephen Daldry (Billy Elliott), avec dans les rôles principaux Thomas Horn (Oskar), Max Von Sydow (le grand-père de Oskar), Tom Hanks (le père de Oskar) et Sandra Bullock (la mère de Oskar). Mais je n'ai pas vu ce long métrage.
Max Von Sydow et Thomas Horn
(Oskar et son grand-père)
Tom Hanks et Sandra Bullock
(les parents de Oskar)
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