Après cinq mois d'interruption, The Nice House on the Lake revient. Nous avions laissé les héros de cette mini-série, le cerveau lavé par Walter, leur "ami", en fait un extraterrestre, qui les avait invité dans sa superbe demeure près d'un lac pour les protéger de la fin du monde et en faire ses cobayes. Un coup de théâtre allait changer le cours de la partie et James Tynion IV et Alvaro Martinez reprennent exactement là où les choses en étaient en Novembre dernier. Le jeu peut reprendre, plus pervers que jamais.
Les habitants de la maison ont tout oublié, à nouveau. Mais, à présent, Walter vit parmi eux tandis que Norah Jacobs a disparu. Walter suggère, pour aller de l'avant, de compartimenter la maison entre un espace de travail et un espace de vie.
Où est passée Norah ? Elle est prisonnière dans la deuxième maison, où fut retenu avant elle Reginald "Reg" Madison. Elle, se souvient de tout. Et pense savoir pourquoi Walter l'a écartée. Jadis, lors de leur rencontre, elle s'appelait Norman, a changé de sexe depuis, désorientant Walter.
Alors que les autres s'organisent dans la première maison, Reg dessine les plans pour réaménager l'esapce habitable en deux sections. Il évoque Norman/Norah et les sentiments que Walter avait pour lui/elle. Walter se trouble et fait oublier cela à Reg.
Une fois tout le monde endormi, Walter quitte la première maison et s'enfonce dans les bois environnants pour rejoindre la deuxième maison et Norah. Bien qu'il jure comprendre son ressentiment, il lui demande son aide pour la suite...
On pouvait légitimement se poser deux questions à la fin du sixième épisode de The Nice House on the Lake. La première : la série allait-elle souffrir d'une interruption de cinq mois ? Autrement dit : le lecteur aurait-il toujours envie de se replonger dans cette histoire ? La seconde : comment James Tynion IV et Alvaro Martinez, justement, allaient rebondir, proposer un second acte aussi passionnant et intense que le premier ?
Pour ne pas être perdu, il faut comprendre et admettre le principe narratif sur lequel a misé Tynion IV à partir de ce septième épisode. Celui d'une sorte de Reset, de Réinitialisation. En effet, c'est comme si l'histoire repartait avec une mise à jour. En apparence, rien n'a changé : la fin du monde a toujours eu lieu, une dizaine de personnes sont coincés dans une somptueuse maison près d'un lac, et tentent encore de composer avec la situation, entre résignation et combativité, acceptation et volonté d'aller de l'avant.
Mais un élément majeur, fondamental a changé : Walter, celui qui les attirait dans ce lieu et dont, nous, lecteurs, savons qu'il a provoqué la fin du monde, qu'il est un extraterrestre avec des pouvoirs mentaux très puissants et une apparence véritable différente de celle que ses amis lui connaissent, Walter donc vit désormais en compagnie de ses invités. Ceux-ci, la dernière fois que nous les avons vus, venaient de retrouver, dans une seconde maison à proximité, Reginald Madison dit "Reg", qui, il y a quelques années, avait appris le plan de Walter et l'avait aidé à le réaliser. Mais en mesurant, une fois celui-ci accompli, l'ampleur de l'horreur commise, Reg était prêt à contre-attaquer avec le soutien des invités. Malheureusement, Walter l'avait anticipé et avait fait oublier tout cela à tout le monde.
Retour donc à la première maison pour tous, y compris Walter. Pour tous ? Pas tout à fait et c'est l'autre élément de taille à prendre en compte : Norah Jacobs n'était plus là et personne ne le remarquait. Reg avait pris, numériquement, sa place. Walter conseille à ses invités de compartimenter l'espace de la maison : un pour y vivre, un autre pour réfléchir et travailler au moyen de se sortir de là - par exemple en essayant de communiquer avec l'extérieur, où, peut-être, restaient des survivants. Chacun se répartit alors les tâches, qui pour confectionner une antenne capable d'augmenter le signal émetteur, qui pour réaménager la maison, etc. Walter est à la baguette, et personne ne se doute évidemment qu'il est manipulé par ce dernier. C'est Molly Reynolds, la comptable du groupe, qui narre cet épisode dans la scène d'ouverture (en flash-forward comme d'habitude, dans un paysage désolé) et le passé (quand Walter assemblait encore le groupe).
Et puis, donc, Norah Jacobs. Elle n'est pas morte. Non, elle aussi a pris la place de quelqu'un : c'est elle qui, maintenant, est prisonnière de la deuxième maison, où fut retenu Reg. Elle n'a rien oublié, elle sait que Walter l'a écartée et a lavé le cerveau des autres pour vivre avec eux. Et elle se souvient, en criant sa rage dans sa geôle, du passé. Autrefois, Norah s'appelait Norman, c'était un homme, très proche de Walter. Celui-ci lui avait confié aimer autant les femmes que les hommes, troublé par Norman autant que Norman était troublé par Walter. Mal dans sa peau, sentimentalement frustré, Norman a entrepris sa transition pour changer de sexe et d'identité, pour devenir Norah. Peut-être pour séduire Walter, peut-être pour être enfin elle-même. Jusqu'à l'invitation à la maison près du lac, jusqu'à la fin du monde...
Il faut savoir, à ce stade, que ces informations sur Norah ne sont pas qu'une volonté de Tynion IV de faire un effort pour la représentatitivé de ses héros. Il ne s'agit pas, autrement dit, d'écrire un transexuel pour complèter une sorte de groupe représentant tous les genres. Tynion IV lui-même a affiché publiquement sa bisexualité et milite pour les droits de la communauté LGBTQ+. On peut donc aisément deviner que Norah est un personnage emblématique de la cause qu'il défend, mais surtout une créature métaphorique dans un récit qui joue beaucoup sur la notion de transition - d'un lieu à l'autre, d'un personnage à un autre, d'un être d'une planète à un être d'une autre, d'une situation à une autre.
Tout The Nice House on the Lake est fait de transition : une invitation dans un endroit paradisiaque/la fin du monde, des humains/un extraterrestre, une maison/ une autre maison, etc. Norah est à cet égard l'incarnation la plus vibrante, déchirante, de cette notion de transition, dans ce qu'elle suggère et ce qu'elle établit. Est-ce qu'au fond Walter ne fait pas tout ce qu'il fait pour Norah ? C'est une piste (même si ça métonnerait que ce soit la seule), car comme on peut le voir dans la dernière scène de cet épisode, Walter revient vers Norah, essuie ses remontrances, puis sollicite son aide pour que "tout se passe bien", que tout se réalise selon ses plans. Mais quels plans exactement ? Que veut vraiment expérimenter Walter avec son groupe d'"amis", la fin du monde, le fait de leur laver le cerveau dès qu'il est contrarié, etc. ?
Sur ces interrogations Alvaro Martinez porte un regard toujours aussi impressionnant. Car The Nice House on the Lake est une oeuve aussi remarquable sur le plan narratif que graphique. Le style du dessinateur espagnol a complètement changé pour ce projet, se passant d'encreur, et évoluant à mille lieues du folklore super-héroïque dans lequel on pouvait déjà admirer ses planches.
Martinez doit jongler avec un casting important et donc donner à chaque personnage un physique identifiable rapidement. Personnellement, si je trouve que ses efforts en la matière sont louables, j'apprécierai volontiers que les protagonistes dialoguent plus souvent entre eux en rappelant au lecteur leur prénom car ce n'est pas toujours évident de s'en rappeler, surtout après cinq mois sans les avoir fréquentés. Cette réserve ne s'applique pas qu'à cette seule série, beaucoup d'auteurs aujourd'hui semblet parfois oublier que le lecteur ne peut pas tout mémoriser, quand il a de quoi mémoriser (car il arrive aussi que des scénaristes oublient purement et simplement de spécifier le nom de certains characters).
C'est aussi une série exigeante car elle ne laisse pas au lecteur l'occasion de souffler. Tynion IV et Martinez maintiennent une pression constante qui est certes épatante, mais qui, disons-le, par les temps qui courent, est étouffante. Lorsque la série a débuté, nous étions encore en pleine pandémie, et maintenant qu'elle reprend, c'est la guerre en Ukraine. Il faut être bien disposé pour lire ça, sans quoi c'est très pesant. Il n'y a strictement aucune légèreté, aucun humour là-dedans. Je sais bien que ces personnages sont dans un endroit après avoir vu le monde dévasté et donc ils n'ont certainement pas le coeur à blaguer, mais c'est une lecture en apnée.
Pourtant, la force de cette mini-série, sa qualité, c'est de vous accrocher avec une intrigue et des images puissantes, addictives. Il reste cinq numéros pour en connaître le fin mot et, sauf monumental dérapage, les auteurs ont toutes les cartes en main pour signer un néo-classique des comics.
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