jeudi 3 mars 2022

ONE-STAR SQUADRON #4, de Mark Russell et Steve Lieber


Ce quatrième épisode de One-Star Squadron fait un peu du surplace. Après la fin du précédent numéro, qui plaçait Red Tornado dans une situation très délicate, Mark Russell semble avoir du mal à rebondir, à relancer son intrigue. Même le caractère sarcastique de la série est moins saillant. Steve Lieber accomplit un effort louable pour raconter cela avec efficacité. 


Accablé à l'idéé de devoir renvoyer la moitié du personnel de l'agence comme l'ont exigé les actionnaires de HEROZ4U, Red Tornado confie à sa femme qu'il s'agit de sa seule option s'il veut garder son job.


Une fois à l'agence, Red Tornado rassemble ses troupes et leur annonce la mauvaise nouvelle. Power Girl s'isole dans les w.c. pour réclamer des explications aux actionnaires car on lui avait promis la place de Red Tornado. Mais ils lui apprennent qu'elle doit être la première à être licenciée.


Dans son bureau, Red Tornado reçoit ses employés qui cherchent à sauver leur place. Cherchant l'inspiration en examinant une photo de Manhunter, son mentor, Red Tornado décide de désobéir et déclare à ses collègues qu'il refuse de les virer et va s'en expliquer avec les actionnaires.


Tandis que Gangbuster, à son motel, est pris de panique devant des enfants déguisés pour Halloween et s'enfuit après une altercation avec leurs parents, Red Tornado est reçu par les actionnaires. Ceux-ci lui apprennent alors avoir vendu l'application. Red Tornado rentre à l'agence qu'il découvre en flammes...

Plutôt que du surplace, il s'agit en fait d'une impression de tourner en rond qu'on ressent après avoir lu cet épisode. Et c'est assez instructif pour qui s'intéresse à la manière de (bien) raconter une histoire, sur la durée ou le temps d'un numéro.

Restons-en au cas d'un épisode. Lorsqu'un scénariste le construit, en fonction du nombre de personnages (premiers et seconds rôles confondus) qu'il a à animer, on assiste généralement à ce qu'on pourrait appeler des respirations ou des apartés dans la narration. C'est-à-dire que l'histoire est entrecoupée de scènes au cours desquelles on quitte le personnage principal pour suivre un second rôle qui va donner une perspective au récit mais aussi permettre au lecteur de respirer, de voir ce qui se passe à côté.

Ce procédé relance le défilé des scènes et évite la monotonie qui peut naître du fait de suivre un seul personnage central. Dans One-Star Squadron, la vedette est Red Tornado et on suit ses mésaventures multiples, de super-héros déclassé à manager d'une agence de placements de super-héros pour des animations diverses en passant par l'évocation de son passé glorieux. Les respirations sont pourvus par Power Girl, ici reconvertie en rivale hypocrite qui lorgne sur le poste de Red Tornado et qui conspire auprès des actionnaires de l'agence. Enfin, une troisième ligne narrative est fournie par les employés de l'agence, des super-héros ringardisés, ou le fil rouge qu'incarne Gangbuster, ce justicier sans abri et amnésique que Red Tornado a juré de protéger.

Lorsque ces respirations ne fonctionnent pas ou plus, alors on tombe justement dans le piège précité d'avoir l'impression de ne plus quitter le personnage principal et si ce qui lui arrive n'est pas palpitant, alors on s'ennuie. Ses réactions aux événements manquent de relief, le temps qui s'écoule est moins marqué, l'espace dans lequel il évolue devient trop réduit. Ici, en l'occurrence, l'action se résume à une (sale) journée, en les murs de l'agence, entre Red Tornado et les employés de l'agence. Les deux seules courtes scènes où le récit respire sont celles avec Power Girl, qui téléphone aux actionnaires pour découvrir qu'elle va être virée alors qu'ils lui avaient promis une promotion, et avec Gangbuster, pris de panique après que des enfants aient toqué à sa porte pour Halloween, et qui s'enfuit du motel où Red Tornado l'avait logé.

Mais ces respirations ne fonctionnent pas assez puissamment pour relancer le récit, lui donner une perspective. Au contraire, Mark Russell met en quelque sorte hors-jeu Power Girl après nous avoir suggéré qu'elle allait piéger Red Tornado. Quant à Gangbuster, il faut bien avouer que depuis quatre numéros, on ne sait pas trop où Russell veut en venir avec lui (même si, maintenant qu'il est dans la nature, on imagine fort bien que Red Tornado va en être averti et partir à sa recherche). 

Donc, entre le début et la fin de l'épisode, entre Red Tornado dévasté à l'idée de devoir virer du personnel et Red Tornado annonçant aux actionnaires qu'il refuse de le faire (mais en vain, puisque, entretemps, ceux-ci ont revendu leur affaire, et donc les licenciements ne sont plus leur problème), le récit ne décolle pas, il tourne en rond. Un épisode pour (presque) rien - presque seulement, car la dernière page fournit quand même un cliffhanger honorable (qui a mis le feu à l'agence ?).

Steve Lieber, un peu livré à lui-même avec un script peu inspiré, fait quand même le job. Si on peut légitimement penser qu'avec un artiste comme Kevin Maguire ou Francis Portela, dont le trait très expressif et fin fait merveille dans le registre comique, la série aurait atteint des sommets graphiques, Lieber se débrouille très bien.

D'abord parce que ce dessinateur est solide et humble, son graphisme ne cherche jamais à se mettre en avant, il est tout entier dévoué à l'histoire. Le découpage, très simple, refuse toute fantaisie et participe à la normalité affligeante du propos, c'est-à-dire une charge anti-capitaliste subtile mais mordante. 

Par contre, il arrive aussi à Lieber de rater vraiment son coup car il choisit parfois des angles de vue maladroits (quand Red Tornado grimpe sur un bureau pour haranguer ses troupes et leur jurer qu'il va les défendre). Là, on aurait bien aimé qu'il découpe un peu plus le mouvement ou opte pour un angle de vue plus efficace (une plongée à la place d'une contre-plongée qui est trop écrasée par la dimension de la case et une perspective trop limitée).

Je ne veux pas avoir l'air trop sévère car One-Star Squadron est une mini-série spéciale, qui mérite d'être soutenue. Qui plus est, à deux épisodes de son dénouement, rien n'est perdu, je veux croire à un accident. Mark Russell et Steve Lieber peuvent (et doivent) rebondir, c'est à leur portée.

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