Comme promis dans ma critique de Batman #121, je vais vous parler d'une histoire vraiment réussie avec le dark knight. Il s'agit de Batman : Killing Time, la nouvelle mini-série écrite par Tom King et dessinée par David Marquez. Cette production s'inscrit dans la continuité, elle n'est pas publiée au sein du Black Label, et se situe dans le passé, alors que Batman est en activité depuis peu. Mais le projet est étonnant et déborde d'une énergie grisante.
Il y a une semaine. Le vigile de la First National Bank of Gotham, Julian Thaun, admire une danseuse de poll dance. Un homme l'invite à profiter d'une session privée. Il rencontre alors le Pingouin qui le soudoie pour un braquage.
Le 4 Mars. Selina Kyle donne un cours de tennis à Cookie Barrington, l'épouse de Ronald Barrington, directeur de la maison-mère de la First National Bank. Elle se change en Catwoman et neutralise les gardes du corps de Cookie qu'elle oblige ensuite à appeler son époux sous la menace.
Au même moment. Killer Croc entre dans la First National Bank avec la complicité de Julian Thaun. Il agresse le caissier. A son bureau du GCPD, le commissaire Gordon est averti. Batman intervient et neutralise Croc.
Mais la police et Batman ignore que Croc fait diversion car, pendant ce temps, le Sphinx force Ronald Barrington à le mener jusqu'à une chambre forte pour y dérober un petit boîtier. Avec Catwoman, il doit ensuite le remettre au Pingouin mais la transaction dégénère...
On le sait mais Tom King et Batman, c'est une histoire particulière. Le scénariste a succédé, au début de l'ère DC Rebirth, à Scott Snyder et s'est impliqué dans un long run qui devait compter une centaine d'épisodes. L'aventure fut abrégée par l'editor Bob Harras qui trouvait la narration de King trop déprimante et le remplaça par James Tynion IV. King obtint de terminer son histoire avec la mini-série Batman/Catwoman (toujours en cours de parution), mais hors-continuité, au sein du Black Label.
Pendant et après son run sur Batman, King s'est imposé comme l'auteur de plusieurs mini-séries multi-récompensées où il a réinventé des super-héros méconnus (Adam Strange dans Strange Adventures, Scott Free dans Mister Miracle, Christopher Chance dans The Human Target entre autres). En parallèle, Tynion IV a fini par lâcher Batman pour se consacrer à ses projets en creator-owned, Joshua Williamson lui a succédé, et bientôt ce sera à Chip Zdarsky de tenter sa chance.
Batman : Killing Time marque donc le retour de Tom King sur une histoire dans la continuité du dark knight. Elle se situe dans le passé du héros, au début de sa carrière, et comptera six chapitres. En lisant ce premier épisode, on a le sentiment que, plus qu'un retour sur le personnage, c'est pour King l'occasion de prouver à Bob Harras qu'il avait tort en jugeant sa manière de raconter trop déprimante. Aussi a-t-il choisi un récit plein d'action, de mystère, avec un casting iconique, une sorte de popcorn comic, complètement inattendu de sa part.
La narration ressemble à celle d'un action movie : une voix-off accompagne chaque scène comme pour détailler le déroulement d'un plan pour un audacieux braquage. On est dans une ambiance de série noire classique, avec deux attaques simultanées dans deux banques, dont l'une sert de diversion pour l'autre. Les quatre vilains de l'histoire - le Pinguoin, Catwoman, Killer Croc, le Sphinx - correspondent tous à des archétypes - le "cerveau" de l'opération, la femme fatale, l'homme de main, le filou. La police est dépassée comme Batman. Et le butin a un lien avec l'antiquité et la mort d'Euripide.
C'est peu dire qu'on est accroché par le dynamisme de ce récit. Tom King nous mène par le bout du nez avec une construction dramatique éclatée parfaitement maîtrisée jusqu'aux dernières pages qui nous choquent et nous laissent dans l'expectative. Dégagé des éléments qu'il avait lui-même mis en place durant son run (notamment en ce qui concerne la relation romantique entre Batman et Catwoman), King a les mains libres pour s'amuser et nous distraire en nous entraînant sur une fausse piste.
Lire Batman : Killing Time, c'est tourner les pages avec gourmandise, un sourire comblé aux lèvres en permanence. C'est jouissif. Si vous aimez les heist stories, Batman détective, Catwoman féline fatale, Killer Croc grosse brute, et le Sphinx plus malin que tout le monde, si vous avez une certaine tendresse pour le Pingouin, alors vous vous régalerez. King adresse même un clin d'oeil à la fin de Batman : Year One, son livre de chevet, avec la toute dernière scène sur le toit du GCPD, en compagnie de Jim Gordon et Batman. Et le scénariste est d'une sobriété impeccable, avec un texte moins verbeux que souvent chez lui, et sans une once de dépression.
C'est aussi l'occasion d'un retour en force pour le dessinateur du projet : David Marquez. Depuis son transfert chez DC, c'est peu dire qu'il n'a pas brillé, comme si l'éditeur ne savait pas trop quoi faire de lui et comme si, aussi, lui-même n'était plus inspiré, comme égaré. Les six épisodes de Justice League qu'il a signés pour Brian Michael Bendis ne resteront pas dans les mémoires (la faute à un arc affligeant mais aussi à des planches d'une faiblesse indigne).
Dessiner un script de King, c'est courir le risque de se heurter à une écriture trop contraignante, trop formaliste. Si l'auteur a ses habitudes avec Mikel Janin, Jorge Fornes, Mitch Gerads ou Clay Mann, qu'allait-il en être avec Marquez, nourri au sein de Marvel et de Bendis ? Hé bien, c'est un mariage réussi et heureux.
On renoue avec l'artiste pêchu de Ultimate Spider-Man et Defenders, qui soigne ses images et impose sa narration rigoureuse. Comme Greg Smallwood, il apporte à King une tonicité et une classe nouvelles. Cet épisode est ponctué de splash-pages qui claquent mais qui ne sont jamais gratuites, jamais tape-à-l'oeil. Le reste oscille entre motifs familiers chez King (avec des "gaufriers") et des compositions grisantes, où le sens de l'espace de Marquez fait merveille.
Surtout Marquez s'est approprié ces personnages mythiques avec une aisance formidable, bien plus convaincante que sur Justice League. Sa Catwoman, en particulier, est extraordinaire de beauté et de sensualité. Son Killer Croc est vraiment imposant. Et son Sphinx allie séduction et dangerosité. Batman surgit avec une grâce féroce jubilatoire. Les décors sont fouillés.
Enfin les couleurs d'Alejandro Sanchez conviennent bien mieux à Marquez (que celle de Tamra Bonvillan sur Justice League). Elles mettent valeur son trait qui lui-même laisse de la place au coloriste pour s'exprimer, établir des ambiances intenses aux scènes.
Batman : Killing Time est un divertissement haut de gamme, qui se lit tout seul mais intrigue suffisamment pour n'être pas que divertissant. C'est une consolation après avoir subi les quatre épisodes du premier arc de Joshua Williamson sur la série régulière du dark knight.
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