Le pénultième épisode de Devil's Reign est un bon condensé de ce qu'aurait pu être cet event et de ce que, finalement, il est. Chip Zdarsky a laissé beaucoup de choses en plan (peut-être développées dans des tie-in, mais c'est un autre problème) pour se diriger vers une conclusion très convenue sur la forme. Reste un divertissement efficace quoique brouillon. Et les dessins de Marco Checchetto, qui aura tenu la baraque avec une constance qu'on ne lui connaissait plus depuis longtemps.
Jessica Jones et les Champions viennent au secours des enfants de l'Homme Pourpre appréhendés par les Thunderbolts. Les héros ne peuvent en sauver qu'un à cause de l'intervention de l'Abomination, trop fort pour eux.
Otto Octavius transfère l'énergie des enfants Kilgrave dans le corps de leur père. Ceci fait, Fisk peut se débarrasser du Dr. Octopus dont il contrôle les adjoints venus d'une dimension parallèle. Puis il libère l'Homme Pourpre à qui il commande de supprimer tous les héros, quel qu'en soit le prix.
Prévenu de troubles en ville par Kristen McDuffie, Daredevil rassemble les héros pour intervenir contre les Thunderbolts sous le contrôle mental de l'Homme Pourpre. Ils sont immunisés grâce à des brouilleurs psychiques conçus par Spider-Man en urgence.
Alors que le chaos règne en ville, Mike murdock pénètre chez Matt où il a dissimulé une pierre des Nornes grâce à laquelle il espère pouvoir empêcher la situation de complètement dégénèrer. Mais le Caîd lui tombe dessus en le prenant pour Dardevil...
Arrivé à ce stade, n'importe quel event se ressemble peu ou prou. On a droit à une cascade de scènes empiriques plus qu'à une véritable narration, un enchaînement de moments chocs qui culmine avec un (ou même deux) cliffhanger(s) pour annoncer la fin de l'event.
Sur ce plan, Chip Zdarsky fait le boulot proprement. La tension monte et la chaos explose avec beaucoup d'efficacité. Les lignes narratives convergent avec la capture des enfants de l'Homme Pourpre, l'éviction du Dr. Octopus, le rassemblement des héros, une énorme bataille urbaine, et le destin d'un personnage périphérique qui se noue tragiquement. C'est sans aucune surprise, tout se déroule comme du papier à musique, mais ça a le mérite d'être clair, net.
Malgré tout, Devil's Reign n'aura pas échappé à l'écueil de tous les events (ceux de Marvel en tout cas) et Chip Zdarsky aura été impuissant à en changer le mécanisme. Rappelez-vous : au début, Wilson Fisk, animé d'une rage féroce et d'une frustration énorme, décidait de déclarer hors-la-loi tous les justiciers de New York et ambitionnait même de se présenter à l'élection présidentielle pour étendre cette mesure, tout ça parce qu'il avait constaté que des dossiers sur la véritable identité de Daredevil avait disparu et que ses souvenirs avaient été effacés (sans qu'il sache comment).
Munis d'une équipe de Thunderbolts, dont il faisait un usage semblable à celui de Norman Osborn après Secret Invasion (c'est-à-dire une milice chargée d'appréhender tous les contrevenants, y compris en usant de la force léthale), le Caïd obligeait les héros à prendre le maquis. Mais Tony Stark suggérait alors une riposte à la mesure de cette répression en se présentant contre Fisk à la mairie de New York. Les héros préféraient cependant que Luke Cage soit le candidat adverse.
C'était prometteur et original, tout n'allait donc pas se résumer à de la baston, même si la partie chasse à l'homme subsistait (avec des prisonniers célèbres comme le Fantastic Four, Moon Knight) et des résistants improbables (comme les jeunes Champions). Mais Zdarsky s'est à la fois éparpillé et sans doute fait recadrer par son editor (dont on sait tous l'interventionnisme incorrigible, car ils sont obligés de superviser moults tie-in - pas moins d'une vingtaine pour Devil's Reign).
Comme Devil's Reign avait démarré avec l'éternel animosité du Caïd contre Daredevil, ce dernier allait recentrer l'intrigue en en (re)devenant la vedette, quitte à laisser des éléments narratifs plus intéressants en friche. On a alors assisté à l'abandon de plusieurs pistes qui s'annonçaient passionnantes, comme le duel Luke Cage-Wilson Fisk au profit de rebondissements sans suite (la révélation maladroite où on découvrait que Tony Stark avait été arrêté et remplacé par le Caméléon). Même dans le camp des méchants, la mini-série débordait de toutes parts avec le Dr. Octopus qui avançait ses pions et qui se voit dans cet épisode dégagé sans ménagement. Jusqu'à ce que le Caïd se rappelle providentiellement qui se cache sous le masque de Daredevil et ne s'engage (et le récit tout entier avec lui) dans une vengeance breaucoup plus convenue, prétexte à une grosse baston finale.
C'est dommage, mais était-ce évitable ? Sans doute pas. La faute aux trop nombreux tie-in qui ont dispersé sans doute des éléments de l'event pour inciter (obliger) le lecteur compulsif à tout acheter pour tout savoir. La faute à l'équipe éditoriale qui a préféré sans doute recadrer l'histoire pour un épilogue plus basiquement spectaculaire et manichéen. Peut-être aussi la faute à Daredevil lui-même qui n'est sans doute pas un personnage (et par extension une série) susceptible d'amorcer un event classique (on se souvient de l'échec artistique que fut Shadowland) où l'essentiel tient à un grand raout de super-héros face à un adversaire que, par définition, un seul héros ne peut vaincre.
La forme de cet épisode trahit tout ça : il ne s'agit plus de raconter quoi que ce soit mais de préparer la fin de l'event. Parfois on a droit à des moments bien sentis (l'emprise de l'Homme Pourpre sur toute la population, la furie déchaînée sur Mike Murdock qu'il prend pour Matt). Parfois aussi c'est tout bonnement grotesque (le baroud de Jesscia Jones, l'intervention de l'Abomination, l'évocation de la campagne électorale de Luke Cage - des scènes trop expédiées, des développements escamotés). Un résumé de l'écriture de Zdarsky, qui est capable d'idées inspirées, mais aussi incapable de leur donner l'ampleur ambitionnée.
On peut heureusement compter sur Marco Checchetto pour profiter du spectacle. Le dessinateur italien qui n'a pas dû aligner plus de cinq épisodes d'affilée depuis qu'il officie sur Daredevil affiche toujours une forme épatante et devrait finir le sixième chapitre en beauté.
Checchetto est généreux dans l'effort, ne rechignant pas à enchaîner des pages avec une figuration importante et/ou dans des décors soignés, avec de l'action à revendre. L'exercice qui consiste à illustrer un event est épuisant, et il a essoré bon nombre d'artistes. Tout le monde n'a pas, loin s'en faut, le ressort d'un Stuart Immonen ou d'un Valerio Schiti pour produire sans retard des épisodes épiques.
A son niveau, Devil's Reign est sans doute moins exigeant que d'autres events (six épisodes, c'est un arc classique). Mais Checchetto a fait le taf avec sérieux. Il excelle à représenter des personnages charismatqiues, même si avec des scènes moins hâchées ses efforts auraient été encore plus appréciés car c'est un narrateur qui s'épanouit dans des variations rythmiques. Le cadre urbain est fait pour lui, et c'est tout simplement agréable de le voir croquer, même un peu, des héros comme Captain America, les Champions, les FF, ou des méchants comme Doc Ock, l'Home Pourpre, les Thunderbolts. En plus il bénéficie d'un coloriste, Marcio Méniz, qui ne cherche vraiment pas à tirer la couverture sur lui, avec une palette très sobre.
Plus que quelques semaines d'attente pour découvrir la conclusion de Devil's Reign, pour laquelle auteurs et editors nous ont promis des bouleversements (on peut déjà, nénanmoins, en deviner quelques-uns...). Il sera alors temps de voir si ces promesses seront tenues et de savoir si ça vaut le coup d'aller jusqu'à Devil's Reign : Omega.
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