Le précédent épisode de S.W.O.R.D. s'achevait sur un twist étonnant : Al Ewing désignait Wiz-Kid comme un traître à la solde de l'organisation Orchis ! Ce coup de théâtre est exploré ici et signe un vrai tournant dans la série, mais pas forcément au niveau où on l'attend car le scénariste nous piège une nouvelle fois à la fin. Jacopo Camagni reste en poste et là aussi, c'est une surprise car c'est la première fois depuis Valerio Schiti qu'un même artiste dessine deux épisodes d'affilée.
Wiz-Kid est donc une taupe infiltrée au sein du SWORD pour le compte de Henry Gyrich, allié d'Orchis, l'organisation anti-mutante. Mais pourquoi Taki Matsuya a-t-il décidé de trahir ses amis ? Et comment va-t-il s'y prendre ? Le jeune mutant se réveille ce matin-là avec un plan déjà en tête...
Sur Arakko, Tornade a mis au pas la Légion Fatale. Frenzy et Cannonball la soutiennent dans cet effort, mais lorsqu'ils cherchent à joindre Abigail Brand, elle ne répond pas. Tornade appelle alors Cable, responsable de la sécurité au sein du Pic, la station n°1 du SWORD.
Au même moment, Wiz-Kid arrive dans la salle de commandement du Pic où se trouve Nathan Summers. Usant de ses pouvoirs, il neutralise Cable en s'en prenant à ses prothèses. Lorsque Nathan revient à lui, Vanisher le prévient qu'il a, selon ses ordres, fait évacuer la station.
Wiz-Kid assiste depuis la station Alpha Flight à l'explosion déclenchée dans le Pic. Henry Gyrich le félicite et l'interroge sur la motivation de sa trahison. Taki désigne Apocalypse dont il n'a pas supporté la présence dans le conseil de Krakoa. Gyrich se retire, ignorant que sa taupe n'est pas seule à bord...
Je ne révélerai pas qui est avec Taki Matsuya à bord de la station Alpha Flight ni comment Gyrich peut ignorer cette autre présence, mais ce que réussit là Al Ewing oblige le lecteur à reconsidérer les épisodes 9 et 10.
J'ai, comme d'autres, pu déplorer que S.W.O.R.D. soit une série sans véritable ligne narratrice, bien qu'elle soit agréable à lire. La manière dont Al Ewing écrit ici est déroutante car parfois le plus important se déroule hors champ et le casting semble sous exploité. Par ailleurs, Marvel a vendu la série comme celle du "programme spatial mutant", et on peut être légitimement frustré sur ce point car on n'est pas dans de l'aventure cosmique ni de l'action stellaire.
Il est plus juste d'estimer le SWORD comme l'équivalent du SHIELD des mutants, une série d'espionnage avec des personnages qui magouillent, manipulent, dissimulent, mentent, complotent, une équipe dont le secret est la devise. Et cet épisode comme le précédent sont probablement non seulement les plus réussis depuis le lancement du titre mais aussi parce qu'ils redéfinissent clairement son identité.
En désignant Wiz-Kid, qui est à la fois un héros jeune, sympathique et surtout le bras-droit de Brand, comme un traître, un espion à la solde de Gyrich, Ewing a pu donner l'impression de créer un coup de théâtre artificiel, une surprise tellement grosse qu'elle ne peut qu'engendrer la méfiance du lecteur. Comment ça, Wiz-Kid, une taupe au service d'Orchis ? Pas possible ! Et en même temps, pourquoi pas ? La première scène de cet épisode laisse planer le doute, qui sera souligné ensuite, jusqu'à la dernière page : paralytique, Taki Matsuya insiste en voix off sur le regard de ses semblables mutants guère différent de celui des humains devant un handicapé. Il fait montre d'une forme de suffisance aussi qui n'est pas apprécié, justement de la part de quelqu'un de physiquement diminué.
Le lecteur se dit alors que la trahison du personnage est motivée par une volonté de prendre sa revanche sur ses semblables qui l'aurait mésestimé, méprisé. Les situations s'enchaînent et on peut apprécier la précision diabolique du plan de Wiz-Kid pour neutraliser Cable, couper le contact avec Frenzy (et donc Tornade) sur Arakko (alors que la Légion Fatale s'avère être un adversaire plus coriace que prévu). Lorsque la station du Pic explose, le lecteur est encore plus ahuri.
Puis, fidèle à lui-même, Ewing sort de sa manche un joker qui oblige le lecteur à tout réévaluer - et le soulage aussi, avouons-le. Comme d'habitude dans la série, l'essentiel était invisible aux yeux, le plus important se passait hors champ. On saisit alors pourquoi il fallait que le scénariste nous fasse douter aussi diaboliquement. Ce faisant, il prouve bien que SWORD est plus une série d'espionnage avec des coups fourrés, des coups tordus, qu'une série sur un programme spatial, même si, en fin de compte, l'espionnage ici (ou le contre-espionnage) concerne des affaires spatiales (avec Alpha Flight et Orchis dans les rôles des antagonistes, comme Spectre dans James Bond). C'est le B.A., BA des récits d'espions : toujours emprunter des chemins de traverse, toujours faire compliqué au lieu de faire simple, toujours mentir, tromper, abuser pour mieux surprendre le lecteur. Ce qui se joue alors est une partie d'échecs où il faut savoir concéder des pièces maîtresses pour faire mat.
Et là, ça devient jubilatoire. On peut juger que dix numéros pour définir une série, c'est un rythme de sénateur, mais désormais, on sait que SWORD se déguste, se savoure pour ceux qui ont eu la patience d'attendre jusque-là. La série qui paraissait avancer à tâtons, naviguer à vue est en réalité un crescendo machiavélique, un mécano subtilement construit par Al Ewing, qui peut être absolument passionnant à suivre maintenant qu'on en connaît la procédure.
SWORD gagne sur un autre tableau : en accueillant Jacopo Camagni, on pouvait se demander si ce ne serait pas le énième remplaçant de Valerio Schiti. Or, en le retrouvant, on se rend compte que l'artiste est le premier depuis Schiti a signer deux épisodes consécutifs. Et bien que ce soit encore précaire, c'est une stabilité graphique très agréable.
Pour ma part, je suis conquis par son travail, même si ce n'est pas (pas encore) parfait. Camagni fait le job, très proprement, avec beaucoup d'assurance. Il s'est approprié les personnages avec autorité, il soigne ses décors (même si parfois les effets infographiques sont un peu trop appuyés), et son découpage est impeccable, avec des planches comportant peu de cases mais qui s'enchaînent avec fluidité.
Mine de rien, Camagni est un dessinateur solide : si l'expressivité de ses personnages n'a rien d'exceptionnel, on remarque qu'il est précis quand il s'agit de détailler des postures, comme quand il montre Taki en train de se réveiller et de se lever, soulignant tous les efforts que doit produire un paraplégique pour se dresser dans son lit, glisser dans son fauteuil roulant, s'habiller - ça n'a l'air de rien, mais c'est réaliste, c'est crédible. A côté de cela, il sait envoyer du bois pour représenter la puissance immense de Tornade ou l'explosion d'une partie de la station du Pic (avec une belle double page). Et, donc, la surprise qui intervient à la dernière page est bien mise en scène.
Tout ça donne très envie de lire le prochain numéro, sachant qu'en Janvier la série fera une pause. J'espère vraiment que Marvel va conserver ce titre (j'ai bon espoir car Ewing "a la carte" et ne semble pas vouloir en rester là) car cette fois, ça y est, la machine est lancée. Et bien lancée !
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