Grand Prix du Festival de Cannes en 2018, Blackkklansman a marqué le retour au premier plan de son réalisateur, Spike Lee, après des années d'échecs critique et publics (son précédent hit fut The Inside Man, en 2008). Ce n'est que justice car le cinéaste en s'inspirant d'une étonnante histoire vraie livre un de ses "joints" les plus aboutis, une comédie très grinçante sur le racisme qui rencontra un écho troublant avec la gouvernance Trump.
1972. Colorado Springs. Ron Stallworth est le premier noir à intégrer la police mais on le cantonne aux archives où il doit subir le racisme de certains collègues. Il ose demander à ses supérieurs un nouveau poste et on lui confie alors une mission d'infiltration dans un meeting donné par un activiste des droits civiques, Kwame Ture (alias Stockely Carmichael) de passage en ville. Sur place, Ron aborde Patrice Dumas, la responsable des étudiants venus assister au discours. Plus tard, le même soir, elle est, avec Ture, arrêtée par l'officier Landers qui les menace ouvertement s'ils prolongent leur séjour ici.
Jugé compétent par sa hiérarchie, Ron est affecté aux Renseignements mais il s'y ennuie. Il téléphone alors à la branche locale du Ku Klux Klan en se faisant passer au téléphone pour un blanc raciste désireux de grossir leurs rangs. Son interlocuteur, Walter Breachway, lui donne rendez-vous. Ron demande alors à son collègue Flip Zimmerman de jouer son rôle et c'est ainsi que ce dernier rencontre Breachway et son adjoint, Felix Kendrickson, qui se méfie de lui. Les hommes évoquent un projet terroriste futur.
Cela suffit à Ron pour convaincre ses supérieurs de poursuivre l'enquête suivant le même stratagème. Pour obtenir une carte de membre du Klan, Ron contacte David Duke, le président de l'organisation, qui apprécie son zèle. Mais Zimmerman, lui, est toujours considéré avec perplexité par Kendrickson qui le soupçonne d'être un juif. Breachway calme le jeu. Ron revoit Patrice en essayant de la convaincre que tous les policiers ne sont pas racistes, mais elle n'en démord pas et espère que les noirs finiront pas se rebeller contre ceux qui les persécutent, quitte à prendre les armes. Le travail de Ron attire l'attention du FBI dont un agent le rencontre pour le prévenir que deux militaires appartiennent à la branche locale du KKK et pourraient fournir des armes et des explosifs.
David Duke se déplace à Colorado Springs pour l'intronisation de Stallworth/Zimmerman. Mais le leader ayant reçu des menaces de mort, la police lui octroie une protection et c'est Ron qui est désigné pour cela. Il en profite pour couvrir aussi Zimmerman qu'un des amis de Kendrickson identifie comme le policier qui l'a arrêté quelque temps auparavant. Lorsque, au cours du dîner qui suit, Ron remarque que Kendrickson et deux de ses acolytes s'absentent à la suite de Connie, la femme de Felix, il le suit, craignant qu'ils n'en profitent pour commettre leur attentat.
Ron réussit à arrêter Connie missionnée pour déposer une bombe devant le domicile de Patrice. L'explosion ne la touche pas mais tue Kendrickson et ses deux acolytes. De retour au poste, Zimmerman et Ron apprennent par leurs supérieurs que, suite à des coupes budgétaires, leur enquête est annulée et l'affaire classée. Ils savourent quand même leur succès quand Ron téléphone à Duke pour lui révèler qu'il l'a mystifié depuis le début.
Plus tard, Ron et Zimmerman tendent un piège pour faire arrêter Landers qui avait menacé Patrice. Celle-ci, toutefois, avoue à Ron qu'elle ne peut pas vivre avec un flic lorsque, depuis la fenêtre de son appartement, ils aperçoivent une croix en feu.... En 2017, à Charlottesville, une voiture-bélier fonce dans un cortège de manifestants anti-racistes et tue une assistante juridique, Heather Heyer, 32 ans. Le Président Donald Trump ne condamnera pas l'auteur de l'agression ni les contre-manifestants brandissant des drapeaux sudistes.
La carrière de Spike Lee est celle d'un cinéaste militant. Il s'est engagé publiquement dans ses oeuvres contre le racisme systémique subi par la communauté noire américaine, parfois avec virtuosité (Do The Right Thing), parfois avec maladresse (en s'insurgeant contre Michael Mann, un blanc, qui a filmé le biopic Ali, avec Will Smith). Mais on peut lui reconnaître une constance dans le discours, cash, sans concessions.
Malgré tout, au fil des longs métrages, son aura a terni. Des échecs cuisants au box office l'ont empêché de mener à bien des projets qui lui étaient cher. Il a aussi sûrement dû payer pour des déclarations à l'emporte-pièce, se mettant à dos des confrères qui n'avaient contre lui, s'enfermant dans une réthorique trop radicale. Et certains de ses interprètes fétiches (comme Denzel Washington) sont aussi allé voir ailleurs, ne pouvant attendre qu'il ait bouclé ses budgets.
Quand Blackkklsman est sorti, cela faisait dix ans que Spike Lee n'avait pas connu de vrais hits, depuis le polar The Inside Man, une série B jubilatoire, un heist movie jubilatoire mais impersonnel au possible. Son salut, le cinéaste l'a dû au réalisateur Jordan Peele et à la maison de production indépendante Blumhouse Productions, spécialisée dans les films d'horreur, tous deux admirateurs de longue date.
Avec les scénaristes Charlie Wachtel, David Rabinowitz et Kevin Willwott, Spike Lee a retrouvé l'inspiration dans l'autobiographie de Ron Stallworth, J'ai infiltré le Ku Klux Klan. Un récit ahurissant sur un flic noir qui s'est fait passer pour un type raciste incarné par un collègue juif qui rencontra David Duke, le "Great Wizard" de l'Organisation en 1972. Mais Blackkklansman n'est pas un biopic ni un film-dossier et c'est ce qui fait sa qualité.
En effet, Lee en a tiré une comédie grinçante, très noire, et glaçante, en insistant sur le stratagème de Stallworth pour pièger une bande de rednecks rêvant de révolution suprémaciste mais refusant de s'afficher en robe et cagoule blanche du KKK pour dédiaboliser leur organisation. Que l'on soit américain ou français, cela évoque forcément quelque chose - chez nous, le FN/RN de la famille Le Pen, l'extrême-droite qui veut se faire passer pour un mouvement politique démocratique et républicain mais peine à se débarrasser de son vrai visage, en continuant à frayer avec des groupuscules identitaires et des leaders européens xénophobes. Aux Etats-Unis, le constat est encore plus accablant puisque, quand le film est sorti, Donald Trump était Président et, suite à de nombreux débordements provoqués par des nationalistes, se refusait à les condamner, préférant affirmer qu'il y avait de braves gens même du côté des pires raclures racistes.
Mais le film évite de tomber dans le piège de l'indignation facile ou de la leçon de morale. En osant être parfois drôle, grâce à la combine jubilatoire de Stallworth, il souligne le grotesque de la situation et le pathétique de ces suprémacistes, dont les bombes finiront par leur péter au nez. Le KKK, ce sont des clowns en robes et cagoules blanches qui brûlent des croix, participent à des cérémonies rituelles et affirment que l'holocauste n'a pas eu lieu en expliquant qu'il s'agit d'un énorme coup monté des juifs pour culpabiliser la terre entière. Mais quand Zimmerman, pour répliquer à Kendrickson, antimsémite et négationniste absolu, lui explique qu'au contraire l'holocauste est un coup de génie car elle a industriellement débarrassé la Terre de millions de "youpins", il lui rabat le caquet.
Il faut accepter ce second degré ravageur pour entrer dans le film. Mais Lee prend aussi le temps de construire une scène admirable et terrifiante en montrant en parallèle une réunion du Klan et une d'étudiants noirs en présence d'un vieil homme (campé par la légende Harry Belafonte) qui leur raconte comment le lynchage abominable de son jeune ami a inspiré le film Naissance d'une Nation de D.W. Griffith, qui sera même projeté à la Maison-Blanche et encensé par le Président américain de l'époque, Woodrow Wilson. Là, on ne rit plus du tout, on a la gorge serrée. Et lorsque le film s'achève sur les images d'archives des émeutes de Charlottesville en 2017, avec la mort de Heather Heyer, écrasée apr une voiture-belier, lors d'une manifestation anti-raciste, que Trump refusera de condamner, le constat est accablant.
Mis en scène avec énergie et sobriété, le film ne cède jamais à l'esprit de revanche. Lee s'appuie sur les personnages de Stallworth et de Patrice Dumas, une étudiante engagée, pour équilibrer son propos qui ne fait pas l'erreur de mettre tous les flics dans le même panier mais appelle les noirs et les blancs à refuser toute violence raciste, à engager un débat et des actions de fond sur les forces de sécurité et contre la ségrégation. Le chemin est encore long mais Lee ne semble pas s'y résigner, il veut croire en de meilleurs lendemains. Et qui sait, avec le retour des Démocrates au pouvoir, et après d'autres drames comme celui de George Floyd (étouffé par un flic lors d'un contrôle de police), peut-être qu'une prise de conscience va vraiment avoir lieu...
Le casting est impeccable. Le duo formé par John David Washington, bien plus dynamique que dans Tenet (où visiblement l'intrigue et la direction d'acteurs l'ont trop bridé), et Adam Driver, placide et épatant comme toujours, est pour beaucoup dans la réussite du projet. Blackkklansman est aussi un formidable buddy movie grâce à eux. Laura Harrier est magnifique, à tous points de vue. Et Topher Grace compose un David Duke aussi méprisable qu'idiot avec talent. Mention aussi à Jasper Pääkkönen, effrayant dans le rôle de Kendrickson.
Restez bien jusqu'à la fin du génrique pour partir avec un superbe blues interprété par Prince. C'est la cerise sur le gâteau de cet excellent Spike Lee Joint.
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