L'illusion est parfaite avec ce troisième film de J;C. Chandor : on croirait vraiment un long métrage réalisé en 1981, quand ses déroule l'histoire de A Most Violent Year. Après avoir été consacré pour son premier opus, Margin Call, et son deuxième, All is Lost, le cinéaste impressionnait avec ce récit sous l'influence manifeste de Sidney Lumet, le portrait d'un homme d'affaires qui refuse de se compromettre dans un milieu très concurrentiel où tous les (mauvais) coups sont permis.
1981. New York. Abel Morales dirige une société de convoi et de stockage de fioul domestique, mais ses camions sont régulièrement volés puis retrouvés vidés. Sa femme, Anna, tente, en vain, de le convaincre de règler ça par les armes après qu'un de ses chauffeurs, Julian, ait fini à l'hôpital. Abel ne se résoud pas à adopter les méthodes de ses rivaux, d'autant que le procureur Lawrence monte un dossier contre lui.
Pour se développer, Abel veut acquérir des réservoirs supplémentaires sur l'East River et, avec son avocat, Andrew Walsh, il négocie avec Joseph Mendellsohn en lui payant un tiers de la somme qu'il réclame. Il a un mois pour règler le reste.
Mais la nuit suivante, Abel surprend un rôdeur près de chez lui et le met en fuit. Le lendemain matin, sa plus jeune fille trouve dans le jardin l'arme de l'intrus. Encore une fois, Anna exige de son mari qu'il riposte de manière musclée. Il convoque donc une réunion avec les principaux acteurs du secteur et les met en garde, même si tous jurent n'être pour rien dans ses ennuis.. A son tour, le responsable de ses chauffeurs demande à ce qu'il laisse ses employés d'armer, mais il refuse obstinèment.
Une fois remis, Julian retourne au boulot mais, sans le dire à Abel, il s'est procuré un pistolet et s'en sert quand, à nouveau, on tente de lui subtiliser son camion. La police intervient et Julian s'enfuit. Cet incident va avoir de lourdes conséquences pout Abel, dont le banquier ne veut plus lui accorder d'argent pour l'acquisition des réservoirs de Mendellsohn, puis quand le procureur Lawrence vient perquisitionner chez lui. Heureusement, Anna a eu le temps de cacher des cahiers comptables compromettants et la police repart bredouille.
Abel obtient de Mendellsohn un délai supplémentaire de trois jours pour le règlement convenu. Il hypothèque un immeuble avec l'accord de son jeune frère, co-propriétaire. Puis Il négocie un prêt auprès d'un concurrent, Saul Leftkowitz. Il réunit ainsi 700 000 $. Alors qu'il rentre à son bureau, Abel entend sur la radio de ses chauffeurs que l'un d'eux subit une attaque. Il se rend sur place et prend en chasse les voleurs. Il finit par en rattraper un (l'autre se tuant accidentellement) et apprend enfin qui commandite ces agressions. Devant le coupable, il lui arrache 200 000 $ de dédommagements.
Après une énième visite chez Peter Forente pour un ultime emprunt, Abel rentre chez lui où Anna lui avoue avoir détourné de l'argent depuis six ans pour un montant leur permettant de se passer de l'argent des autres. Abel décide, à contrecoeur, de se servir dans cette cagnotte et conclut le deal avec Mendellsohn.
Devant l'East River, Abel avec Anna et Walsh savoure son succès lorsque Julian resurgit en le menaçant avec son pistoler. Aux abois, il fait promettre à Abel de veiller sur sa famille avant de se suicider. Le procureur Lawrence, prévenu, observe la position d'influence acquise par Abel et lui suggère, contre l'abandon des poursuites contre lui, de financer sa réélection. Mais Abel, fidèle à lui-même, veut rester dans le droit chemin, sans rien devoir à personne.
Sans doute que sans avoir vu les premières images de Moon Knight, qui sera diffusé sur Disney + en 2022, je n'aurai pas vu A Most Violent Year et écrit cette critique aussi vite. Mais ça m'a motivé à enfin corriger cette lacune grâce à la présence de Oscar Isaac, un de mes acteurs favoris (qui incarnera donc le Chevalier de la Lune de Marvel).
Néanmoins, le troisième long métrage de J.C. Chandor était sur mes tablettes depuis un moment. Bien que je n'ai vu aucun autre de ses films, dont les multi-récompensés Margin Call et All is Lost, ni Triple Frontière (produit par Netflix), tout le bien que j'avais entendu au sujet de ce cinéaste ne demandait qu'à être vérifié.
Et sa réputation est mérité. A Most Violent Year ressemble à s'y méprendre à un film qu'on crorait fait à l'époque du Nouvel Hollywood, entre la fin des années 60 et le début des années 80 (lorsque les premiers blockbusters, comme Les Dents de la Mer ou Star Wars redéfinirent les priorités des studios). Cette histoire d'un entrepreneur à la réussite insolente qui doit soudain faire face à l'agression de ses chauffeurs de camions-citernes évoque en effet énormément ces longs métrages à forte connotation sociale des années 70, avec ses héros seuls contre tous, dans un cadre urbain, et un climat violent.
Abel Morales ressemble beaucoup à un personnage comme Sidney Lumet les appréciait, un type intègre, qui travaille selon les règles de son milieu professionnel, mais dont le succès finit par lui porter tort. Dans une des dernières scènes du film, lorsqu'il vient demander de l'argent à Peter Forente, il comprend ce qui lui vaut ses malheurs : son ambition suscite l'admiration de ce concurrent, proche de la mafia, mais aussi, à l'heure des difficultés, une faiblesse dont l'autre tire parti en lui imposant des conditions humiliantes.
A plusieurs reprises, dès le début du film, Chandor filme son héros en train de courir. Abel est un homme sportif, qui s'entretient et présente beau, toujours tiré à quatre épingles. Mais après quoi court-il vraiment ? Pourquoi veut-il tellement réussir ? Cela restera un mystère, comme lorsque son avocat le questionne à ce sujet. On devine, à travers ses origines latino-américaines, une envie de prendre sa revanche sur des origines sans doute modestes, une volonté de s'imposer. Mais pas à n'importe quel prix, sans tricher et sans violence.
Du coup, le spectateur partage avec force le sentiment d'injustice qui frappe Abel quand, en plus des agressions dont ses chauffeurs sont victimes, il est tracassé par un procureur aussi féroce et raffiné que lui, un homme afro-américain qui a l'image d'un incorruptible, mais dont on découvrira à la fin qu'il veut surtout assurer sa réélection. La femme d'Abel, Anna, est aussi un personnage qu'on apprécie en creux : il est suggéré à plusieurs reprises qu'elle appartient à une famille de gangsters, susceptibles de règler des problèmes rapidement et sans faire de quartiers. Elle-même n'hésite pas à abattre, de sang-froid, un daim qui a percuté leur voiture après un dîner avec des banquiers, ou à cacher des documents comptables embarrassants juste avant une perquisition.
Pourtant, Abel craquera en n'hésitant pas très longtemps à piocher dans une cagnottte d'argent détourné pour payer l'homme qui peut lui vendre des réservoirs stratégiquement placés. Et, juste après le suicide de Julian, devant ses yeux, à boucher avec son mouchoir un réservoir percé par la balle avec laquelle son chauffeur en cavale s'est fait exploser la tête. Il a beau jeu alors de répondre au procureur qu'il reste dans le droit chemin : il vient de traverser le Rubicon en sacrifiant son intégrité et son humanité.
Magnifiquement photographié par Alex Ebert, la mise en scène de Chandor tire pleinement parti du cadre urbain et du climat hivernal. Les mouvements d'appareil sont rares, mais le rythme est infaillible. Une ambiance crépusculaire imprègne toute cette histoire, on doute jusqu'au bout que le héros puisse s'en sortir.
Et puis Chandor peut s'appuyer sur un fabuleux casting. Albert Brooks et Alessandro Nivola sont remarquables dans des seconds rôles, aux côtés de l'impeccable David Oyelowo. Mais le film repose tout entier sur les épaules du couple Oscar Isaac-Jessica Chastain. Les deux acteurs se connaissent depuis longtemps, ils ont fait leurs classes ensemble dans le même conservatoire d'art dramatique, avec rien moins que Al Pacino comme mentor. On pense d'ailleurs beaucoup à ce dernier en voyant Isaac dans ce rôle qu'il aurait pu jouer il y a quarante ans.
Jessica Chastain aurait mérité plus de temps à l'écran et donc plus de scènes à défendre, mais à chaque fois qu'elle est à l'image, elle est magnétique, incroyablement sexy et dure (et blonde !). Oscar Isaac est en première ligne, de toutes les scènes, et il est impressionnant, prenant tous les coups avec dignité, tout en colère retenue. On n'oubliera pas de sitôt sa silhouette avec son manteau jaune.
A Most Violent Year ne s'adresse pas seulement à des cinéphiles amateurs du Nouvel Hollywood : il n'est jamais écrasé par ses influences, c'est un beau film, intense, noir, admirablement écrit et réalisé, avec deux acteurs prodigieux.
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