La relation qu'entretiennent les français, auteurs comme lecteurs, avec le genre super-héroïque est complexe et se traduit volontiers par du dédain, parfois du respect, voire une forme d'intégrisme (dans le cas des fans souffrant d'une forme de délire de persécution et croyant qu'en riant des comics, on se moque d'eux). Il faudrait pourtant, quel que soit le parti qu'on prend, adopter un peu de recul et considérer tout ça d'abord comme une forme de divertissement à respecter sans être sentencieux, à apprécier sans oublier de faire preuve de (auto) dérision.
L'essentiel n'est-il pas, auteur comme lecteur, de communiquer son plaisir de lire ces histoires pour calmer les méprisants et gagner de nouveaux adeptes ? C'est, me semble-t-il, le coeur de la démarche d'Olivier Texier et Yoann avec leur one-shot, Les Captainz.
Captain Mystérieux affronte un monstre particulièrement repoussant dans les rues d'une grande ville. Mais, malgré ses pouvoirs et les encouragements des civils, il échoue à le vaincre et à empêcher de gros dégâts matériels.
Témoin de la scène, Captain Wawa intervient et met rapidement fin au combat en téléportant les deux adversaires dans son laboratoire secret où il neutralise le monstre en lui inoculant un virus. Il explique ensuite à Mystérieux pourquoi de plus en plus fréquemment de pareilles abominations surgissent sur Terre.
Lui-même vient d'une Terre parallèle et a atterri sur notre planète suite à une téléportation ratée. Si des monstres ont suivi le même accident de parcours, c'est qu'il existe une créature qui perturbe l'imperméabilité dimensionnelle, une anomalie vivante revenue des morts !
Mystérieux accepte d'aider Wawa à former une équipe pour résoudre ce problème : ils recrutent d'abord Captain Déprime, une jeune femme capable de susciter des envies de suicide chez quiconque la contrarie ; puis Captain Bisou, un ancien playboy mondain victime du sort jeté par une de ses conquêtes jalouse qui cause sa transformation en colosse rouge et colérique dès qu'on l'embrasse ; et enfin Captain Mégahertz, un scientifique complexé capable de se déplacer à travers les ondes.
Un de leurs concurrents dans la chasse aux monstres, Captain Dollar, possède un détecteur qu'ils réussissent à pirater grâce à Mégahertz. Il surgit alors dans la demeure de la Créature qui le capture. Le reste de l'équipe, alarmé par Wawa, va le secourir mais comprend qu'ils ont été dupés : leur ennemi n'est pas celui qu'ils croient et, en vérité, ils doivent désormais empêcher une invasion inter-dimensionnelle...
L'origine du projet remonte à 2008 lorsque Yoann et Texier boivent un verre à la terrasse d'un café en s'amusant à imaginer quel pouvoir pourrait avoir chacun des passants dans la rue. Bien entendu, ils inventent les capacités extraordinaires les plus farfelus et baptisent leurs "victimes" de surnoms aussi ridicules (Captain Chapeau, etc.).
Texier commence à développer un scénario à partir de ce passe-temps puéril et se prend au jeu tant et si bien que Yoann dessine quelques designs de personnages. Puis, à partir d'un début de script, enchaîne avec les premières planches. Mais bientôt, accaparé par la reprise de Spirou et Fantasio, écrite par Fabien Vehlmann (avec qui il a convaincu Dupuis suite à leur Spirou vu par... : Les Géants pétrifiés), l'artiste remise ses super-héros.
Puis récemment, une fois le tome 55 de Spirou et Fantasio (La Colère du Marsupilami) achevé, Yoann et Vehlmann décident que leur prochain album sera un opus spécial, rassemblant plusieurs histoires courtes conçues pour "Le Journal de Spirou" (sous le titre Les Folles aventures de Spirou, sorti en Octobre). Profitant de ce répit, le dessinateur souhaite achever Les Captainz et corrige avec Texier le scénario pour en faire un récit complet (mais dont la fin reste ouverte - sait-on jamais, si l'envie d'une suite se manifestait ?).
Le résultat, après une pré-publication dans "Le Journal de Spirou" assez chaotique (due, je le suppose, à la parution des planches déjà terminées en attendant celles ajoutées dernièrement), est désormais disponible en librairie et forme une lecture réjouissante.
Si on juge Les Captainz sur le fond, c'est une histoire très satisfaisante, avec une intrigue simple mais rythmée et un twist final vraiment inattendu et bien mené. L'humour n'est pas sophistiqué ni particulièrement subtil mais fournit l'occasion de bien rigoler en s'appuyant effectivement sur des pouvoirs absurdes aux origines gratinées (Mystérieux a été percuté en mobylette par une soucoupe volante et subi des expériences de la part d'extra-terrestres, Bisou est victime d'un malédiction mêlant joyeusement le vaudou dans le cadre d'une romance au Tibet, Wawa est un authentique chien qui parle dans une armure provenant d'une planète entièrement peuplée de canidés...). On ne s'ennuie pas.
Et Yoann ne s'est pas économisé pour donner vie à cette galerie de personnages décalés à souhait. Bien que réalisé entre deux projets, il n'a pas bâclé son ouvrage et produit des planches débordant d'énergie (les scènes d'action sont particulièrement dynamiques), et les designs sont soignées. Il s'est visiblement amusé à détourner les codes sans les tourner en ridicule, en vrai amoureux du genre, et le lecteur, même peu au fait des super-héros, assimilera facilement Captain Bisou à Hulk par exemple, ou saura sans problème pourquoi la Créature existe depuis le XIXème siècle (en devinant de quel célèbre roman de l'époque elle est issue). Par ailleurs, les relations et motivations des uns et des autres sont astucieuses, très vives, traduites avec beaucoup d'expressivité. Les plus attentifs remarqueront même, dans les décors, des allusions savoureuses (quelques indices : le hammam ravagé au début, le night club gothique à la fin...).
On en reprendrait volontiers, alors, pour paraphraser le cri de guerre bien connu d'une autre fameuse équipe : "Captainz ! Rassemblement !"
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