mercredi 8 novembre 2017

CH-CH-CHANGES

Si vous êtes fan de comics et que vous suivez leur actualité, alors, hier, vous n'avez pu échapper à deux annonces importantes. Même si je ne commente habituellement pas les news dans ce blog (sauf en en glissant un mot dans une critique pour contextualiser), il me semblait inconcevable de ne pas revenir sur ce qui s'est passé ce Mardi 7 Novembre car cela a touché le lecteur que je suis.

Commençons d'abord par le plus gros "dossier"...

 Brian Michael Bendis

Tous ceux qui lisent mes critiques savent que je suis un fan de Brian Michael Bendis. Je l'assume, sans pour autant affirmer que j'adore inconditionnellement tout ce qu'il produit (pour cela il faudrait que je lise tout ce qu'il écrit). Cette attitude m'a valu bien des déconvenues sur des forums où les détracteurs du scénariste sont plus nombreux et/ou plus bruyants que ses supporters. Mais ce n'est pas le sujet (ou du moins pas dans l'immédiat...).

Bendis a été découvert pour ses comics indépendants (chez Caliber puis Image) avant d'être recruté en 2000 par Marvel Comics. Il devient un des "architectes" de la collection "Ultimate" (avec son confrère et ami Mark Millar - dont je parle ensuite) en proposant une version plus accessible (car ne dépendant plus de la continuité de l'univers classique de l'éditeur) du web-crawler avec Ultimate Spider-Man qu'il anime encore aujourd'hui, 17 ans après - au passage, il pulvérise le record d'épisodes consécutifs sur un titre avec son premier dessinateur Mark Bagley en enchaînant plus de 100 issues !

Ce coup d'éclat va projeter Bendis sous les feux de la rampe : l'éditeur lui confie la série Avengers en perte de vitesse et le graphomane enterre le titre pour mieux le relancer sous le titre New Avengers de 2004 à 2012 (en deux volumes). Le succès sera considérable, avec la contribution de dessinateurs différents à pratiquement chaque nouvel arc narratif (David Finch, Steve McNiven, Frank Cho, Leinil Yu, Mike Deodato, Stuart Immonen...), mais aussi des polémiques (parfois grotesques - on reproche à Bendis de sacrifier des personnages qu'il n'apprécierait pas, de changer trop souvent la composition de l'équipe, d'introduire des héros incongrus comme Wolverine ou Spider-Man, etc. ; parfois très subjectives mais dérisoires - son goût pour les dialogues "bavards", l'évolution de certains characters, ses dénouements décevants, etc.). Surtout ses New Avengers vont cristalliser une critique récurrente : Bendis ne saurait pas écrire de team-books.

En revanche, les mêmes qui pestent sur ce dernier point sont plus indulgents quand le scénariste rédige les aventures de héros solos et évoluant dans la rue (les street-level heroes) : sa création Alias (avec Michael Gaydos, imaginée au départ comme une reprise de Spider-Woman et qui va immortaliser Jessica Jones) ou sa reprise de Daredevil (avec Alex Maleev), toutes deux en 2001 (et pendant 5 ans sur la seconde série tandis que la première se poursuit toujours avec lui et Gaydos) sont saluées par la critique et, généralement, plus appréciées par les forumeurs virulents.

Depuis 17 ans aussi, Marvel s'est appuyé ponctuellement sur des events, ces sagas globales impactant plusieurs séries au sein d'une histoire réunissant ses héros emblématiques (devenant ainsi aussi des crossovers). Une manière de relancer la machine fréquemment, d'impulser de nouveaux mouvements, de tuer et/ou ressusciter des personnages phares, d'établir de nouveaux statu quo. Bendis aura été l'auteur de plusieurs de ces blockbusters éditoriaux, avec un bonheur variable : pour le meilleur (selon moi) House of M (2005), Civil War II (2016), et puis moins inspiré sur Secret Invasion (2008), Siege (2010) ou parasité par le staff éditorial, des plannings mal foutus ou des rédactions collectives sur Avengers vs. X-Men (avec Jason Aaron, Ed Brubaker et Matt Fraction - 2012), Age of Ultron (2013).

Récemment, après un run sur Guardians of the Galaxy (volume 2 et 3, de 2013 à 2017) qui aura contribué à une nouvelle notoriété de cette équipe (quoi qu'en disent les admirateurs d'Andy Lanning et Dan Abnett, ses prédécesseurs, à leur époque le titre ne se vendait pas assez pour provoquer son adaptation au cinéma), il héritait d'Invincible Iron Man (et de ses spin-off successifs International/Infamous Iron Man) et aussi, et surtout, des Defenders (un projet caressé depuis son départ des New Avengers). Une rumeur persistante, sur la foi d'indices troublants, disait qu'il serait celui qui ramènerait les Fantastic Four dans les bacs...

Et je passe sur ses projets en creator-owned, souvent en compagnie de Michael Avon Oeming, comme leur plus fameux titre (bien que sa production ait été chaotique) Powers, puis Scarlet (avec Maleev), Brilliant (avec Bagley)...

Et puis, hier donc, voilà ce qu'on apprit :

 Le communiqué officiel de DC Comics

Par un communiqué officiel, DC Comics annonçait le recrutement de Bendis avec un contrat exclusif de plusieurs années et à plusieurs volets ! Le scénariste confirmait la nouvelle sur son compte Twitter pour que personne ne croit à une sorte de poisson d'Avril en retard.

Passé le moment de sidération, car personne ne l'avait vu venir, les questions ont commencé à surgir aussi bien dans la tête des lecteurs (fans ou pas) comme des commentateurs sur les sites spécialisés et forums.

- Pourquoi ? Bendis explique sobrement que "changer est bien, stimulant" et qu'il grouille de nouvelles idées, de nombreux projets pour sa nouvelle maison d'éditions. Mais ça ne nous éclaire pas sur les raisons de son départ alors qu'il occupait une place confortable chez Marvel, à la fois comme auteur mais aussi comme consultant sur les événements éditoriaux et les adaptations cinéma des comics. Il était en bons termes avec Joe Quesada (, le Chief Creative Officer de Marvel, responsable de son embauche il y a 17 ans) et collaborait avec les artistes les plus côtés depuis toujours, dessinateurs confirmés comme futures vedettes. Il venait de lancer Defenders, série dont il rêvait depuis 5 ans et pour laquelle il avait des plans à long terme.
Il a donc fort à parier qu'il s'est à la fois passé quelque chose qu'il n'a pas apprécié chez Marvel (des déclarations sur la diversité ethnique des héros qui les rendrait moins vendeurs alors que lui a mis en avant des afro-américains comme Luke Cage ou Miles Morales dans ses ses séries favorites ? Une lassitude devant le refus d'Ike Perlmuter de redonner aux Fantastic Four un mensuel parce que la Fox ne veut pas restituer les droits cinéma de ces personnages alors qu'on lui prêtait l'intention de les écrire ?).

ET en même temps que DC Comics lui a offert des titres forts pour l'attirer (qui plus est au moment où l'éditeur affiche d'excellents résultats - en Octobre dernier, le top 10 des ventes de mensuels ne comptait qu'un titre Marvel mais il s'agissait d'un comic-book Star Wars, signe que la relance espérée suite au one-shot Marvel Legacy et à la renumérotation d'origine des séries n'a pas eu l'effet escompté sur les lecteurs).

- Pour y faire quoi ? Comme je le dis plus haut, lorsqu'un éditeur débauche un auteur comme Bendis - en mettant de côté le talent qu'on lui accorde ou pas, c'est un transfert comparable à celui d'un footballeur de classe mondiale d'un grand club à son concurrent direct en championnat - , ce n'est pas pour lui confier les clés de séries de seconde zone. DC Comics a plusieurs plumes remarquables actuellement, sur des titres exposées et qui vendent beaucoup : Scott Snyder (certainement l'auteur emblématique de la firme actuellement), Tom King, James Tynion IV, James Robinson, Peter J. Tomasi, Rob Williams, Steve Orlando... Cherchez le grand absent dans cette liste non exhaustive.

Geoff Johns ! Bien qu'il prépare une mini-série événement (Doomsday Clock, qui va officialiser la création de l'univers DC actuel par le Dr. Manhattan des Watchmen, et l'inclusion des héros inventés par Alan Moore dans la continuité classique), l'auteur qui a présidé aux destinées de Green Lantern, puis de la Justice League (durant les "New 52"), avec le succès que l'on sait, est désormais plus discret car il a été promu comme President and Chief Creative Officer de DC, une fonction qui l'accapare.  

Il y a quelques années, dans une interview, Bendis avouait que s'il devait un jour travailler chez DC, il aimerait animer le personnage de Zatanna. C'est peut-être ce qu'il aura désormais l'occasion de faire, dans une série dédiée à la magicienne.

Bendis a bâti sa notoriété sur des team-books (même si le traitement qu'il leur a prescrit n'a pas convenu à tout le monde). DC pourrait lui confier Justice League, vaisseau amiral de l'éditeur de Burbank, juste après la sortie du film. Mais je rêverai de le voir hériter de Justice Society of America, qui va bien finir par resurgir - après son absence durant les "New 52".

Pour ma part, je pense aussi à deux autres pistes : la première conduit à un héros urbain, comme les affectionne Bendis (Green Arrow ? Catwoman ?), ou un groupe de street-level heroes (pour rester dans le mouvement des Defenders).

la seconde aboutirait à un personnage que DC va certainement vouloir ré-exploiter puisqu'un film à son sujet est en pré-production, à savoir Shazam, Bendis ayant toujours apprécié les jeunes héros (cf. Miles Morales) , Billy Batson et son alter ego semblent tout indiqués pour lui.

Et, peut-être, comme le contrat indique plusieurs volets, Bendis va-t-il imaginer un titre (au moins) en creator-owned pour le label Vertigo (en manque de titres phares depuis l'arrêt de Fables et avec la publication erratique de Astro City)...

Par contre, je ne crois guère (pas du tout même) que DC va déloger Tom King de Batman, James Tynion IV de Detective Comics, Peter J. Tomasi de Superman, ni que Scott Snyder va être mis sur la touche (il communique actuellement pour demander directement aux fans sur quel projet ils aimeraient le voir travailler avec Greg Capullo après la saga Metal). 

Quoi qu'il en soit, et ça, c'est certain, sans Bendis, un trou considérable vient de se creuser chez Marvel (même si Quesada s'est empressé de déclarer qu'en 2018 Marvel réservait plein de surprises à ses lecteurs suite à l'annonce du départ du scénariste) - pas seulement parce qu'il part après 17 ans de bons et loyaux services, avec une influence considérable (même si ses séries se vendaient un peu moins bien, précision relative dans un marché en crise), mais parce qu'il était tout simplement très prolifique et apprécié (aucun artiste ne s'est jamais plaint de lui, et il a même brillé par des collaborations très durables avec Bagley, Maleev, Deodato, Immonen, Oeming, Gaydos...). A l'heure où Marvel compte peu de scénaristes vedettes, mise sur des auteurs inégaux, recrute timidement et peine donc face à DC dont le "Rebirth" a marqué les esprits, le transfert de Bendis résonne comme un coup de tonnerre dans l'industrie, au moins autant que lorsque Kirby avait fait le même voyage au début des 70's ou quand Image Comics a été monté.

*

La seconde annonce d'hier est moins spectaculaire mais ne manque pas d'éclat ni d'intérêt.

Netflix et le "Millarworld"

En Août dernier, Netflix, la plateforme de production et diffusion en continu sur Internet, a acheté "Millarworld", le label créé par le scénariste Mark Millar en 2013. Ainsi les comics de ce dernier allaient être désormais publiés mais aussi adaptés (en séries ou longs métrages ou dessins animés) par le géant médiatique : un catalogue certes modeste par rapport à ceux de Marvel, DC, Image et autres éditeurs, mais un fameux deal pour un auteur qui n'a jamais caché écrire en pensant à des transpositions cinéma et un producteur-diffuseur qui dispose ainsi de produits originaux.

 Mark Millar

Depuis d'ailleurs Disney (à qui appartiennent Marvel, Pixar et Lucasfilms), a annoncer son intention de créer sa propre plateforme pour y produire et diffuser ses histoires (tirées des comics). Si cela ne devrait pas aboutir à la récupération des séries Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage, Iron Fist, Punisher et Defenders, programmées et co-financées par Netflix, puisque Marvel continue de placer d'autres feuilletons sur d'autres Networks, Netflix ne dépendra plus de Marvel pour proposer des séries super-héroïques avec toutes celles déjà éditées par "Millarworld".

Bien entendu, tous les lecteurs, occasionnels ou fidèles, de Mark Millar se sont depuis demandés laquelle de ses créations serait la première adaptée par Netflix, et sous quel format (film, série). Le scénariste avait promis des annonces et, comme on pouvait s'y attendre de la part du trublion écossais, il a surpris... 

 Olivier Coipel

Depuis une bonne dizaine d'années maintenant, Millar voulait travailler avec Olivier Coipel tout en déplorant que l'artiste français lui fasse régulièrement faux bond, accaparé par les commandes de Marvel (qui a fini par l'user en le plaçant sur des events... Quand le dessinateur ne se distinguait pas par un manque évident de discipline en ne parvenant plus à enchaîner les épisodes - la récente mini-série The Unworthy Thor, dont j'ai parlée, le prouve). 

Mais personne, semble-t-il, ne résiste à Millar qui affiche un tableau de chasse impressionnant (John Romita Jr., J.G. Jones, Stuart Immonen, Leinil Yu, Duncan Fegredo, Dave Gibbons, Goran Parlov, Frank Quitely, Greg Capullo...). Et il a fini par y épingler Coipel !

La première production "Millarworld"-Netflix sera donc une mini-série en six épisodes intitulée The Magic Order, dont la publication débutera au Printemps 2018. Pour Coipel, c'est une opportunité idéale pour rebondir, prouver qu'il en a encore sous le capot, expérimenter autre chose que du super-héros, et sans la contrainte de deadlines (Quitely a pris le temps qu'il fallait pour livrer les dix épisodes de Jupiter's Legacy volumes 1 et 2). S'engager avec Millar est de toute façon une affaire en or pour un artiste car il établit des contrats parfaitement équitables (la moitié de tout ce qui provient de l'oeuvre originale revient à son partenaire, depuis les bénéfices des comics jusqu'aux produits dérivés et droits d'auteurs, d'adaptation, etc. Avec un salaire garanti pour commencer puisque le creator-owned traditionnel implique normalement de commencer une BD sans être payé : là, c'est Millar - et désormais Netflix - qui avance ses fonds propres pour payer ses collaborateurs).

The Magic Order parlera d'un groupe de magiciens très puissants qui, depuis la nuit des temps, influence le cours du monde et vivent désormais parmi les humains en occupant des postes d'affairistes dans divers domaines. Millar cite Les Soprano comme sa référence. 

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