Nouvelle lecture issue du "Millarworld" avec ce Huck dont le nom renvoie aussi bien à Huckleberry Finn (de Mark Twain) qu'à Hulk (de Stan Lee et Jack Kirby) mais qui a été en vérité à Mark Millar par le film Man of steel (Zack Snyder) - ou, plutôt, en réaction à cette adaptation de Superman, trop sombre et violente à son goût. Mais la référence principale, initiale, fondamentale est à chercher ailleurs encore...
Dans un patelin de l'Amérique profonde vit Huck : abandonné après sa naissance et recueilli par Mrs Taylor qui trouva sur le bébé ce simple mot "Please love him" ("s'il vous plait, aimez-le"), il a développé en grandissant des capacités physiques extraordinaires - force, vitesse, agilité, endurance. Mais il a surtout fait le serment de s'en servir pour faire le bien autour de lui sans rien attendre en retour que la discrétion à son sujet. Tout cela va voler en éclats quand Diane Davis, dont il a retrouvé un bracelet perdu dans une rivière, et mise au courant des dispositions de Huck informe les médias pour célébrer, comme elle le croit juste, ce héros.
Huck se cloître chez Mrs Taylor et Zoe (secrètement éprise de lui), qui reprochent à Diane son inconséquence. Mais quand le jeune homme (34 ans) voit à la télé une jeune femme en détresse parmi la foule à l'extérieur, il ne peut se résoudre à la laisser ainsi et sort affronter les journalistes. Assailli par des anonymes, il accepte, en prenant des notes, de retrouver leurs proches disparus comme il est si doué pour cela. Rapidement, ses actes de bravoure désintéressés attirent l'attention à travers le monde jusqu'en Sibérie où le reconnaît un certain professeur Orlov...
L'efficacité mais aussi la naïveté de Huck lui valent d'être abordées par l'équipe du gouverneur Larry Mitchell qui brigue un nouveau mandat et qui compte exploiter le jeune samaritain, qui se doute pas que toute l'équipe de campagne se moque de con caractère simplet. Participant à une réception où on l'expose tel un phénomène de foire, il s'éclipse mal à l'aise en laissant les clés de sa chambre d'hôtel à deux SDF puis rentre chez lui en grimpant sur le toit d'un train. C'est là qu'il est abordé par un homme aussi doué que lui et qui affirme être son frère, Tom !
De retour chez lui, auprès de Mrs. Taylor et Zoe, Huck apprend par Tom ses origines : en 1981, en Sibérie, leur mère servait aux expériences secrètes du gouvernement car elle était douée de pouvoirs psychiques. Un médecin tomba amoureux d'elle et elle s'en servit pour fuir jusqu'en Amérique où elle donna naissance à ses deux fils qu'elle confia à de bonnes âmes pour que personne ne les retrouve. Tom convainc alors Huck de le conduire jusqu'à elle mais une fois sur place Anna Kozar révèle qu'elle n'a eu qu'un seul enfant et Tom avoue qu'il est aux services du Pr. Orlov.
Huck et sa mère son exfiltrés et enfermés dans une base secrète en Sibérie, dans une cellule assez résistante pour contenir le jeune homme. Le plan d'Orlov est de se servir de lui pour engendrer de futurs enfants qui, ayant hérité de ses gènes, deviendront des super-soldats, tandis que Anna est promise à une exécution rapide. Mais Huck trouve un moyen ingénieux de s'échapper avec sa mère...
Orlov est évacué tandis que Tom et un autre de ses agents (tous deux des androïdes en fait) tentent de stopper Huck et sa mère. Mais le jeune homme en vient à bout et arrête ensuite le professeur que Anna contraint à donner toutes les données à leur sujet puis efface de son cerveau toutes ses connaissances scientifiques. Estimant que les Russes nieront ces événements, elle et son fils rentrent aux Etats-Unis pour y reprendre une existence paisible mais ensemble cette fois.
Réalisée en 2015 et publiée chez Image Comics, cette fable s'identifie rapidement pour ce qu'elle est et par rapport au héros dont elle s'inspire réellement : Mark Millar l'a lui-même précisé en interview quand on lui suggérait que Huck évoquait Superman et qu'il corrigeait son interlocuteur en préférant citer Captain America (son Superman ayant davantage été réinterprété dans Superior).
Lorsqu'on comprend en effet, lors du récit de ses origines par Tom, que Huck a été enfanté par une femme doté de pouvoirs psychiques et ayant subi des expériences, puis, après, que le Pr. Orlov veut en faire le père de super-soldats, le mot est lâché, c'est bien à Steve Rogers qu'il fait le plus penser. Y compris physiquement avec sa carrure athlétique, ses cheveux blonds et ses yeux bleus, silhouette saisie dans une Amérique de carte postale.
Le scénariste a indiqué au dessinateur brésilien Rafael Alquerque (qu'il a réussi à chiper à Scott Snyder pour lequel il dessine la série American Vampire) que la première image qui lui était venu pour visualiser Huck était celle d'une peinture de Norman Rockwell. Esthétiquement, l'artiste s'est attaché naturellement à suivre cette piste graphique sans chercher pourtant à imiter le célèbre portraitiste de l'Amérique des années 1920 à 40. Il parvient avec brio et dynamisme à animer ces six épisodes avec la contribution essentielle du coloriste Dave McCaig, dont la palette joue sur des contrastes très expressifs - des teintes solaires pour Huck et l'Amérique, puis des tons bleus plus froids avec Orlov et la Sibérie.
L'histoire et le dessin se marient superbement pour décrire les exploits physiques du héros, dès les premières pages où on le voit sauter de toits de voitures en marche avec vélocité et souplesse dans la nuit et jusqu'à l'aube. Dans son bleu de travail, sur lequel il enfile parfois son blouson de cuir avec des ailes imprimées dans le dos, ce gentil colosse, plus juste qu'intelligent, exige du lecteur d'abandonner tout cynisme pour l'apprécier. C'est un personnage casse-gueule car le risque est d'en faire justement une sorte d'attardé mental suscitant plus la pitié ou la moquerie que l'empathie, mais Millar lui-même l'écrit au premier degré, sans "as dans sa manche", sans surprise finale (où on découvrirait par exemple que Huck joue le ravi de la crèche pour tromper son monde). Non, c'est un authentique candide, un vrai juste.
Albuquerque le représente avec une économie de traits payante, négligeant volontairement dans certaines scènes émouvantes les arrières-plans pour se concentrer justement sur ce qui se joue à ce moment-là. Charge à McCaig de remplir les fonds par des camaïeux traduisant l'ambiance en respectant cette épure décorative... Ce qui n'empêche pas ailleurs le dessinateur de gratifier le lecteur de plans très fouillés (comme cette double planche exposant la sinistre forteresse où Orlov mène ses expériences et détient Huck et sa mère).
Pourtant, au coeur de cette fable, où l'héroïsme gratuit est exalté, se nichent deux astuces réjouissantes et piquantes qui relèvent le programme : le sous-titre de l'histoire, All-American, trompe malicieusement le lecteur puisqu'en vérité notre bon samaritain si folklorique est en donc en vérité un russe ; et Millar, comme il l'a avoué, s'est fait surprendre par son propre récit qu'il comptait conclure autrement, de manière plus brutale... Avant d'admettre que cela ne correspondait pas à la philosophie de l'intrigue ni de son héros et qu'une autre solution s'imposait.
Parfois donc, sans que nul ne s'y attende, lecteur comme auteur, ce sont les créatures qui détournent leurs aventures pour les rappeler à leur logique.
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