GREEN MANOR : FANTAISIES MEURTRIERES est le troisième tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Denis Bodart, publié en 2005 par Dupuis.
*
(Extrait de La Petite Musique du Crime.
Textes de Fabien Vehlmann, dessins de Denis Bodart.)
Cet album compte cinq histoires de sept pages chacune :
- 1/ Fin de Partie. Juin 1871. Le notaire de Lord Wyatt, traumatisé depuis une mystérieuse chute lors d'une promenade en solitaire, soumet aux membres du club une énigme sans réponse. Celui qui réussira néanmoins à la résoudre héritera de toute la fortune du lord.
- 2/ La Petite Musique du Crime. 1867. Un gnome a priori inoffensif prétend être l'ange de la mort comme il le confie à un serviteur du club, en tuant au hasard et pour le plaisir en n'ayant jamais été pris. A moins qu'il n'élimine que ceux qui n'ont pas de chance pour opérer une sélection naturelle inspiré des théories de Darwyn.
- 3/ Dans la Tête de William Blake. Août 1827. Ayant appris le décès du poète William Blake, qu'il admirait, Lord Daniel Ballantyne aimerait pouvoir disséquer son cerveau en espérant y découvrir la source de son génie. Cette lubie agace Lord Buckner qui, pour donner une leçon au jeune médecin, concocte un canular qui va se retourner contre lui.
- 4/ Duel au Sommet. Mai 1859. Lord Bennett et Lord Turner sont deux chasseurs blasés, convaincus qu'aucun prédateur ne surpasse l'homme. Cette certitude leur inspire l'idée de se chasser l'un l'autre dans Londres pour savoir lequel est le meilleur.
- 5/ Le Testament. 1872. Le dernier membre de la famille Sanders raconte à des membres du club comment le testament de son grand-père a rendu fou et détruit toute sa famille.
Pour ce dernier tome (en date), Fabien Vehlmann fait rendre l'âme à Thomas Bellow, l'ancien serviteur du Green Manor's Club, qui prétendait en être l'âme incarnée, puis avait interné à l'asile de Bethlehem après une crise de démence. Il laisse derrière lui un cahier gribouillé d'écritures que le docteur Thorne s'emploie à déchiffrer, y découvrant de nouveaux récits.
Le procédé est malin parce qu'il donne une dimension littéralement légendaire au club et aux turpitudes de ses membres. Pour le scénariste, c'est aussi l'occasion d'effectuer une synthèse entre des histoires criminelles classiques avec des éléments empruntés au registre fantastique - en premier lieu parce que le lecteur se demande toujours si les "Mémoires" de Thomas Bellow sont véridiques ou pure invention.
L'imagination de Vehlmann pour bâtir des intrigues miniatures, aussi denses que drôles et énigmatiques, est fascinante et son aisance pour les écrire bluffante : il maîtrise si bien le format qu'on lit ses "historiettes criminelles" de manière quasi-hypnotique. Il y a là une forme d'énergie qui doit évidemment beaucoup à la concision de l'exercice mais aussi à la capacité de l'auteur à accrocher l'attention, à tenir en haleine et à boucler chaque chapitre avec un art consommé de la chute.
La caractérisation est soignée, les ambiances intenses, et, heureusement, subsiste un zeste d'humour bienvenu, quand bien même s'agit-il d'un humour noir. Mais quel plaisir ! La compagnie de ces monstres est un tel régal qu'on ne peut que déplorer en lire depuis si rarement : en effet, depuis 2005, date de parution de cet album, seuls deux nouveaux chapitres ont été produits. Vehlmann est certes bien occupé par ailleurs, entre l'écriture de la série Spirou et Fantasio (dessinée par Yoann) et de sa création Seuls (dessinée par Bruno Gazzotti), mais il ne semble pas responsable du quasi-abandon de Green Manor.
En effet, Denis Bodart, selon l'accord qui le lie à son partenaire depuis le lancement du titre, a le dernier mot sur les histoires qu'il mène à leur terme. Artiste prodigieux, encore une fois fournisseur de planches magistrales, il est à la fois exigeant et, apparemment, sujet à des doutes récurrents sur son talent.
Son perfectionnisme est évident à nouveau dans ces cinq nouvelles : on ne peut que répéter les qualités qu'il ajoute aux scripts de Vehlmann - représentations parfaites des protagonistes aux physionomies variées et irremplaçables, minutie des décors, découpage admirablement dosé (le sommet étant peut-être atteint dans Duel au sommet, avec la cascade de pièges que se tendent Turner et Bennett).
La colorisation est désormais partagée entre la fidèle Scarlett, Etienne Simon et Bodart lui-même, avec une fortune égale.
Dans l'Intégrale, le cahier graphique disponible en supplément permet de découvrir l'épisode La Petite musique du crime (une des perles de ce troisième tome) intégralement crayonné, ce qui permet de constater à quel point l'encrage est fidèle. Mais, juste avant ces pages, on peut aussi voir le dessin de "l'ange de la mort" conversant avec le serviteur du club et s'apercevoir qu'ils ne ressemblaient pas du tout à ce qu'on trouve dans le chapitre finalisé. Tout Bodart est résumé dans ces différences de versions graphiques, qui expliquent aussi pourquoi il ne dessine pratiquement plus d'art séquentiel, obsédé par une exactitude absolue avec ce qu'il estime être la représentation des images que lui inspire le script. (Ainsi, sur le blog tenu par Tony Larrivière, on peut trouver une image d'une short-story intitulée Meteor Man, écrite par Vehlmann, ou une page inachevée d'un projet rédigé par Kid Toussaint, qui n'ont toujours pas été terminées et publiées...)
La perspective d'un quatrième tome de Green Manor semble donc au mieux lointaine, plus vraisemblablement compromise et même guère crédible. Les fans de cette série fabuleuse, et de son dessinateur en particulier, guetteront leur retour dans les pages de "Spirou"...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire