jeudi 12 novembre 2015

Critique 748 : BLUEBERRY, CYCLE 8 : LA REHABILITATION DE BLUEBERRY - TOMES 21 & 22 : LA DERNIERE CARTE & LE BOUT DE LA PISTE, de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud


BLUEBERRY : LA DERNIERE CARTE est le vingt-et-unième tome de la série et le premier volet du Cycle de La Réhabilitation de Blueberry, écrit par Jean-Michel Charlier et dessiné par Jean Giraud, publié en 1983 par Dargaud.
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Blueberry, Jimmy McClure et Red Neck sont de retour à Chihuahua dans l'espoir d'y retrouver Vigo. Mais ils ignorent que celui-ci est devenu le gouverneur de l'Etat et que, grâce à ses espions, il est averti aussitôt de l'arrivée des trois américains. Il les fait arrêter, jeter en prison et condamner à mort.
Mais, quelques secondes avant d'être fusillés, Blueberry et ses amis sont sauvés grâce à l'intervention du général Portillo, lui-même sous les ordres du général Porfirio Diaz qui vient de succéder à Benito Juarez à la tête du Mexique.
Vigo est jeté dans la cellule où croupissaient ses ennemis et condamné à mort, mais il obtient de parler une dernière fois en privé avec Blueberry. A ce dernier, il offre de l'aider à le faire innocenter en Amérique au sujet du vol du trésor des confédérés si le yankee le fait évader.
Blueberry s'allie au marquis Albert de Listrac alias "El Tigre", un ancien allié de Vigo, qui convoîte son magot, pour monter cette opération. L'évasion réussit mais les américains et Vigo, blessé par un jeune mexicain qui voulait se venger, faussent compagnie au français et son gang.
L'ex-commandante succombe à une fièvre maligne après avoir livré la cachette de son pécule et les documents innocentant Blueberry qui tuera "El Tigre". Les trois fugitifs n'ont plus qu'à retraverser la frontière. 
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BLUEBERRY : LE BOUT DE LA PISTE est le vingt-deuxième tome de la série et le second du Cycle de La Réhabilitation de Blueberry, écrit par Jean-Michel Charlier et dessiné par Jean Giraud, publié en 1986 par Dargaud.
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Blueberry contacte le général Dodge, qu'il sauva durant la guerre de sécession, et lui présente les preuves de son innocence dans l'affaire du vol du trésor des confédérés. En échange, l'officier promet de l'aider à obtenir la clémence du président Grant.
Mais pour cela, Blueberry doit démasquer et neutraliser les comploteurs qui avaient tenté de le faire assassiner à Durango. Il attire le commandant Kelly, directeur du bagne de Francisville, dans un piège, et apprend qu'un nouvel attentat se prépare contre Grant, dont l'ex-lieutenant serait à nouveau accusé.
Kelly est abattu par un des comploteurs, ce qui force Blueberry à se jeter dans la gueule du loup, le Ranch Delta, près de Cheyenne, où une réunion des terroristes a lieu. Bien que couvert par Jimmy McClure et Red Neck, Blueberry est pris par "Angel Face", ivre de vengeance, et découvre que c'est le général "Tête Jaune" Allister, auquel il a déjà été confronté jadis, qui est à la tête de ces opérations. Le haut gradé est bavard et dévoile largement son plan pour tuer Grant.
Grâce à ses acolytes, Blueberry tue "Angel Face" et ses hommes puis part empêcher l'attentat qui vise le train du président lorsqu'il passera dans le tunnel montagneux de Rock Pass, avant la crête des Wyoming Ranges.
Grant voit celui qu'il considère comme son meurtrier faire irruption dans son wagon et, après avoir écouté ses explications et examiné les documents laissés par Allister au Ranch Delta, lui accorde sa confiance, évitant une mort certaine.
"Tête Jaune", mis en échec, tente une dernière fois d'abattre Grant mais Blueberry le tue. Désormais réhabilité et libre, il n'entend toutefois pas en rester là et file pour Sacramento épouser Chihuahua Pearl... Qui l'ignore encore !

Comme l'expliqua Jean Giraud après la mort de Jean-Michel Charlier (en 1989), les deux hommes avaient convenus de rendre à Blueberry sa fortune, son honneur et l'amour. Les deux épisodes du Cycle 8 sont donc consacrés à exaucer les deux premières parties de ce plan.

Le scénario reprend une trame désormais bien connue des lecteurs de la série où le héros, flanqué de ses deux meilleurs amis, n'hésitent pas à se jeter tête la première dans les ennuis en comptant forcer la chance. Les risques que prend Blueberry sont énormes mais ce sont ceux d'un homme en fuite depuis des années et qui n'a pas le choix : soit il réussit, soit il meurt, mais il s'agit d'abord de laver son honneur. Ainsi l'auteur suscite la sympathie pour son héros pour qui on frissonne et à qui on souhaite le succès dans son entreprise dont l'audace est aussi dangereuse que pleine de panache.

C'est aussi l'occasion de révéler la structure de ce gigantesque arc narratif qui a débuté huit tomes et dix ans plus tôt : cela impose à Blueberry de revenir sur les lieux où sa perte s'est jouée pour y retrouver d'anciens adversaires responsables de ses déconvenues.

Les retrouvailles avec cette crapule de Vigo, qui a su profiter des années pour devenir gouverneur de l'Etat de Chihuahua, sont savoureuses mais déçoivent un peu car ce méchant sournois subit trop la situation à la défaveur de la fin du régime juariste (dont les successeurs sont dépeints sous un jour aussi peu flatteur, avec le général Portillo). Qui plus est, on aurait pensé que Charlier offrirait à l'ex-commandante une fin plus ambitieuse que celle-ci où, blessé, il succombe en déclarant à Blueberry avoir toujours eu de l'estime pour lui - cela sonne faux.

En outre, le scénariste, pour les besoins de son histoire, a ajouté au nombre des protagonistes "El Tigre" qui, même doté d'un background soigné, manque toutefois de charisme face à Blueberry. La figure de cet allié contre nature et dont l'ambition est rapidement devinée aussi bien par le héros que par le lecteur rappelle celle de Finlay et Kimball dans le Cycle 5 (tomes 13 à 15), mais sans avoir le même attrait. Cette faiblesse de caractère touche aussi Lulubelle, pâle copie de Chihuahua Pearl aussi bien en termes de beauté physique que de duplicité.

Le Bout de la piste est plus accrocheur : Charlier réussit à faire ressentir de manière intense le suspense du récit qui voit Blueberry être obligé à la fois de démasquer les comploteurs ennemis de Grant, sur le point de perpétrer un nouvel attentat, et convaincre le président de son innocence dans les diverses affaires dont il est accusé (le vol du trésor des confédérés, la tentative d'assassinat à Durango).

L'histoire se déroule en convoquant à nouveau de sinistres seconds rôles - "Angel Face" (dont on découvre la défiguration impressionnante), Tennessee Blake, le commandant Kelly, le général "Tête Jaune" Allister (qui donna son titre au tome 10) - sur un rythme crescendo, abondant en péripéties. Seul (ou presque, car Jimmy McClure et Red Neck sont toujours là) contre tous, Blueberry parviendra-t-il à neutraliser les terroristes, leur survivre, être gracié par Grant ? La réponse est spectaculaire et le résultat d'une densité extraordinaire jusqu'au dénouement irrésistible qui voit l'ex-lieutenant repartir se fourrer dans un pétrin prévisible.

Giraud illustre ces deux tomes à trois ans d'intervalles : à cette époque, il se consacre encore à bien des projets parallèles et le lecteur peut légitimement avoir le sentiment que l'artiste ne revient à Blueberry avec moins de plaisir. Jusqu'en 85, il collabore en effet toujours avec Jodorowsky sur la saga de L'Incal, mais il écrit et dessine aussi dès 1983 (jusqu'à 2003) Le Monde d'Edena (une oeuvre pourtant d'une rare médiocrité, aussi bien narrative que graphique), sans compter des participations à d'autres projets (pour le cinéma ou des films d'animation, qui ne verront jamais le jour autrement que sous forme d'artbooks).

Pourtant, avec la série qui l'a révélé et consacré, Gir sait se recentrer et produire ses meilleures images : son trait a gagné en simplicité sans sacrifier aux détails affolants avec lesquels il représente les grands espaces du western. Le génie de l'artiste est de donner cette impression que le résultat est facile alors qu'il est l'aboutissement d'une carrière nourrie d'expérimentations désormais synthétisées. 

Bien entendu, parfois, il cède à quelques paresses (de nombreuses cases de La Dernière Carte se distinguent par des décors bâclés ou carrément absents). Mais quand il se ressaisit, ses planches sont à nouveau formidablement composées, avec des plans fournis, des personnages expressifs, des décors d'un réalisme époustouflant, et même quelques effets de découpage malins (la mort de "Angel Face" où le tueur prend une balle entre les deux yeux et glisse le long d'un mur, une traînée de sang suggérant ce glissement).

La série bénéficie aussi d'une colorisation enfin plus nuancée, d'abord par Fraisic Marot (tome 21) puis Janet Gale (tome 22), rendue possible par les progrès de l'imprimerie.

Le run de Charlier et Giraud touche à sa fin dans le Cycle 9 qui ne compte qu'un épisode à la conception bien particulière mais au résultat délicieux.      

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