dimanche 30 août 2015

Critique 698 : FABLES, VOLUME 21 - HAPPILY EVER AFTER, de Bill Willingham et Mark Buckingham


FABLES, VOLUME 21 : HAPPILY EVER AFTER  rassemble les épisodes 141 à 149 de la série, écrits par Bill Willingham et dessinés par Mark Buckingham, publiés en 2014-2015 par DC Comics dans la collection Vertigo. 
Ces neuf épisodes sont complétés chacun par un supplément, écrits par Bill Willingham et Matthew Sturges, dessinés par un artiste différent (à l'exception du premier par Mark Buckingham), mettant en scène la dernière histoire d'un personnage secondaire de la série.
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(Extrait de Fables #142.
Textes de Bill Willingham, dessins de Mark Buckingham.)

- Happily Ever After (# 141-149). Àprès Mister Dark, de nouvelles créatures magiques (fées, sorcières, monstres) sont libérée, simultanément, mais leurs forces viennent renforcer les pouvoirs déjà acquis par Rose Red, paladin de l'Espoir, conseillé par la fée Morgane, dans la nouvelle Camelot qu'elle dirige. 
Cependant, dans les rues de New York, un homme-loup rôde et commet plusieurs meurtres sanglants : Snow White (Blanche Neige) comprend qu'il s'agit de Bigby mais les magiciens de Fabletown découvrent que ce dernier a perdu toute humanité, peut-être sous l'influence d'un tiers. Il est alors envisagé de le tuer et Rose Red en compagnie de Frau Totenkinder, de retour elle aussi, décide de s'en occuper, après que Ozma et la Bête aient été sauvagement assassinés. 
Bigby s'éloigne, mais sa présence parmi les humains a révélé l'existence de Fabletown, jusqu'ici dissimulée par des sortilèges, aux autorités de New York. Snow White finit par réaliser que son mari va s'en prendre à leurs enfants.
Alors qu'à Camelot, le prince Brandish recouvre sa liberté et que Grimble, l'ex-troll transformé en oiseau, part pour une mystérieuse mission dans les royaumes, Rose Red apprend grâce à Mr Cricket la vérité sur le passé de sa mère et la malédiction de sa famille qui semble les condamner, elle et Snow White, à s'entretuer...

Lorsqu'on ouvre ce 21ème tome de Fables, un pincement au coeur vous saisit car, c'est désormais accompli, la série créée par le scénariste Bill Willingham s'est achevé au 150ème épisode (qui forme, par la même occasion, le 22ème tome). Les neuf chapitres du présent recueil constituent donc en quelque sorte la dernière ligne droite d'une production lancée il y a treize ans et a été un des piliers du label Vertigo de DC Comics.

On est aussi en proie à une certaine méfiance devant ce dénouement proche car, il faut bien l'admettre, Bill Willingham n'a pas fait un sans-faute depuis quelques tomes et son entreprise a connu quelques défaillances et des longueurs. Bien finir n'est jamais simple, encore moins quand cela doit s'opérer après avoir un peu déçu les fans de la première heure. Néanmoins, l'indulgence est de mise car l'auteur a su maintenir un excellent niveau dans l'ensemble et il est toujours accompagné par son fidèle partenaire, le dessinateur Mark Buckingham, dont la contribution a beaucoup participé au plaisir de cette lecture.

Il est évident que Willingham s'est engagé à clore les pistes narratives qu'il a lancées en développant cet avant-dernier arc : il s'agit de régler les manoeuvres commises par le prince Brandish, de résoudre le retour d'entre les morts de Bigby, et de dévoiler les origines de Rose Red et Blanche Neige pour expliquer la véritable raison de leur prochain affrontement. 

C'est rapidement évident que la piste concernant l'émergence de la nouvelle Camelot sera la plus frustrante : peut-être que Willingham a vu un peu grand dans cette partie, mais en vérité il ne s'agira que d'un cadre pour l'ultime revanche de Brandish. Si le scénariste l'avait voulu, il aurait certainement pu broder autour d'une nouvelle chevalerie de la table ronde, revisiter la quête du Saint Graal, mais on comprend que ce ne sera pas le cas.

En revanche, l'intrigue concernant le retour de Bigby, manipulé par Leigh Duglas (l'ex-nurse Spratt, au service de la vengeance de Mr Dark), réserve des rebondissements épiques et quelques personnages n'y survivront pas. Sur ce dernier point, il est toujours aussi délicat d'accepter le sort réservé par Willingham à quelques seconds rôles attachants ou en tout cas accrocheurs, expédiés ad patres sans ménagement : quitte à tuer des héros emblématiques de la série, on aimerait qu'ils périssent avec plus de panache, mais le scénariste ne fait pas plus de quartier que le grand méchant loup.

Snow White, bien que désormais éclipsée par Rose Red (dont l'évolution a été le moteur du précédent tome), reste une figure toujours impressionnante, à laquelle Willingham sait donner une envergure rare, par sa bravoure et sa détermination. L'emploi des magiciens de Fabletown est aussi l'occasion d'apprécier le savoir-faire de l'auteur pour glisser une réflexion bien sentie sur les notions de sacrifice et de politique. La réapparition de Frau Totenkinder est aussi un régal (après son combat mémorable contre Mr Dark dans le 100ème épisode).

Willingham rythme son récit avec brio, accélérant les événements avec les oppositions de plusieurs Fables contre Bigby, à grands coups donc d'assauts et de ripostes égaux en intensité, puis levant le pied pour consacrer plusieurs pages sur plusieurs épisodes successifs aux origines de la malédiction qui frappe Rose Red contre Snow White. Loin d'ennuyer, ces révélations pimentent l'histoire, donnant à Rose Red un relief remarquable tout en restant cohérent avec la première fois où elle s'est faite remarquer dans la série (dès le premier arc, où elle avait maquillé sa mort : c'est une manipulatrice depuis le début, qui s'est rachetée une conduite en dirigeant la ferme aux animaux, puis retombe aujourd'hui dans ses travers) : savoir comment Willingham va résoudre cette piste narrative s'annonce très prometteur.

Visuellement, Mark Buckingham, même si on peut estimer qu'il n'est plus aussi étincelant qu'aux grandes heures de la série, montre encore de belles dispositions et affiche une constance étonnante après un run aussi long. Sa complicité avec Willingham lui permet de réinterpréter avec inventivité les codes des contes et légendes propres au titre en en représentant les figures, plus ou moins connues de manière toujours novatrice.

Buckingham utilise un découpage volontiers sommaire, avec une moyenne de quatre plans par pages, disposés en gaufriers, comme le faisait Kirby, une de ses références les plus évidentes. Cela l'autorise à dessiner des images aux compositions simples mais suffisamment fournies et en même temps soulignant la rapidité du récit. Régulièrement, fréquemment, les épisodes sont ponctués par des splash-pages merveilleuses, et les ornements qui encadrent chaque scène sont superbes.

L'artiste peut aussi adresser quelques clins d'oeil savoureux, d'autant plus que le lecteur ignore s'il les imagine seul ou s'il suit les indications du script de Willingham, comme quand, par exemple, Grimble devenu un oiseau vole autour d'une belle femme tel un angelot séduit ou quand Bigby tel un ogre est dépeint en train de découper en tranches ses enfants ou encore quand Rose Red suit Mr Cricket dans son propre passé.

Les décors, les costumes, les accessoires sont traités avec un soin toujours impeccables, tous ces éléments comblent le regard du lecteur qui peut vérifier de la densité des informations visuelles déployées par l'artiste et ses deux (voire trois) encreurs (Steve Leialoha, Andrew Pepoy et Dan Green).

Fables est donc bien parti pour s'achever en beauté, un final digne de la place prestigieuse que lui a accordée la critique et un public fidèle. Chant à l'honneur de l'imagination, fresque sur le plaisir de raconter et de revisiter les histoires, mais aussi métaphore sur la société, ses castes, ses frontières en rêve et réalité, le titre est et reste tout cela, sans jamais oublier d'être un divertissement, sensible et palpitant.
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- The Last Story (back-up stories de Happily Ever After). La série touchant donc à son terme, Bill Willingham offre aussi au lecteur une collection de saynètes intitulée "la dernière histoire de..." : 

- Flycatcher (Gobemouche) (dessins de Mark Buckingham) ;
- Sinbad (dessins d'Eric Shanower) ;
- Babe le taureau bleu miniature (dessins de Tony Akins, scénario de Matthew Sturges*) ;
- les trois souris aveugles (dessins de Shawn McManus) ;
- Cendrillon (dessins de Nimit Malavia) ;
- le Prince Charmant (dessins de Jae Lee) ;
- la Belle et la Bête (dessins de Terry Moore) ;
- Jack of Fables (dessins de Russ Braun, scénario de Matthew Sturges*) ;
- Briar Rose, la belle au bois dormant (dessins de Chrissie Zullo).

Ainsi l'auteur prouve-t-il que si Fables a ses vedettes, il n'oublie pas le reste de sa conséquente distribution. Que sont-ils devenus après que la saga se soit terminée ?

C'est avec malice que Willingham, aidé par Matthew Sturges, y répond. Les segments sont inégaux, c'est presque forcé, mais d'une bonne tenue pour la plupart, et même franchement jubilatoires dans certains cas.

Le destin de Jack of Fables est délirant à souhait, avec une pirouette métaphysique bien inspirée. Par contre, ce qui arrive à Flycatcher et au petit chaperon rouge est trop vite expédié.

Avec Babe le taureau bleu miniature ou les 3 souris aveugles, on se régale d'une narration express et bien troussée. Le cas de Cendrillon n'est pas totalement réglée (sans doute sera-ce pour le tome 22). Sinbad a droit à un traitement cinglant, la Bête et la Bête à un sort plus mordant. Le Prince Charmant resurgit sans faire vraiment d'étincelles, tout comme Briar Rose.

Quoi qu'il en soit, Willingham et Sturges ont fait l'effort de donner à chacun un final qui lui est propre, au ton unique, et servi par des graphismes tout aussi originaux : revoir des planches de Terry Moore, Shawn McManus, Eric Shanower, Russ Braun, découvrir celles de Nimit Malavia (le cover-artist de la série) peut difficilement décevoir.

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