CHIENS DE PRAIRIE est un récit complet écrit par Philippe Foerster et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1996 par Delcourt.
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Dans une lettre qu'elle écrit à sa fille Janey, Calamity Jane évoque la dernière aventure de son ami J. B. Bone, bandit de grand chemin qui, après un braquage à Ogallala durant lequel son complice Ben Donnegan a été tué, transporte sa dépouille pour l'enterrer auprès de celle qu'il aimait, Alabama Lightingale.
Martha Jane Canary oublie un des orphelins qu'elle convoie à Rapid City et c'est ainsi qu'au matin Bone se trouve flanqué d'un gamin sourd et muet, Moïse.
Leur voyage est semé d'embûches car la tête de Bone est mise à prix, attirant à ses trousses plusieurs chasseurs de primes dont le redoutable fanatique religieux Salomon Wallace et sa soeur Moïra ou Tulsa Jake Black. Il se dit aussi que dans le cercueil de Donnegan se trouve le magot amassé par les deux malfrats.
Pourtant, à la fin de ce périple sanglant, de stupéfiantes et sordides révélations éclaireront d'un jour nouveau les motivations des Wallace et la situation du petit Moïse tandis que Bone rencontrera son destin...
Dans les années 70, à Bruxelles, plusieurs jeunes futurs auteurs de bande dessinée se rencontrèrent au sein de l'Institut Saint Luc, parmi lesquels Philippe Foerster et Philippe Berthet, formés par Claude Renard puis Eddy Paape. Les deux élèves travailleront une première fois ensemble en 1988 sur l'album L'oeil du chasseur.
En 1994, la carrière de Berthet prend une nouvelle dimension grâce à la série que lui écrit "sur mesure" Yann, Pin-Up. C'est entre les deux premiers cycles de ce titre, en 1996, que Berthet s'accorde une parenthèse en collaborant à nouveau avec Foerster sur un projet qu'il lui soumet : Chiens de prairie, édité par Delcourt.
Pour le dessinateur, c'est un défi car il aborde un genre auquel il n'a jamais touché auparavant, le western, modifie sensiblement son style de dessin, y expérimente un nouveau type d'encrage (à la plume), est colorisé par sa propre épouse (Dominique David).
Trop de changements ? En tout cas, l'album sera un échec commercial que l'artiste admettra avec lucidité, estimant que les fans de Pin-Up ne l'attendaient certainement pas là, ne l'avaient peut-être même reconnu.
Comme Pin-Up, j'avais lu cet ouvrage au moment de sa parution, il y a donc une vingtaine d'années, et j'étais curieux de voir s'il avait bien vieilli, s'il méritait ou non sa sanction. Par ailleurs, j'ai toujours apprécié le western en bande dessinée, c'est même le genre qui m'a fait aimé le 9ème art (avec Lucky Luke, puis plus tard Blueberry, Comanche...). Et j'ai conservé de la bienveillance pour la production de Berthet, dessinateur humble et discret mais accompli, immédiatement identifiable.
Chiens de prairie n'est pas un navet indigne, mais ce n'est tout de même pas bon. C'est assez fidèle au souvenir que j'en avais : un album plus mémorable pour ses auteurs que pour son contenu. Le scénario de Foerster veut fréquemment provoquer le lecteur en accumulant des moments chocs, volontiers glauques, mais l'effet qui en résulte donne justement trop le sentiment d'une écriture facile et complaisante.
Le personnage de JB Bone qui traîne le cercueil de son ami ne suscite jamais la moindre sympathie : ce n'est pas dérangeant en soi, mais l'effet est forcé et des scènes se produisent gratuitement sans rien ajouter au récit (le sommet du morbide étant atteint quand ledit cercueil dévale une pente rocheuse, libérant le cadavre en putréfaction de Donnegan, que vont récupérer Bone et Moïse dans une nuée de mouches).
De la même manière, Foerster convoque des références historiques et bibliques avec une lourdeur qui devient vite grotesque : le fait que l'histoire soit narrée via une correspondance par Martha Jane Canary n'apporte aucune perspective supplémentaire (pas plus que de citer Wild Bill Hicock en montrant son assassinat), c'est plus un moyen pour introduire Moïse (le gamin surgissant de nulle part aurait fait gagner en mystère à l'intrigue) ; avoir d'ailleurs prénommé cet orphelin Moïse n'est pas d'une grande subtilité ; et la caractérisation des Wallace avec leur lot de perversions (inceste, fanatisme religieux, vengeance) est d'une ridicule achevé.
On comprend bien que Chiens de prairie veut marcher dans les pas de Impitoyable, le western crépusculaire et tellement plus impressionnant réalisé et interprété par Clint Eastwood, mais la comparaison n'est pas flatteuse pour Foerster qui ne parvient jamais à atteindre la puissance dramatique et funèbre du long métrage : son récit ressemble à une pâle copie d'un chef d'oeuvre, comme Durango (la série de Yves Swolfs) singe piteusement les codes du western italien. Il n'y a pas grand-chose à sauver dans ce naufrage.
Que Berthet ait été attiré par le challenge de dessiner un western est évident, même s'il expliquera que la tâche ne fut pas facile, intimidé par ses illustres pairs qui l'ont devancé dans ce genre (Jijé, Giraud). L'artiste a travaillé d'après un scénario dialogué mais non découpé, ce qui lui a permis d'organiser ses pages avec liberté et d'aboutir à de belles compositions. Mais ses efforts tournent un peu dans le vide.
Pour rajouter à ces difficultés, Berthet, pour la première (et dernière) fois, a encré à la plume, technique qu'il maîtrisait mal (alors qu'il utilise le feutre d'habitude). La représentation des personnages s'écartent légèrement du réalisme "ligne claire" de Pin-Up, sans pourtant s'en écarter autant que l'artiste l'estimait (dans un entretien donné à "DBD : les Dossiers de la Bande Dessinée"). Néanmoins, son trait élégant et fluide se prête mal au western où les meilleurs dessinateurs usent de détails abondants, de hachures : là, c'est trop beau, trop propre, trop net, surtout pour une histoire aussi rugueuse, brutale, malsaine. Reste des décors, majoritairement en extérieur, plus réussis.
Rien ne fonctionne dans ce one-shot : relire certains albums n'est pas toujours heureux, ils ont beau être faits par des gens talentueux, on ne peut que constater que leur échec commercial procède d'une cruelle logique.
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