LE CHÂTEAU DES ETOILES : 2ème ANNEE comprend les épisodes 4 (Les Naufragés du ciel), 5 (Les Secrets de la face cachée) et 6 (Le Roi-Lune) de la série, écrits et dessinés par Alex Alice, avec Anthony Simon comme assistant pour les décors, publiés de Mai à Juillet 2015 par les Editions Rue de Sèvres. L'album cartonné rassemblant ces trois nouveaux chapitres paraîtra le 16 Septembre 2015.
Pour mémoire, j'avais consacré une entrée aux trois premiers épisodes dans ma critique n° 527 de Novembre 2014 (ici : Le Château des Etoiles n°1, 2 et 3).
Rappel des faits :
En 1970, Le Roi Ludwig de Bavière se passionne pour l'aéronautique et récupère les carnets de vol de l'exploratrice Claire Dulac, tragiquement disparue alors qu'elle était partie en vol à la recherche de l'éther. Il obtient du mari de l'aventurière et de son fils, le professeur Dulac et Séraphin, leur aide pour poursuivre et réaliser le projet de la défunte.
Mais grâce au Chambellan du Roi, Hagen Von Gudden, Bismarck est au courant de cette entreprise qu'il compte détourner à des fins militaires pour dominer l'Europe.
Le professeur Dulac fait construire un éthernef pour s'envoler dans l'espace et échappe, avec le Roi, Séraphin et ses deux jeunes amis, Sophie et Hans, au Chambellan...
L'histoire reprend là où on l'avait laissée :
L'éthernef atteint les 13 000 mètres d'altitude quand une avarie survient : le variateur électro-éthérique a disparu, entraînant le vaisseau à la dérive dans l'espace. La toile du ballon qui y était suspendue obstrue désormais l'habitacle et il faut tenter une sortie pour l'enlever. Séraphin s'en occupe, découvre le Roi inconscient dans la cabine de la proue, et surtout que l'appareil tombe en direction de la face cachée de la lune.
L'éthernef atterrit sur la face cachée de la lune. Séraphin, son père, Sophie et Hans (plus son chien Falstaff, passager clandestin) s'emploient alors à réparer le vaisseau en espérant repartir dans les 354 prochaines heures, autrement dit les 14 jours de la nuit lunaire. Mais le Roi Ludwig, profitant que l'air soit respirable, part explorer les montagnes voisines, convaincu d'y trouver le château des étoiles, que visait certainement Claire Dulac.
Le Roi Ludwig décide de rester sur la lune - ou plutôt d'en redécoller à bord d'un navire éthérique. Avant cela, il rend le variateur électro-éthérique à Séraphin, qui permet à son père de les ramener, avec Sophie et Hans, sur terre. Il leur reste à récupérer le carnet de Claire Dulac, caché dans la bibliothèque royale avant Bismarck...
Contrairement, tout d'abord, à ce que j'avais compris en lisant la 1ère Année de la série, ces trois nouveaux épisodes, qui forment la 2ème Année, n'en sont pas la conclusion définitive : même si le récit trouve un dénouement satisfaisant, la fin est ouverte et Alex Alice et son éditeur annoncent déjà un troisième acte à leur saga (mais je vous laisse découvrir où elle entraînera les héros). Cela promet encore une lecture enchanteresse.
Car, et c'est ce qui nous occupera pour aujourd'hui, cette nouvelle "saison" est aussi réussie que la première.
Le scénario ménage encore un riche lot de rebondissements en confirmant les influences qui ont inspiré Alex Alice : Jules Verne y tient la première place, et de nouveaux bonus (qui resteront inédits dans l'édition en album cartonné à paraître en Septembre) cite l'écrivain nantais sous la forme de faux articles d'époque, illustrés par de simili-gravures. Ces suppléments ne sont pas seulement un cadeau fait aux fans qui suivent la série en l'achetant dans son format journal (41,5 x 29,4 cm), ils complètent intelligemment et malicieusement l'intrigue, notamment en évoquant les machinations que continuent d'utiliser le Chambellan Von Gudden tandis que les héros voyagent dans l'espace ou les efforts du quotidien pour retrouver un journaliste disparu en enquêtant sur le Roi Ludwig avant son départ pour les étoiles.
La narration est articulée selon trois temps précis : d'abord, le décollage et l'ascension de l'éthernef jusqu'à la disparition mystérieuse de son variateur et sa dérive vers la face cachée de la lune ; ensuite, le crash de l'appareil sur la lune et l'exploration de l'astre ; enfin, les efforts pour revenir sur terre en parallèle avec le choix du Roi Ludwig.
Chacun de ces chapitres est un pur régal à lire, mais le numéro 5 entièrement situé sur la lune est assurément le plus beau. Alex Alice abandonne tout réalisme scientifique pour nous embarquer dans une balade astrale fascinante, poétique, mais aussi mélancolique, dramatique. Le résultat est tout simplement féerique.
La conclusion de cette saga est habile : l'auteur n'a pas voulu que la victoire des héros soit trop simple puisqu'il y a incorporé à son récit des figures historiques authentiques, comme Bismarck dans le rôle du méchant de service. La solution que trouvent Séraphin, son père, Sophie et Hans, pour contrarier les plans du prussien correspond à la fois au cadre d'une uchronie sans tomber dans une fable trop positive ou moraliste : l'enjeu pour la suite est subtilement déplacé et il sera intéressant de découvrir comment Alex Alice l'exploitera (en allant dans le registre de l'aventure pure ? Ou en conservant quelques éléments politico-historiques ?).
Les personnages ont une dimension humaine très sensible : la notion de famille - celle dont on est issu (Séraphin et son père) mais aussi celle qu'on se bâtit, avec des amis, des alliés (avec Sophie, Hans, le Roi), ou celle qu'on a perdue et après le fantôme duquel on court (Claire Dulac, dont le mystère de la mort reste irrésolu) - est très forte, soutenant toute la dramaturgie de ces aventuriers qui en risquant leurs vies dans une aventure risquée veulent tous se relancer existentiellement. Alex Alice sait écrire des enfants sans sombrer dans la mièvrerie ni l'héroïsme exagéré et des adultes hantés par des démons bien particuliers.
Bien entendu, ces nouveaux épisodes sont visuellement aussi beaux, si ce n'est plus que les premiers : l'artiste, assisté par Anthony Simon aux décors, a su créer des pages dont la puissance esthétique subjuguera n'importe qui.
Tout cela dégage à la fois un travail extraordinaire sur les designs, la colorisation (à tomber à la renverse, avec le mélange de plusieurs techniques - crayons, aquarelles, peinture numérique), et une liberté comme seuls les très grands graphistes peuvent se le permettre, confiants en leur art et sa pratique, mais aussi inspirés par leur projet, son format hors normes.
Le château des étoiles est une expérience que sa publication originale rend spéciale : on ne peut tout simplement pas la lire comme une bande dessinée ordinaire car l'objet est relativement fragile, il faut le manier avec délicatesse, déposer chaque numéro sur une surface devant soi et non pas en le tenant comme un album. Ainsi installé, on peut à loisir contempler des pages immenses au découpage si bien pensé, à la beauté exceptionnelle. Le dépaysement et les sensations fortes sont garanties.
A l'heure où auteurs et lecteurs de BD sont bousculés dans leurs habitudes par la concurrence des tablettes et autres supports de lecture, un projet comme celui-ci devrait inciter l'édition à investir davantage dans des histoires qui ne se limitent pas à des cases et des bandes classiques sur des pages reliées, mais jouent avec les dimensions des planches, les effets que cela provoque. Il y a là une invitation à un renouvellement artisanal de la bande dessinée (pourquoi pas sous la forme de pop-up books, de livres-jeux, de pages dépliantes, de flip-books, etc).
Fête pour les yeux, voyage scénaristique, comic-book steampunk lumineux et palpitant, Le Château des Etoiles d'Alex Alice a le goût rare des classiques instantanés.
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