LETTRES D'OUTREMER est un récit complet écrit par Eric Warnauts et co-dessiné par Warnauts et Guy Raives, publié en 1996 par Casterman.
*
Une rupture d'anévrisme provoque la mort de Claire, laissant son compagnon Jean dans le désarroi. En triant les affaires de la défunte, il trouve des lettres d'amour échangées entre elle et deux hommes.
Journaliste pour le magazine "Paris Max", il accepte de partir pour la Guadeloupe en reportage. Sur place, il est accueilli par son collègue qui lui montre la réalité sociale de l'île en proie à de vives tensions raciales et aspirant à l'indépendance. Jean fait aussi la connaissance de la belle Sounia, chargée des relations publiques à Air France et danseuse à ses heures libres. Ils deviennent amants, mais il lui avoue que sa présence aux Antilles est aussi motivée par son envie de rencontrer un des amants de sa femme, Lionel Céleste, psychiatre.
Alors qu'il pardonnera à ce dernier en devenant ami avec la fille de ce médecin, une adolescente qui compte poursuivre ses études en métropole, Jean se rappelle comment il s'est vengé d'Arturo, l'autre amant de Claire en couchant avec la soeur de celui-ci.
De retour à Paris, il quitte son poste au magazine et réfléchit à l'offre de son ami Antoine de revenir travailler en Guadeloupe...
J'ai découvert cet album au moment de sa parution, il y a presque vingt ans, et je ne l'avais pas relu depuis, bien que j'ai eu la chance de le faire dédicacer par ses auteurs, dont je suivais lors régulièrement les publications. M'y replonger m'a permis de comprendre pourquoi j'aimais tant les récits complets de Warnauts et Raives, dont c'est un des (sinon le) chefs d'oeuvre (avec L'Envers des rêves).
C'est un album copieux avec ces 110 pages qui se distingue par sa richesse narrative : plusieurs niveaux de lecture y sont exploités. D'abord, il y a une histoire d'amour tragique, avec le deuil du héros qui perd sa compagne puis part à la recherche ses amants ; ensuite, il y a sa rencontre avec une autre femme, loin de chez lui ; et enfin, il y a la découverte de la Guadeloupe, avec ses tensions raciales, ses difficultés sociales, sa situation politique complexe vis-à-vis de la métropole.
L'album s'ouvre avec le décès de Claire, une séquence courte et poignante, qui permet au lecteur de comprendre tout de suite la détresse de Jean. Plus tard, on comprend progressivement que cette mort est encore plus douloureuse quand Jean découvre que Claire le trompait avec deux hommes, dont l'un est un de ses proches. Cette partie de l'intrigue est pourtant la plus faible, la plus convenue, elle semble surtout un prétexte aux auteurs pour provoquer le départ de leur héros aux Antilles.
En Guadeloupe, l'histoire décolle vraiment et accède même à une dimension inattendue : si, de prime abord, plusieurs pages peuvent faire penser à une sorte de carnet de voyage, avec de multiples vignettes visiblement inspirées d'après des photos prises sur place, on est quand même saisi par la beauté du cadre, magnifiquement reproduit par des dessins à la colorisation à l'aquarelle. Mais Warnauts et Raives ne se contentent pas de partager des impressions visuelles et touristiques, ils donnent aussi à voir la Gaudeloupe via sa situation politique, et le personnage d'Antoine la verbalise. On s'éloigne alors de la carte postale pour accéder au reportage que Jean est venu faire, avec la volonté justement de ne pas se contenter des clichés de ciel bleu et de plages de sable blanc.
La romance que les auteurs brode entre Jean et Souana est elle aussi subtilement traitée : l'attirance d'abord physique qu'éprouve le journaliste pour cette belle fille sensuelle, à laquelle la rumeur prête de nombreux anciens partenaires, se transforme en une relation plus trouble et profonde quand elle l'interroge sur ses sentiments envers Claire, ses projets contre ses amants, et ce qu'il compte en retirer. Tout cela se complique encore quand entre en jeu Elisa-Flore, la fille de Lionel Céleste, un des amants de Claire : cette jolie adolescente en pince pour Jean sans que celui-ci, cependant, n'en abuse, ce qui contraste avec son attitude vis-à-vis de Arturo et sa soeur Sylvia que nous révèlent des flash-backs en Italie.
La mise en images est encore une fois le fruit d'une collaboration étroite entre Warnauts, dont on peut supposer qu'il a procédé au découpage dans une progression logique de son script, et Raives, qui assure les illustrations proprement dîtes des personnages et des décors.
L'expressivité des personnages, leur allure, et le soin apporté au cadre de l'action, basé sur une documentation fournie, confère à l'ouvrage un réalisme à la fois classique mais très vivant, rehaussé donc par des couleurs délicates et appliquées. C'est un festival d'ambiances qui rend presque palpable le climat, les parfums, de l'île guadeloupéenne.
L'encrage est aussi d'une finesse somptueuse, avec ce trait à la plume qui est la signature du tandem, et qui traduit à merveille les textures tout en évitant étonnamment des effets comme les hachures. Le trait est merveilleusement modelé, notamment quand il s'agit de reproduire les drapés ou de capter des mimiques aussi éphémères qu'un visage baissé qui se redresse en même temps que le regard du personnage fixe son interlocuteur hors-champ (et le lecteur du même coup).
Paru dans la belle collection "Studio (A suivre)", Lettres d'Outremer est assurément le sommet de Warnauts et Raives, ce duo si doué pour parler de l'intimité d'individus dans des décors si dépaysants qu'ils agissent véritablement comme les révélateurs de leurs tourments et la possibilité d'un nouveau départ.
C'est un album copieux avec ces 110 pages qui se distingue par sa richesse narrative : plusieurs niveaux de lecture y sont exploités. D'abord, il y a une histoire d'amour tragique, avec le deuil du héros qui perd sa compagne puis part à la recherche ses amants ; ensuite, il y a sa rencontre avec une autre femme, loin de chez lui ; et enfin, il y a la découverte de la Guadeloupe, avec ses tensions raciales, ses difficultés sociales, sa situation politique complexe vis-à-vis de la métropole.
L'album s'ouvre avec le décès de Claire, une séquence courte et poignante, qui permet au lecteur de comprendre tout de suite la détresse de Jean. Plus tard, on comprend progressivement que cette mort est encore plus douloureuse quand Jean découvre que Claire le trompait avec deux hommes, dont l'un est un de ses proches. Cette partie de l'intrigue est pourtant la plus faible, la plus convenue, elle semble surtout un prétexte aux auteurs pour provoquer le départ de leur héros aux Antilles.
En Guadeloupe, l'histoire décolle vraiment et accède même à une dimension inattendue : si, de prime abord, plusieurs pages peuvent faire penser à une sorte de carnet de voyage, avec de multiples vignettes visiblement inspirées d'après des photos prises sur place, on est quand même saisi par la beauté du cadre, magnifiquement reproduit par des dessins à la colorisation à l'aquarelle. Mais Warnauts et Raives ne se contentent pas de partager des impressions visuelles et touristiques, ils donnent aussi à voir la Gaudeloupe via sa situation politique, et le personnage d'Antoine la verbalise. On s'éloigne alors de la carte postale pour accéder au reportage que Jean est venu faire, avec la volonté justement de ne pas se contenter des clichés de ciel bleu et de plages de sable blanc.
La romance que les auteurs brode entre Jean et Souana est elle aussi subtilement traitée : l'attirance d'abord physique qu'éprouve le journaliste pour cette belle fille sensuelle, à laquelle la rumeur prête de nombreux anciens partenaires, se transforme en une relation plus trouble et profonde quand elle l'interroge sur ses sentiments envers Claire, ses projets contre ses amants, et ce qu'il compte en retirer. Tout cela se complique encore quand entre en jeu Elisa-Flore, la fille de Lionel Céleste, un des amants de Claire : cette jolie adolescente en pince pour Jean sans que celui-ci, cependant, n'en abuse, ce qui contraste avec son attitude vis-à-vis de Arturo et sa soeur Sylvia que nous révèlent des flash-backs en Italie.
La mise en images est encore une fois le fruit d'une collaboration étroite entre Warnauts, dont on peut supposer qu'il a procédé au découpage dans une progression logique de son script, et Raives, qui assure les illustrations proprement dîtes des personnages et des décors.
L'expressivité des personnages, leur allure, et le soin apporté au cadre de l'action, basé sur une documentation fournie, confère à l'ouvrage un réalisme à la fois classique mais très vivant, rehaussé donc par des couleurs délicates et appliquées. C'est un festival d'ambiances qui rend presque palpable le climat, les parfums, de l'île guadeloupéenne.
L'encrage est aussi d'une finesse somptueuse, avec ce trait à la plume qui est la signature du tandem, et qui traduit à merveille les textures tout en évitant étonnamment des effets comme les hachures. Le trait est merveilleusement modelé, notamment quand il s'agit de reproduire les drapés ou de capter des mimiques aussi éphémères qu'un visage baissé qui se redresse en même temps que le regard du personnage fixe son interlocuteur hors-champ (et le lecteur du même coup).
Paru dans la belle collection "Studio (A suivre)", Lettres d'Outremer est assurément le sommet de Warnauts et Raives, ce duo si doué pour parler de l'intimité d'individus dans des décors si dépaysants qu'ils agissent véritablement comme les révélateurs de leurs tourments et la possibilité d'un nouveau départ.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire