J'étais complètement passé à côté du fait que The Ambassadors, la nouvelle production de Mark Millar, était bimensuelle. Donc, voilà, seulement quinze jours après le premier épisode, que sort le deuxième numéro (sur six) de ce titre. J'avais apprécié le début, avec le dessin de Frank Quitely, et comme le scénariste écossais s'est entouré de grands talents, il a convaincu Karl Kerschl de participer à l'aventure cette fois. C'est donc très beau, c'est prenant, mais ça fait aussi un peu du surplace...
Choon-He Chung commence à recruter les membres de son équipe en cherchant ceux qui méritent le plus de l'intégrer. Elle jette son dévoulu sur Binnu Nathia, un jeune homme de New Delhi, qui a fait preuve d'un héroïsme incroyable lors d'un attentat en sauvant la fille qu'il aimait en secret... Et qui va découvrir le prix terrible de son sacrifice...
On va tout de suite aborder le cas Karl Kerschl car l'artiste fait ici son grand retour. Il y a trois ans, la série qu'il co-écrivait avec Brendan Fletcher et dessinait, Isola, s'interrompait au bout de deux arcs, sur un cliffhanger très frustrant. Et depuis, plus rien. Quand on l'interroge sur Twitter (comme je l'ai fait) sur le retour de ce titre, il répond vaguement que ça fait toujours partie de sa (je cite) "to-do list"...
Je ne suis pas du genre à m'énerver après les artistes quand il accuse de gros retards dans leurs projets, surtout quand il s'agit de creator-owned, puisqu'ils sont les maîtres des horloges dans ce type de production. Et puis à vrai dire, on s'emporte souvent sans savoir si, dans leur vie privée, des événements (maladie, problèmes personnels...) ne les empêchent pas aussi de continuer ce sur quoi il travaillait. Mais j'avoue que dans le cas de Kerschl, j'étais quand même un poil irrité.
Parce que notre homme n'était visiblement pas empêché, vu qu'il a repris son projet The Abominable Charles Christopher, a collaboré au nouveau volume de Batman : Black & White, et a récemment lancé une campagne de financement participatif pour une nouvelle création (Death Transit Teenager, qu'il écrit et dessine). Donc, pour moi, jusqu'à preuve du contraire, il a purement et simplement abandonné Isola et ses lecteurs sans les avertir franchement ni être clair sur une date de reprise (si la série revient un jour).
Autant dire, pour en revenir à The Ambassadors, que j'étais sérieusement agacé de le voir prendre le temps de signer un épisode, une preuve de plus que Isola était le cadet de ses soucis. En même temps, j'étais aussi intrigué car l'association Mark Millar-Karl Kerschl, franchement, je ne l'avais pas vue venir. Les deux hommes me semblaient évoluer dans des sphères tellement éloignées que les imaginer travailler ensemble me paraissait inconcevable.
Millar, d'habitude, drague des stars chez les "big two" et mise sur leur notoriété pour organiser une large part de la publicité de son nouveau comic-book. Kerschl, sans être irrespectueux, ne fait pas vraiment partie des artistes les plus fameux de l'industrie, même si, par ailleurs, c'est un auteur complet respecté et très talentueux. Qui plus est, pour The Ambassadors, il se trouve à dessiner un épisode entre celui de Quitely et celui de Travis Charest, deux monstres sacrés (dont le deuxième qui refait parler de lui après une éternité).
Mais le résultat est là et ne s'embarrasse pas des déceptions entretenues par l'arrêt de Isola : Karl Kerschl livre une épisode digne de ce qu'on lui connaît, d'une beauté renversante, avec une science du découpage extraordinaire, ce trait toujours immédiatement identifiable, où l'influence des mangas est parfaitement digérée. Il y a des pages sur lesquelles on s'arrête pour le simple plaisir de les admirer, et donc il ne dépareille sûrement pas à côté de virtuoses comme Quitely, Charest.
Cet épisode est donc un régal pour les yeux. Mais alors qu'est-ce qui coince ? Pourquoi ne prend-on pas davantage de plaisir ? Pourquoi a-t-on l'impression que ça aurait pu/dû être tellement mieux ? Peut-être parce que, effectivement, les styles de Millar et de Kerschl ne se marient pas si bien que ça. L'épisode s'ouvre sur une séquence très violente et cruelle, où le héros perd la vie. C'est du pur Millar, très rentre-dedans, très efficace : le scénariste nous fait saisir toute l'injustice du sort infligé à Binnu (et y revient sur la fin en révélant ce qu'il a vraiment perdu dans ce drame). Pas très subtil, mais imparable.
Sauf que Kerschl a du mal à illustrer ce passage aussi fortement, intensément qu'espéré. C'est mis en images avec maestria, mais l'émotion ne vient pas du dessin, ce n'est pas assez "in your face" comme l'exigerait tout bon Millar. Peut-être aussi le lecteur de Millar s'est-il habitué à une certaine manière de voir ses scripts illustrés et que le choc thermique ici est trop fort. Mais c'est vrai aussi que Kerschl, c'est de la dentelle quand cette séquence n'en est pas. Donc, ça ne fonctionne pas, tout simplement.
En revanche, si le reste ne convainc pas beaucoup plus, c'est uniquement de la faute de Millar qui, à l'exception d'un twist à la fin, ne convertit pas ses bonnes intentions en un récit plus expressif. En réalité, c'est trop décompressé, l'histoire ne progresse pas suffisamment. Si The Ambassadors se limite à un épisode/une recrue, quelle que soit l'astuce déployée par l'auteur, ça ne suffira pas. Et le procédé qui anime le projet (un artiste différent pour chaque épisode) tournera vite à du simple marketing.
Enfin, j'attendais plus d'originalité concernant les pouvoirs dont Choon-He Chung dote ses ambassadeurs. Déjà, on n'identifie pas très bien ceux qu'elle-même possède (en dehors d'une intelligence hors du commun et qu'elle s'est clonée), mais Codename India (alias Binnu) n'est guère mieux loti avec des pouvoirs sur la gravité, autrement dit une banale télékinésie. C'est du vu et revu et je crois qu'on pouvait légitimement espérer mieux, plus audacieux.
Bref, je suis déçu. Mais pas abattu. Parce que dans quinze jours, on va assister au grand come-back de Travis Charest et ça, c'est quand même bigrement excitant. Parce que, aussi, je reste confiant dans la capacité de Millar à m'étonner positivement. Mais ce sera du quitte ou double.
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