C'est la fin du tournoi pour Do a Powerbomb ! de Daniel Warren Johnson. Cette mini-série ne m'aura pas autant conquis que Murder Falcon du même auteur, mais il faut reconnaître qu'on ne lit pas une chose pareil tous les mois. Et la conclusion, à défaut d'être parfaite, est tout de même touchante, entre deux mandales.
Comme je le fais souvent, je ne vais pas résumer ce dernier épisode pour vous laisser la surprise. Disons alors juste que Willard Necroton a avoué à Lona Steerose et son père, Cobrasun, qu'il n'était pas suffisamment puissant pour ressuciter Yua Steelrose, la mère et la femme de l'un et l'autre.
Pour les apaiser, il les conduit chez son supérieur : Dieu lui-même, aussi fervent amateur de catch que lui, et qui défie le père et sa fille dans un ultime combat au terme duquel, s'ils gagnent, il s'engage à exaucer leur voeu - retrouver Yua Steelrose. Mais peut-on vaincre Dieu ?
Daniel Warren Johnson signe à la fin de ce numéro une postface où, comme c'est l'usage, il remercie son coloriste, Mike Spicer, mais aussi son épouse (qui est sa première lectrice et critique) ainsi que l'équipe éditoriale d'Image Comics et du label Skybound de Robert Kirkman.
Surtout Johnson confie à quel point c'est difficile pour lui de terminer une BD, malgré les efforts, l'investissement que cela représente. Il ajoute que le temps fils trop vite, qu'il a l'impression d'avoir démarré Do a Powerbomb ! la veille et que, grisé par sa propre fiction, il n'a pas vu les mois passer.
Ces confidences, outre qu'elles renvoient au sujet même de cette mini-série sur lequel je vais revenir, en disent long sur ce drôle de métier de faire des comics. Il faudrait remercier Daniel Warren Johnson comme il remercie ses lecteurs pour ne pas oublier que c'est une tâche ingrate - parce qu'on n'est jamais sûr que ce qu'on va proposer au public va fonctionner, parce qu'on y met toutes ses forces (pour peu qu'on fasse son boulot honnêtement).
A l'heure où l'Intelligence Artificielle prétend faire aussi bien que des artistes et que ce débat agite les réseaux sociaux, il est toujours bon de rappeler que les comics sont une aventure humaine entre un auteur et le lecteur, mais surtout pour le créateur qui imagine une histoire, qui l'écrit, la met en forme, la dessine, l'encre, la confie à un coloriste, un lettreur, un imprimeur. Qu'importe si on travaille encore "à l'ancienne" avec un craayon, une gomme, des plumes, des feutres, des pinceaux, ou sur des tablettes graphqiues : l'outil dont on se sert, c'est d'abord son propre corps, en étant assis à une table pendant des mois.
Cette patte humaine, rien ne la remplacera jamais, même le plus puissant des logiciels informatiques. Ecrire, dessiner des BD, c'est un exercice mental et physique qui ne se résume pas à des 0 et des 1. Ce sont des courbatures, des noeuds au cerveau, de l'anxiété, de l'euphorie, du découragement, une vie sociale souvent réduite. Et ceux qui en font métier le font avec le fol espoir que le public répondra présent en reconnaissant leurs efforts, leur engagement.
On peut facilement comprendre dès lors qu'il est difficile de se détacher d'un objet sur lequel on a besogné des mois durant, et Daniel Warren Johnson le dit simplement. Mais en définitive, cette griserie qui agrémente toute création artistique, cette invresse qui fait oublier les heures, les jours, les mois, rend le voyage plus important que le rendu. On arrive à la fin en étant souvent surpris à la fois d'y être et aussi vidé d'avoir réussi. La suite n'appartient plus vraiment au créateur, le lecteur va décider du succès de l'oeuvre et du mérite de l'auteur.
C'est aussi la morale, en somme, de Do a Powerbomb ! comme vous le découvrirez avec la fin de ce septième épisode où il n'est pas/plus question d'avoir ce qu'on était venu chercher en se battant dans un tournoi de catch dans une dimension parallèle. C'est plutôt le chemin parcouru durant ce tournoi, au fil des matchs, qui est devenu essentiel, qui a fait grandir.
A la fin de cette histoire, Lona et Cobrasun sont aussi vidés qu'a dû l'être Daniel Warren Johnson au terme de cet ultime épisode. Qu'ils gagnent ou perdent contre Dieu devient presque accessoire, ils ont remporté chaque partie jusqu'au dénouement, ils ont accompli leur odyssée. Ils ont littéralement fait ce qu'ils ont pu, ils ont éta u bout du bout.
Le récit écrit par Johnson m'a déconcerté rapidement, car j'estimais qu'il grillait des cartouches trop vite (en révélant surtout qui était Cobrasun très vite). Il y a eu aussi un sentiment de lassitude qui s'est installé car, malgré toute sa maestria visuelle, cette succession de combats délirants n'a pas compensé une certaine vacuité scénaristique. Sept épisodes, c'était trop pour cette histoire. La formidable énergie déployée par Johnson n'a pas suffi à m'éblouir et à me bouleverser autant que sur Murder Falcon, plus équilibré, plus poignant et tout aussi loufoque.
C'est quand, en fin de compte, il revenait à des choses simples que l'auteur savait renouer avec ce qui faisait la magie de Murder Falcon, comme lorsqu'il mettait en scène Sun et Steel hors du ring, ou que leurs adversaires se battaient pour des motifs aussi déchirants que les leurs. Le reste, la baston, je savais que Johnson maîtrisait et qu'il épaterait la galerie car son dessin possède cette puissance inouie.
Et c'est cela que confirme cet épisode, après un énième combat sur le ring, quand une scène du passé est dévoilée, entre Yua et Lona, dans l'intimité de la chambre de la petite fille, écoutant sa mère parler de la vérité du catch mais surtout des individus qui s'y affrontent, non pour gagner, mais pour vivre et éprouver dans leur chair des sensations comme la peur, l'excitation, la fatigue, l'exaltation, le dépassement, etc.
Comme un auteur de BD, pour Johnson, le lutteur a du mal à se détacher du ring, l'équivalent de la planche à dessin. Il y oublie le temps, la fatigue, mais doute toujours de l'issue du match. Victorieux ou vaincu, il traverse le temps du match comme un voyage, quasiment un trip, avec sa part de mysticisme, et se laisse griser. Il finira avec la ceinture du champion ou allongé sur le tapis, certain d'avoir été le plus fort ou d'être tombé contre plus fort que lui. Mais il y reviendra - l'auteur avec une nouvelle histoire, comme le catcheur.
Il est évident que Daniel Warren Johnson a exprimé sa conviction que le point commun entre le catch et les comics est qu'il s'agit de sports de combat. Il faut être préparé, motivé, savoir encaisser, savoir en mettre plein la vue, mais surtout dans les deux cas, il y a une vraie dramaturgie, un récit. S'il a parfois perdu un peu le fil, été un peu long, bourrin même, avec Do a Powerbomb ! l'auteur signe un singulier mais sincère parallèle entre son métier et ce sport qui le fascine, le passionne, l'amuse comme les comics.
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