Pour la seconde partie de la première "saison" des aventures de Shade the Changing Girl, le duo Cecil Castellucci-Marley Zarcone est renforcé le temps d'un épisode (#7) par Marguerite Sauvage. C'est aussi l'occasion pour l'héroïne de poursuivre ses découvertes, sur un ton plus dramatique mais dans des ambiances toujours aussi étonnantes.
Loma accepte d'accompagner River et Teacup à un bal où seront présents tous les collégiens. En route, elle explique à ses amis la vie sur Meta et son passé : enfant adoptée, elle fut mal-aimée par ses parents et rebelle à l'école. La découverte de la poésie de Rac Shade l'éblouit et confirma son envie d'explorer des territoires inconnus. Mais lorsque le poète disparut subitement, elle crut tous ses espoirs envolés. Le bal dégénère vite lorsque Loma est victime d'une vengeance organisée par ses anciennes victimes qui l'humilient publiquement. Ecoeurée, elle décide de quitter Valleyville.
Direction : Gotham. Elle visite la ville, flânant dans Robinson Park et Bachalo Square, intriguant les passants qui, plutôt bienveillants, lui recommandent tout de même d'éviter un homme avec une cape qui fait régner l'ordre ici... Cependant, sur Meta, Loran torture Lepuck pour le rendre fou et espérer ainsi localiser le manteau de folie et donc Loma. A Valleyville, les parents de Megan alertent la police au sujet de la fugue de leur fille tandis que River reproche à Teacup de s'être rendue complice du piège tendu à Loma lors du bal.
Loma se rend à un concert des Sonic Booms, un groupe de rock qu'elle a vu jouer dans un vieux feuilleton terrien sur Meta, "Life with Honey". Mais elle n'avait pas pris en compte que le tournage de cette série datait des années 1950 et découvrent les musiciens âgés et que le concert a lieu pour lever des fonds car Honey Rich, la vedette du show, est très malade. Loma décide alors de la retrouver pour la guérir. Tandis que la torture de Loran sur Lepuck ne donne pas le résultat escompté, River entreprend de pister Loma en cherchant les événements bizarres sur le Net.
Loma arrive à Los Alamos, ancienne zone des essais nucléaires américains, où habita Honey Rich. Sur Meta, Mme Depps intercepte le signal énergétique du manteau de folie et Loran envoie sur Terre deux agents le récupérer par tous les moyens. River décide de rejoindre Loma et Teacup accepte à contrecoeur de le suivre. Loma se défend contre les agents de Loran en les atomisant puis s'échappe. Après son départ, des scientifiques prélèvent sur place des échantillons du manteau de folie pour l'armée.
Loma gagne Los Angeles où Honey a appris par son médecin qu'elle n'a plus que quelques mois à vivre et se suicide en absorbant une surdose de barbituriques. Loma la ressuscite mais l'opération abouti au transfert de son esprit dans le corps de Honey et de l'esprit de Honey dans le corps de Loma. Elles passent un marché : Honey emmène Loma sur un tournage si cette dernière la laisse mourir ensuite. Sur Meta, le corps original de Loma dépérit et Loran convainc alors Lepuck d'aller sur Terre pour tuer celle qui sert d'hôte à l'esprit de son amie et récupérer le manteau de folie. Loma est justement repérée par un directeur de casting et l'esprit de Honey ne peut résister à goûter de nouveau aux feux de la rampe.
Alors que le tournage reprend, Honey (avec l'esprit de Loma) a un infarctus et est conduite à l'hôpital dans un état critique. Lepuck surgit sur le plateau et comprend que l'esprit de Honey a investi le corps de Loma : il faut qu'elle sauve cette dernière. River et Teacup arrivent à Los Angeles et apprennent l'hospitalisation de Honey à la télé à l'aéroport. Pendant ce temps, sur Meta, l'agonie de Honey et donc de l'esprit de Loma permettent enfin à Loran de s'emparer du manteau de folie et de rejoindre Rac Shade mais il la repousse pour avoir trahi leurs idéaux. La mort de Loran permet à Loma de réintégrer son corps et à Honey de trouver le repos éternel. Lepuck est renvoyé sur Meta après avoir avoué son amour à Loma mais conscient qu'il n'a pas sa place sur Terre.
Ce second tome de la série s'inscrit à la fois dans la lignée du précédent - il s'agit toujours d'un récit initiatique - tout en sachant déjouer les attentes du lecteur en l'entraînant ailleurs - et par là, j'entends sur un plan géographique car l'action se déplace dans d'autres décors.
Tout commence par un violent retour de bâton pour Megan Boyer infligé par ses anciennes victimes lors d'un bal. Ignorant que l'adolescente n'est désormais qu'une enveloppe abritant l'esprit de Loma, ils ne savent pas qu'en se vengeant, ils blessent l'extraterrestre. Cet incident va précipiter l'héroïne dans une fugue qui imprime sa forme au récit. Après avoir appris à s'habituer à sa nouvelle condition sur Terre, à Valleyville, elle comprend qu'on ne lui pardonnera jamais les vilenies de Megan et qu'il lui faut partir pour trouver la tranquillité. La fugue devient un retour à son objectif premier : explorer la Terre.
Ce septième épisode détone visuellement car Marguerite Sauvage en est la dessinatrice. Son style est différent de celui de Marley Zarcone, mais la transition s'opère en douceur grâce à la colorisation de Kelly Fitzpatrick. Le trait reste très élégant, et le récit, essentiellement construit en flash-backs sur le passé de Loma sur Meta, s'accommode finalement fort bien de ce fill-in. Sauvage laisse la couleur dominer son graphisme, notamment les lignes d'encrage, ce qui aboutit à un quasi-photo-réalisme, mais pas trop poussé (on n'est pas dans le registre d'Alex Ross non plus). La représentation de la vie sur Meta, de la jeunesse de Loma, avec les designs et les décors extraterrestres, fait penser davantage à la mode des habits et des intérieurs/extérieurs des sixties qu'à une interprétation plus radicale et originale d'un monde lointain, et confère à l'ensemble un mélange assez pop de rétro-futurisme (sans tomber dans le steampunk).
Le périple de Loma démarre ensuite et va servir de colonne vertébrale à toute l'aventure : on navigue entre fantaisie pure - Loma visite Gotham et, grâce à elle, la ville de Batman (dont le nom n'est jamais prononcé mais dont la présence est évoquée) apparaît, le temps d'une scène comme vous ne l'avez littéralement jamais vue (encore une fois Fitzpatrick fait des merveilles aux couleurs). Le décalage induit entre la candeur de Loma et le cadre urbain d'habitude oppressant de Gotham rappelle à point l'originalité de la série - et souligne que la folie du manteau revêtu par l'héroïne n'est pas une démence mais aussi une rêverie.
Loma se met en quête de retrouver son idole sur Meta, une comédienne terrienne des années 50 qui jouait dans une série télé. Mais ses investigations la confrontent non plus à l'espace séparant son monde de la Terre mais au temps passé entre ce qui a été tourné et dont elle était téléspectatrice et l'actualité. Ainsi s'étonne-t-elle, effarée, du grand âge des musiciens du show se produisant en concert pour collecter de l'argent pour le traitement médical de Honey Rich (un nom bien ironique en l'occurrence...). En prenant conscience de cet aspect des choses, qu'elle n'avait pas du tout envisagé, c'est une autre forme de folie qui la gagne : celle du temps perdu et qui ne se rattrape plus.
Dès lors, qu'elle s'engage dans une course contre la montre pour sauver l'actrice condamnée comme d'échapper aux tueurs de Mellu Loran, on sait, comme elle doit s'en douter elle-même, qu'il s'agit moins d'empêcher l'inévitable que de le retarder. L'expérience est cruelle, douloureuse, chaotique, mais en route on apprend l'autre raison pour laquelle Loran convoite le manteau de folie, les sentiments réels de Lepuck pour Loma, la fiabilité de l'amitié de River et Teacup pour Loma. C'est finalement très dense.
Mais Marley Zarcone, grâce à son dessin aérien, et ses découpages toujours aussi inventifs, inspirés par le surréalisme, glissant sur la naïveté bienveillante de Loma mais aussi sa combativité, sa pugnacité, transforme ce parcours d'obstacles en balade digne d'Alice aux pays des merveilles. L'artiste sait à merveille traduire cet incessant ballet que danse son héroïne, tour à tour galvanisée par sa mission puis tourmentée par les épreuves qu'elle rencontre. Avec beaucoup de finesse, elle exprime l'agitation qui s'empare d'elle, puis l'abattement qui la rattrape, elle représente son exaltation touchante puis le contrecoup d'un combat mené et remporté difficilement contre deux tueurs.
Le morceau de bravoure intervient pourtant dans les deux derniers épisodes où Zarcone réussit à rendre parfaitement claire le fait que l'esprit de Loma est désormais dans le corps de Honey Rich et l'esprit de Honey dans le corps de Loma. La narration rapide de Castellucci alliée à la lisibilité du dessin de Zarcone aide le lecteur à ne jamais être embrouillé, confus, perdu, créant même un vrai suspense lorsque la santé de Honey décline brutalement et risque donc d'impacter le sort de Loma. Une double page (voir ci-dessus) propose même au lecteur de décider comment la lire en faisant tourner un crayon en son centre et en commençant par la vignette désignée par la pointe dudit crayon : essayez, vous verrez, ça fonctionne, c'est ludique et épatant, tout à fait compréhensible.
La chute de l'histoire annonce le grand changement de la série, à commencer par son titre même - Shade the Changing Woman. On peut choisir, selon sa curiosité, de lire le crosssover Milk Wars pour apprendre par le détail la mue de Loma, mais la relance de la série reste accessible en s'en dispensant, offrant de nouvelles perspectives, de nouveaux enjeux, et, surtout, confirmant que c'est la production la plus aboutie du label "Young Animals".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire