C'est avec gourmandise que je me suis plongé dans la lecture de ce Volume 2 de Black Hammer, intitulé The Event, et qui regroupe les épisodes 7 à 11 et 13 (le 12 a été écarté pour je ne sais quelle raison). Il faut en profiter puisque la série est en suspens depuis Septembre 2017 (là non plus, sans explication fournie par les équipes artistique et éditoriale), tandis que le scénariste Jeff Lemire multiplie les spin-off (et les commandes chez Marvel et DC)...
L'arrivée à la ferme de Lucy Weber a chamboulé le quotidien du groupe de héros qui s'y trouve. Mais c'est aussi l'occasion d'en savoir plus sur les origines et la fin de Black Hammer, son père : Joe Weber était un modeste travailleur social noir qui découvrit le corps agonisant du premier Black Hammer, le désignant comme son remplaçant. Transporté sur le New World par le roi Starlok, il intégra les Lightriders pour devenir un des remparts contre l'Anti-Dieu qui ciblait la Terre. Partageant alors son existence entre sa famille avec sa femme Lorraine et leur fille et ses activités de héros, il mourut en voulant s'échapper de la ferme de Rockwood entourée d'un champ de force qui le désintégra.
Lucy Weber s'interroge sur les raisons pour lesquelles les héros sont ici et pourquoi ils ne peuvent en repartir. Elle entreprend d'enquêter sur Rockwood mais ses recherches ne la mènent pas bien loin car tous les livres concernant cette localité à la bibliothèque municipale sont remplis de pages blanches ! Gail veut croire qu'avec Lucy une possibilité de fuir s'ouvrira à elle et se souvient des circonstances dans lesquelles elle prit sa retraite de Golden Gail à 55 ans en transmettant le flambeau à la Golden Family (composée de Golden Gwen, Captain Golden, Golden Gary, à qui elle donna une partie de son pouvoir). Amoureuse de son ancien adversaire, Sherlock Frankenstein, elle partagea ses jours avec le vilain repenti.
Remotivé depuis l'arrivée de Lucy et une idée qu'elle lui a soufflée, Talky Walky se remet au travail sur un engin capable de ramener l'équipe à Spiral City. Mais cela contrarie le colonel Weird qui n'hésite pas à tuer son fidèle ami robot. Ils se connaissaient pourtant depuis des décennies, après s'être rencontrés sur une planète a priori inoccupée mais en vérité peuplée de robots. Talky Walky, originaire de la capitale Technopolis, l'aida à s'en enfuir et devient son partenaire de mission.
Abraham Slam traverse une passe difficile : Lucy lui apprend le meurtre de Talky Walky et Tammy a été menacée par son ex-mari Earl, le shérif. Il aimerait le corriger mais se rappelle de la manière dont il fut ridiculisé par de jeunes super-héros à la fin de sa carrière comme justicier dans une bataille contre Mud Master. Il est loin de se douter que ses ennuis ne font que commencer car Mme Dragonfly s'est occupée personnellement du shérif en le désintégrant chez lui.
Barbalien confronte le Père Quinn à leurs sentiments mais le prêtre nie toute attirance envers son paroissien. Cela renvoie Mark Markz à son passé de policier quand ses collègues homophobes le harcelèrent et qu'il préféra donner sa démission, avec l'intention de quitter notre planète. De son côté, bien qu'elle aime le martien sans que ce soit réciproque, Gail songe à se suicider en franchissant le champ de force autour de la ferme. Mais elle est sauvée in extremis par son ami.
Interrogé par la police au sujet de la disparition du shérif, Slam est relâché après que Mme Dragonfly ait lancé un sort aux détectives. Tammy, troublée par la situation, préfère prendre ses distances avec son amant. Lucy erre à l'extérieur de la ferme pour finir par se recueillir devant le marteau de son père mais elle sent que l'objet l'attire et s'en saisit. Un coup de tonnerre retentit, l'équipe se précipite dehors et découvre la jeune femme dans le costume de Black Hammer et déclarant se souvenir de tout...
Cette suite ne déçoit vraiment pas et régale le fan du premier tome dont elle reprend les ingrédients tout en les enrichissant, en explorant de nouvelles pistes jusqu'à la chute haletante. Avec désormais deux spin-off, Sherlock Frankenstein and the Legion of Evil et le récent Doctor Star and the Kingdom of Lost Tomorrows, on peut même parler de "Lemire-verse", potentiel remplaçant/concurrent au "Mignola-verse" (avec Hellboy, B.P.R.D., Lord Baltimore, Abe Sapien) chez le même éditeur (Dark Horse).
Le souci avec cette profusion de titres dont Lemire est le seul rédacteur, c'est de savoir jusqu'à quel point il pourra piloter tout cela : en effet, depuis six mois, pas un seul nouvel épisode inédit de Black Hammer n'est sorti, et il faut compter avec les autres engagements du scénariste chez DC (avec The Terrifics) et Marvel (où il va relancer une série consacrée à Sentry) ! Tout ça risque de générer une frustration chez les fans du présent titre... Surtout que ni l'auteur ni Dark Horse ne communiquent sur la suite.
Revenons au contenu de ces six épisodes, dont on notera que le recueil ne compte pas le n° 12 (?), même si cela ne parasite pas du tout la compréhension de l'intrigue. Lemire joue sur deux niveaux : le premier est l'apparition imprévue et inexpliquée de Lucy Weber, fille de Black Hammer, dans la ferme de Rockwood ; le second sur les origines développées des héros.
Lucy permet pour le lecteur de s'interroger sur la situation et quelques révélations sont au programme : si les anciens super-héros sont coincés dans cette ferme, c'est parce qu'un champ de force en délimite le périmètre. Pour l'avoir ignoré ou avoir pensé le franchir sans problème, Black Hammer a trouvé la mort, littéralement désintégré - seul son marteau a "survécu" ! La jeune femme mène aussi l'enquête sur la bourgade voisine et découvre un cadre dont l'étrangeté devient vraiment perturbante : tous les livres sur l'histoire de l'endroit sont remplis de pages blanches, les habitants ont un comportement inhabituellement placide, aucun n'a jamais connu autre chose que ce bled.
Mais Lucy a aussi un impact sur le quotidien des héros, dont le plus notable est une idée qu'elle glisse à Talky Walky pour qu'il explore une nouvelle piste dans ses recherches pour ramener l'équipe à Spiral City. La conséquence sera dramatique pour le robot, littéralement neutralisé par son fidèle compagnon, le colonel Weird, dont il est désormais évident que ses voyages dans la Para-Zone, s'ils ont entamé sa raison, lui ont aussi révélés des secrets sur le futur - suffisamment pour qu'un retour à Spiral City le contrarie...
En parallèle, Lemire continue de détailler le passé de ses protagonistes et délivre enfin les origines de Black Hammer. Comme les autres résidents de la ferme, elles agrègent des éléments directement inspirés par des personnages de Marvel et DC : ici, les clins d'oeil abondent en direction du Fourth World de Jack Kirby mais aussi des Inhumans de Lee et Kirby (un chien est même la reproduction exacte de Lockjaw) ou encore d'Asgard. L'anti-Dieu, le fameux dernier ennemi des super-héros, est une version de Darkseid mixée avec Galactus.
Avec ces citations, le lecteur non averti peut se sentir exclu mais Lemire prend soin d'en exploiter d'abord l'aspect folklorique pour distinguer les provenances des pouvoirs des héros, plutôt que de jouer sur des références uniquement adressées aux connaisseurs.
De la même façon, Gail a transmis le flambeau à la Golden Family, soulignant l'hommage à la Marvel Family et Shazam. Plus inattendue est la découverte de sa romance avec l'ex-vilain Sherlock Frankenstein (sorte de néo-Lex Luthor). Le déclin de Abraham Slam fait l'objet de flash-backs poignants, renvoyant à Watchmen. L'homosexualité de Barbalien et son amitié avec Gail sont aussi écrits de manière subtile mais sans détour (là où tant de super-héros gay sont mal abordés dans les comics mainstream). Le personnage le plus mystérieux demeure Mme Dragonfly, dont le lecteur commence à se demander si sa position en retrait du groupe tient uniquement à son lien avec sa cabane maudite ou si elle a à voir avec leur situation actuelle, sans compter sa méthode expéditive de régler les problèmes pouvant compromettre la vie à la ferme...
Dean Ormston met ces chapitres en images avec ce même trait fragile qui souligne l'humanité tourmentée des personnages et les situations les plus étranges traitées de la manière la plus sobre possible. Il n'en rajoute pas, sauf quand il s'agit de représenter des éléments secondaires comme les méchants du passé (la bataille de Y-Force et Abraham Slam contre Mud Master). Son découpage reste très simple mais est capable de générer un suspense dramatique très efficace (comme la scène où Barbalien découvre le projet suicidaire de Gail).
L'épisode 9 est dessiné par David Rubin (par ailleurs artiste du spin-off Sherlock Frankenstein and the Legion of Evil) et est entièrement dédié aux origines de Talky Walky. Lemire y fait preuve d'une inventivité et d'un humour pince-sans-rire géniaux que l'artiste traduit visuellement à merveille. Rubin est beaucoup plus audacieux en termes de mise en scène, notamment avec une double page bluffante, mais aussi dans l'enchaînement très nerveux des actions (tout l'épisode est une course-poursuite trépidante), que les couleurs vives de Dave Stewart transforment en un vrai trip psychédélique.
En souhaitant que la suite ne tardera plus car Black Hammer est diaboliquement addictive, je vous laisse avec un portrait de groupe réalisé par l'immense Bill Sienkiewicz, un autre prestigieux fan de cette formidable série.
Black Hammer, par Bill Sienkiewicz.
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